Le parc des immeubles de bureaux devra être rénové à un taux de 3 à 3,5% par an pour atteindre l’objectif "Net Zéro" carbone et, par extension, répondre aux attentes de l’Accord de Paris, qui préconise une limitation du réchauffement climatique global en dessous de +2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Si rénover présente un coût, ne pas rénover, aussi.
Valeur verte et décote grise, l’heure de l’arbitrage
Le secteur du bâtiment, en France, représente 27% des émissions de CO₂. Il est aussi classé au deuxième rang des émetteurs de gaz à effet de serre après celui du transport. Sa décarbonation devient prioritaire. Les instances législatives ont pris la mesure de l’enjeu. En 2010, la problématique de la décarbonation des bâtiments tertiaires se posait déjà avec la loi Grenelle II qui souhaitait une réduction de 38 % des consommations énergétiques à l’horizon 2020. En 2018, la loi ELAN prend le relais pour renforcer le dispositif législatif. Mais, c’est l’année 2019 qui marque un réel tournant avec l’introduction du décret tertiaire. Des mécanismes sont mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Ils imposent de réduire, par paliers, le niveau de consommation d’énergie à hauteur de 20% pour 2025, 40% à horizon 2030 et 60% en 2050. Tous les acteurs, publics comme privés, dont les locaux excèdent les 1000 mètres carrés sont concernés. Soit 83% du parc immobilier tertiaire français ! Un changement d’habitudes s’impose et révèle, au-delà de la coercition, la mesure de l’enjeu économique.
Pénalités en perspective
"La rénovation est un sujet qui va poser des difficultés, surtout au marché ancien qui se doit de remettre ses locaux à niveau pour répondre aux exigences actuelles ", déclare Christian Roussel, expert judiciaire et associé chez Roussel expertise. L’inaction a un prix, ce qu’illustre une législation de plus en plus astreignante comme en témoigne le décret tertiaire. Operat (Observatoire de la performance énergétique, de la rénovation et des actions du tertiaire), guichet de l’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), en est l’instrument. Créée en 2019, cette plateforme de reporting énergétique, pilotée par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, élabore un suivi des consommations d'énergie du secteur tertiaire, en vue d’accompagner ses acteurs vers ce changement de paradigme. À travers le dispositif gouvernemental éco-énergie-tertiaire, les bâtiments ont une obligation de reporting chaque année. Des pénalités peuvent ainsi être appliquées en cas de non-respect des directives : mise en demeure, amendes comprises entre 1500€ et 7500€, ou encore l’inscription, telle une liste noire ("name and shame"), sur un site internet des services de l’État. C’est tout l’enjeu de la "décote grise", qui implique une perte de la valeur d’un bien immobilier du fait de ses défauts de performance énergétique. Selon Nicolas Dalmayrac, associé chez Camille Avocats : "Sur les clauses de charge, on négocie de plus en plus le type de travaux ; avec toute une litanie extrêmement précise et exhaustive sur les prises en charge de travaux de rénovation énergétique."
"Rénover, c'est améliorer la valeur locative, et intégrer ce qu'on appelle la valeur verte, qui aujourd'hui est un ingrédient pris en compte par tous les grands groupes" Christian Roussel, expert judiciaire et associé chez Roussel expertise
Récompenses à la clé
"Rénover, c'est améliorer la valeur locative, et intégrer ce qu'on appelle la valeur verte, qui aujourd'hui est un ingrédient pris en compte par tous les grands groupes", stipule Christian Roussel. La "valeur verte" désigne la valorisation d’un bien, générée par l’amélioration de ses performances énergétiques et environnementales. Les acteurs immobiliers ont désormais conscience de l’incidence de l’empreinte carbone des bâtiments sur cette appréciation. À ce titre, des initiatives prometteuses fleurissent, génératrices de valeur verte. C’est le cas des certifications environnementales. Les labels existants pour le bâtiment sont multiples : le Bepos (Bâtiment à énergie positive), le BBCA (Bâtiment bas carbone), E+C- (Bâtiments à énergie positive & réduction carbone), le HQE (Haute qualité environnementale), récemment décliné en HQE tertiaire "Bâtiment durable", ou encore LEED® (Leadership in Energy and Environmental Design), référence internationale, pour ne citer qu’eux. Avec une part croissante sur le marché des bureaux, les immeubles certifiés représentaient 20% sur l’ensemble d’un échantillon de 18 pays et 38 villes, étudié par le groupe américain CBRE mi-2022, contre 14% en 2019. Toutefois, cette dynamique ne constitue toujours pas la norme. Sa mise en œuvre est d’abord incitative, même si les appels d’offre en font un prérequis.
Entre la rénovation qui supporte un coût financier colossal et l’inertie qui entraîne des répercussions, parfois vertigineuses, l’ampleur de l’effort donne le tournis. Malgré tout, si les labels et certifications ne sont encore trop souvent que des pastilles décoratives, la prise en main des enjeux environnementaux par les propriétaires et utilisateurs s’inscrit progressivement au quotidien.
Aicha Fall