"La forme, c’est le fond qui remonte à la surface" : cette citation de Victor Hugo convient parfaitement aux mémoires en réclamation en matière de marchés publics ou de concessions. En effet, bon nombre de réclamations sont rejetées par les cocontractants publics, notamment les maîtres d’ouvrage, parce que mal présentées. Pourtant quelques règles issues du legal design permettent d’optimiser l’efficacité de ses réclamations c’est-à-dire d’atteindre l’objectif de l’entreprise : négocier une juste rémunération complémentaire ou une indemnisation.

À l’heure où les réclamations se multiplient en raison du contexte économique, voici quelques règles pour les rendre plus efficaces, règles tirées notamment du design, de la rédaction en langage clair et de la visualisation. Bien entendu, la règle élémentaire est de rédiger des mémoires en réclamations recevables, c’est-à-dire qui respectent le formalisme des CCAG et le cas échéant, du contrat. Mais une fois ces règles respectées, comment rendre sa réclamation plus impactante ?

Concevoir un seul document

Il est préférable de rédiger un document unique qui comporte l’ensemble des contestations ou différends à l’origine des demandes plutôt que de renvoyer à des courriers précédents (ou demandes de rémunération complémentaires) reproduits en annexe.

Rédiger pour l’ensemble des utilisateurs

La rédaction d’un mémoire en réclamation est un exercice difficile parce que ce document va être analysé par de nombreuses personnes qui n’ont pas la même logique et qui n’y recherchent pas les mêmes informations. Prenons l’exemple d’une réclamation en matière de marché public de travaux: cette dernière sera analysée par le maître d’œuvre, par les services juridiques du maître d’ouvrage et le cas échéant son avocat, par les services techniques du maître d’ouvrage et par les décideurs, notamment des élus. En cas de désaccord entre les parties, ce sera au tour du magistrat d’en prendre connaissance. Ce même document va donc être utilisé par des techniciens, des financiers et des juristes. Toutes ces personnes recherchent la même chose. Elles veulent :  trouver l’information recherchée le plus rapidement possible ; la lire tout aussi rapidement ; et comprendre facilement l’information.

Rédiger une synthèse autosuffisante

Cette synthèse est souvent présente mais peu compréhensible pour des personnes qui ne prendraient pas connaissance du détail de la réclamation. Or, les décideurs doivent pouvoir disposer d’une synthèse claire et efficace pour se faire une première idée de la réclamation.

Structurer selon la logique des utilisateurs

Les réclamations sont souvent présentées selon une structure qui n’est pas efficace pour les utilisateurs. Elles comportent souvent une première partie théorique qui rappelle les pièces contractuelles, les prévisions du contrat, pour ensuite détailler les difficultés rencontrées en cours de travaux, les fondements juridiques des demandes et la dernière partie traite du chiffrage. Cette structure contraint les utilisateurs à naviguer dans le mémoire en réclamation pour recouper les informations. De plus, les sommes demandées sont présentées par grands postes de préjudices (ex : main-d’œuvre) et ne sont pas ventilées par chef de contestation. Or, les maîtres d’ouvrage, leurs conseils et le cas échéant, le juge, ont besoin de rattacher chaque fait générateur à un montant. Une structure efficace décrit pour chaque chef de contestation (exemple : remise tardive des emprises) : un fait générateur : une remise tardive des emprises (le contrat vs le déroulement du chantier) ; un préjudice et donc un chiffrage des conséquences de ce fait générateur ; un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.
La structure d’un mémoire en réclamation efficace serait donc une synthèse, puis un développement détaillé avec une introduction qui rappelle les grandes lignes du marché et les éléments de fait. Enfin, une ventilation des informations par chef de contestation.

Rédiger en langage clair

Cette réclamation doit comporter de nombreuses informations techniques, financières et juridiques qui doivent être comprises par des non spécialistes. Par exemple, l’avocat du maître d’ouvrage qui analyse une réclamation doit être en mesure de comprendre les grandes lignes des difficultés techniques pour appliquer un raisonnement juridique et conseiller au mieux son client. C’est naturellement la même problématique pour le magistrat. Les techniques de langage clair seront donc utiles à la fois pour les aspects techniques, les aspects financiers mais également pour les aspects juridiques.

Visualiser les éléments clés

La visualisation de l’information se prête bien à l’exercice du mémoire en réclamation. Par exemple, une frise chronologique efficace permet de décrire le calendrier initialement prévu et le calendrier réel pour mettre en exergue les conséquences des différents événements sur le déroulement du chantier. De plus, les tableaux seront d’une grande efficacité pour synthétiser le chiffrage des demandes. Dans certains cas, une vidéo peut être utile pour décrire les aspects techniques. La visualisation de l’information se prête bien à la réclamation.

Justifier chaque somme demandée

Parfois absente, régulièrement insuffisante, la justification des sommes demandées est essentielle. Trop de négociations échouent faute de justification.

Doser ses demandes

Le chiffrage doit être raisonnable et crédible. Trop souvent, les entreprises présentent une réclamation beaucoup plus élevée que la somme réellement due pour se laisser une confortable marge de manœuvre dans le cadre de la négociation. Ce comportement entraîne régulièrement un rejet irrémédiable de la part du maître d’ouvrage.

Organiser ses annexes

La structure des annexes suit celle du corps de la réclamation afin de permettre aux lecteurs de se repérer facilement et de trouver facilement les informations recherchées, par chef de contestation. 

Sophie Lapisardi

Sophie Lapisardi est avocat au barreau de Paris et spécialiste en droit public. Elle dirige le cabinet Lapisardi Avocats, cabinet 100 % droit public des affaires, qui fait partie des pionniers dans la pratique du legal design. Sophie Lapisardi dirige également la société Lexclair qui forme les professionnels du droit au legal design et les accompagne dans sa mise en œuvre au quotidien.

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