La cofondatrice et directrice de Label Emmaüs, alternative sociale, durable et solidaire aux grandes marketplaces, met la colère originelle que lui inspirent les inégalités au service du développement d’un modèle économique plus en phase avec les enjeux de notre temps. Elle le martèle : non seulement transition écologique et justice sociale peuvent aller de pair, mais la première ne pourra advenir sans l’autre. 

 

Maud Sarda passe une grande partie de sa jeunesse en Guadeloupe, "un paysage de carte postale où richesses culturelle et historique côtoient pauvreté, chômage et sentiment de déclassement par rapport à la métropole. Cela a constitué pour moi les premières graines de la colère". Bonne élève, après son bac elle entre en prépa HEC à Montpellier avant d’intégrer l’Edhec, à Nice. En parallèle de ses études, elle s’engage dans des missions humanitaires. Elle garde d’un été à Madagascar un souvenir mitigé : "On était partis pour électrifier une maternité avec des panneaux solaires. Je n’ai pas apprécié le rapport déconnecté avec les populations locales. On ne faisait rien pour préparer leur autonomie. Cette expérience m’a permis de mettre de côté certains fantasmes sur l’humanitaire." Maud Sarda entre dans la vie professionnelle en 2005, en rejoignant Accenture. "Pour rembourser le prêt que j’avais contracté pour mes études", précise-t-elle. "Du moment où j’ai effectué ma dernière mensualité, j’ai d’ailleurs basculé sur la fondation de l’entreprise." C’est là qu’elle entre en contact rapproché avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire et qu’elle trouve en Emmaüs "le syncrétisme" de ses combats : lutte contre la grande exclusion, dimension économique, valeur travail, invention d’une autre société.

Un e-commerce à la hauteur des enjeux de notre époque

Label époque

Elle rejoint le mouvement en 2010, en tant que responsable nationale économie solidaire. Concrètement, elle accompagne les associations et entreprises sociales adhérentes sur des questions de gouvernance, juridiques, ou de ressources humaines. Cinq ans plus tard, elle lance une mission exploratoire pour la création d’une plateforme digitale, vitrine des 352 points de vente en France et canal de vente en ligne pour l’ensemble du mouvement Emmaüs. Label Emmaüs est né. En quelques années, la plateforme s’impose sur un marché pourtant fortement concurrentiel : "En six ans, nous sommes passés d’un catalogue de 3 000 à 2 millions de produits, le tout en formant 1 400 personnes aux métiers de la vente en ligne et avec un taux de satisfaction client de 9,2 sur 10", résume Maud Sarda. Comment ? En misant sur sa différence et "en prenant le contre-pied total de plateformes comme Amazon". À titre d’exemple, sur Label Emmaüs, pas de livraison express, 80 % des vendeurs utilisent des emballages récupérés, 100 % de la valeur créée est réinjectée dans l’entreprise et l’écart de salaire n’est que de un à trois. Sans compter les centaines de personnes en situation d’exclusion qui se raccrochent ainsi au monde du travail et à la société en général. Bref, un e-commerce à la hauteur des enjeux de notre époque.

Label action

Face à un monde qui ne semble pas en avoir pris la juste mesure, certains sont tentés de céder au découragement, voire à l’éco-anxiété. Maud Sarda préfère le combat, l’action. "C’est ma sociale-anxiété qui m’anime et me pousse à rester fidèle au précepte d’Emmaüs : ne pas subir, toujours agir." De là à être optimiste pour l’avenir ? Pas vraiment, mais là n’est pas la question. Il y a quelque chose du Sisyphe camusien dans son combat : poussant inlassablement sa pierre, trouvant le sens de son existence dans la révolte face à l’absurdité de sa condition. "Il faut imaginer Sisyphe heureux", conclut Camus. Et derrière son sourire teinté de fatalisme, Maud Sarda aussi.

Antoine Morlighem

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