Table ronde : financements immobiliers & structurations optimisées
Liste des participants :
David Chijner, associé, Brown Rudnick
Cyril de Romance, cofondateur et associé, First Growth - Real Estate-Finance
Alexandre Darsa, associé, O2 Capital
Jérome Durand, directeur général promotion Île-de-France, Sogelym Dixence
Gilles Soulié, vice-président exécutif et directeur financier groupe, Hermitage
Christophe Murciani, directeur de fonds de prêts immobiliers, Sienna Investment Managers
Décideurs. Quels sont les usages post-Covid, du point de vue de l’immobilier d’entreprise et de son financement ?
Jérôme Durand. Nous pouvons d’ores et déjà constater l’impact du télétravail, qui bouleverse l’organisation du travail sur l’ensemble des métiers. L’outil immobilier est plus que jamais au service de la rentabilité des entreprises et de la captation des talents mais il nous est déjà donné de considérer un redimensionnement de l’outil de travail chez certains grands utilisateurs. Le besoin de centralité est devenu crucial : du fait de cette économie de surface, la desserte, le quartier ont renforcé leur caractère nécessaire. L’entreprise demeure le lieu de la rencontre et de la sociabilité. C’est une caractéristique forte qui restera, même si le télétravail peut venir la bousculer. La flexibilité reste le maître mot avec une exigence quant à la capacité de l’outil de travail à se recomposer plus facilement. Par ailleurs, nous observons une porosité plus importante entre vie privée et vie professionnelle, qui touche donc le secteur résidentiel et qui nous dirige vers une plus grande mixité.
Le besoin résidentiel couplé à la désaffection de certaines zones tertiaires entrouvre-t-il une porte à la transformation de bureaux en logements ?
J. D. Des immeubles de bureaux se trouvent dans des zones moins attrayantes, du fait d’une desserte insuffisante. A-t-on la capacité de les transformer en logements ? Il s’agit d’un axe de développement, bien que tous les actifs ne s’y prêtent pas. Cette démarche intéressante permet de restructurer les actifs, sans les démolir, pour un impact carbone plus faible. L’environnement politique et urbanistique doit permettre ces transformations, cette agilité.
Christophe Murciani. Le paradoxe qu’il va falloir résoudre, c’est l’écart croissant qui demeure entre certaines entreprises qui recherchent cette centralité et leurs employés qui ne peuvent s’y loger, faute de moyens. Le Grand Paris Express va pouvoir changer la donne en simplifiant les flux. Quand on interroge les salariés sur le télétravail, leur objectif consiste davantage à économiser leur temps de transport, entre 45 minutes et 1 heure, plutôt qu’une volonté de rester au calme chez eux. La créativité se déploie en physique et non par écrans interposés. Dans une optique de conversion en logements, l’équation économique est encore largement favorable au bureau, au moins dans Paris intra-muros. Il existe également un délai de conversion, avec des changements d’usages et de destination. Un second écueil tient au cas des communes refusant la conversion de bureaux en logements, au motif qu’ajouter 200 foyers les ferait passer au-delà de 40 000 habitants et donc perdre des subventions européennes. S’il existe une certaine porosité entre vie personnelle et professionnelle, rien n’est encore fait pour l’accompagner. Il convient de faire le choix de zones communes, où les différents voisins se retrouvent en plug and play dans des espaces de type coworking, plutôt qu’un espace dédié, à l’intérieur de sa résidence principale. Cette solution aura vraisemblablement plus de succès qu’un mélange des genres au sein de l’habitat.
Cyril de Romance. Cette reconversion nécessite des modifications du Plan local d’urbanisme (PLU) et prend logiquement du temps, ces changements demandant une forme de prévision en amont. En concertation avancée avec les mairies et communautés d’agglomérations. Les transports en commun sont indéniablement l’un des critères de désaffection de certaines localisations tertiaires et les infrastructures du Grand Paris Express feront évoluer certains équilibres. Nous observons un marché des financements à deux vitesses : d’un côté celui des actifs de qualité, adaptés à la demande des entreprises et situés au pied des transports en commun, de l’autre celui des actifs vieillissants qui ne pourront se confronter à l’évolution de la législation avec l’entrée en vigueur du décret tertiaire et dont la liquidité locative est fortement remise en question. Pour ces derniers, trouver des prêteurs devient compliqué, les leviers d’endettement s’affaiblissent et les marges décollent. Les financements sont de plus en plus agressifs, avec une scission entre ces deux profils de risques. Pour rebondir sur les critères ESG, les prêteurs mettent en place des stratégies en ce sens pour encourager les emprunteurs à optimiser la réduction de la consommation énergétique des actifs et promouvoir la transition énergétique. Cela se traduit par des niveaux de marge réduits pour les programmes de rénovation ambitieux, la plupart du temps conditionnés à l’obtention de labels ou du respect de certains critères sociaux.
"L’outil immobilier est plus que jamais au service de la rentabilité des entreprises et de la captation des talents"
C. M. La réglementation européenne sur les investissements responsables est en vigueur depuis un an et si elle a pu prendre par surprise bon nombre de personnes, beaucoup avaient commencé à réfléchir à son impact. La législation, si elle fait évoluer les choses, peut aussi avoir un effet d’éviction pour les plus petits emprunteurs, ces derniers n’ayant pas forcément les moyens de se mettre à niveau. Il est parfois impossible pour eux de reporter la mesure des économies d’énergie, tandis que ce sont ces mêmes petits propriétaires qui détiennent 80 % du patrimoine. La clé de la réduction de l’empreinte carbone du secteur immobilier tient à sa mutation. Depuis deux ans et demi, tous nos financements sont conclus avec des emprunteurs qui s’engagent avec nous sur un programme de travaux, en vue d’économies d’énergie et de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Nous avons volontairement ajouté deux enjeux : la gestion des déchets et le traitement de l’eau. Il convient donc de financer des emprunteurs qui ont moins accès à la ressource pour faire muter le parc.
David Chijner. Les pieds d’immeubles, quand ils ne sont pas bien situés et que l’on construit un financement, sont sujets à une discussion concernant leur capacité à en faire autre chose. Lors des liquidations, le prix moyen des fonds de commerce cédés a baissé de manière dramatique. Autrefois, lorsqu’un commerce de base déposait le bilan avec un fonds de commerce qui n’était pas dans Paris intra-muros, la cession du fonds de commerce permettait de recouvrir les créanciers, voire plus. Aujourd’hui, ce postulat n’est plus systématique.
Gilles Soulié. Un autre paradoxe s’additionne : l’opposition qu’il y a, entre la volonté des gens de vivre près de la nature et le besoin de densifier en hauteur. L’intérêt de construire des tours se renforce avec une emprise foncière réduite et un respect de la Zéro artificialisation nette (ZAN). Il semble compliqué de convaincre une majorité de la population de vivre dans des tours et, même en tant que promoteur, je ne suis pas favorable au développement de tours dans Paris mais elles ont leur vertu en périphérie. Il n’y a pas de solution unique et il faut envisager toutes les possibilités dans l’utilisation des locaux. Il existe à la fois un développement en faveur du coworking et de la mixité d’usages dans certains endroits. Il y a aussi, dans le développement du résidentiel, une tendance à la possession d’une pièce qui puisse être transformée en bureau. Il y a nécessité à prévoir ce type d’aménagement, afin de permettre à deux personnes de travailler au sein du même habitat. Pour illustrer ces réflexions, lorsque l’on a commencé le projet Hermitage, il y a une dizaine d’années, avec l’architecte Norman Foster, nous nous sommes rendu compte que nous étions en France très en retard en matière de mixité d’usage, par rapport à New York certes, mais également au Vietnam ou à Pékin. Ce sont des questions culturelles qui ne changeront pas en un instant. La mixité d’usage permet de réduire les problématiques de transport. Nos tours, telles que dessinées et conçues mettent en avant cette flexibilité ainsi que les services aux occupants. Elles permettent même d’envisager qu’un cadre supérieur travaillant dans un bureau soit logé dans un appartement des étages supérieurs qui aura été acheté ou loué par son entreprise. En outre, vivre à La Défense permet de désengorger le trafic, en prenant le contrepied des flux du matin et du soir créés par un quartier d’affaires avec, à la clé, un impact sur la densification ou la Zéro artificialisation nette.
La dette mezzanine s’est institutionnalisée sur le marché de l’immobilier. Dans quelles circonstances est-elle particulièrement adaptée ?
G. S. Je revendique d’être à l’initiative de la dette mezzanine en France, que j’avais introduite lorsque j’étais banquier. Elle vient initialement des financements à effets de levier (LBO) et me semblait pouvoir s’appliquer à l’immobilier, une partie de la valeur étant sans risque. Lorsque 50 % à 60 % de la valeur d’un immeuble sont certaines de par ses caractéristiques propres et sa situation, cette valeur sûre permet de monter une dette senior très bon marché pour 50 % à 60 % du financement, complétée par les fonds propres habituels, ainsi qu’une tranche de mezzanine mais seulement pour le complément. On observe un développement de ce procédé depuis 1988, et il est devenu quasi systématique dans les projets actuels. La décomposition de la mezzanine en fonction de la sécurité est de plus en plus poussée, dans l’optique de diminuer le coût d’emprunt, et donc le coût de capital des entreprises. Les taux ont par ailleurs beaucoup baissé, à hauteur de 20-25 % il y a quinze ans, ils sont aujourd’hui à un niveau autour de 6 %.
Alexandre Darsa. C’est un monde qui a connu une accélération brutale ces dernières années. Les taux ont chuté et donnent l’impression d’une fin de cycle, contrairement à il y a un an ou deux. Ils vont néanmoins remonter. La mezzanine est une forme d’equity, mais s’en distingue sur le risque de permis ainsi que le risque de construction, devenu beaucoup plus réel avec l’inflation et la montée des coûts, et enfin, le risque de commercialisation. La question qu’il faut se poser c’est de savoir quelle est la part de fonds propres nécessaire pour se protéger, une fois la prise de risques engagée ?
C. M. Au fond, l’analyse et la tarification du risque sont essentiellement des questions de liquidité des actifs, sur le marché locatif et sur celui de l’investissement.
A. D. Comment accède-t-on à cette liquidité ? C’est toute la question de la structuration qui demeure primordiale.
D. C. Nous sommes à la sortie d’une période où tout le monde a perdu la notion de prime du risque. Le coût du financement, tant senior que mezzanine, a considérablement baissé en conséquence, tout en amenant sur le marché des acteurs assez peu structurés, tels que les family offices. La mezzanine ne s’applique pas à tous les deals. Ces derniers doivent générer suffisamment de valeur pour se permettre d’avoir de l’argent risqué. Jusqu’à il y a un an ou deux, lorsque des banques vous prêtaient 55 % en senior sur douze mois en dessous de 1 %, quelque part la mezzanine était le seul vrai prêt supportant l’intérêt. Il y a même eu des instants de marché où la mezzanine était le seul vrai prêt. Juste avant la crise, il n’y avait plus de place pour les détenteurs de dette mezzanine. Depuis le marché a changé, la place s’y est recréée. En définitive, on peut recenser deux obstacles : l’acceptabilité par les prêteurs seniors et l’acceptabilité par les emprunteurs. Être structurellement subordonné ne se traduit pas forcément par une altération de la sécurité dans certaines opérations.
A. D. Souvent, le seul point négociable est l’acceptabilité de la dette senior si le détenteur de la dette mezzanine se substitue aux emprunteurs. Il faut garder en tête qu’une fois le contrôle de l’opération pris, il faut réinjecter de la liquidité dans le projet.
C. R. La remontée des taux est une véritable tendance de fond. En effet nous avons commencé à observer un tournant dans l’environnement de taux à partir du troisième trimestre 2021. Les anticipations d’inflation ainsi que les interrogations sur les niveaux de la croissance futurs ont conduit les banques centrales à envisager des hausses de taux directeur progressives. Cela se traduit sur les anticipations du passage de l’Euribor 3 mois en territoire positif ; en janvier 2021, le taux futur Euribor 3 mois devenait positif en juillet 2029. Au cours du mois d’avril 2022, il passe en territoire positif en septembre 2022, soit une accélération de presque sept ans en l’espace de moins de dix-huit mois.
Comment se traduit cette volatilité ?
C. R. Le retour de la volatilité s’illustre par le taux de swap cinq ans, mesurant les anticipations d’évolution de l’Euribor, qui est passé de -26 bps en septembre 2021 à +122 bps au 13 avril 2022. La crise ukrainienne a agi comme accélérateur en termes d’incertitude au niveau des marchés suite aux risques de tensions géopolitiques et aura probablement un impact substantiel sur l’inflation et la croissance économique à court et moyen terme.
D. C. Quelque part, cela correspond à une réalité, la réglementation s’étant faite par Bâle. Quand on observe les premiers à 4 %, qui n’étaient pas capés, vous pouviez financer votre OPA en gageant tout sur votre chambre de bonne. Évidemment, les banques centrales ont gagné en expérience. Tout a commencé à vraiment basculer il y a quelques années lorsque l’on a dit aux banques que "pour avoir le ratio de 4 %, il ne faut pas avoir prêté plus de 60 %". C’est tout un écosystème qui avait l’habitude d’emprunter 80 % ou plus en prêt bancaire senior, qui s’est retrouvé à injecter des fonds propres. Le promoteur ou l’investisseur doit donc trouver une solution pour s’éviter un investissement de 40 % ou 50 % de fonds propres. D’où l’explosion de la mezzanine, du third lien, ou le phénomène des "regroupeurs" de family offices prêtant à des conditions parfois acrobatiques. On assiste même à des dossiers où la third lien est levée sur du crowdfunding supérieur à 20 %.
A. D. Le crowdfunding est devenu un vrai métier et ses acteurs sont à présent de véritables pourvoyeurs de fonds. Cela pose d’ailleurs plusieurs problèmes, notamment la dissociation d’intérêts entre le crowdfundeur et ses investisseurs. Le premier valorisant sa structure par rapport au volume qu’il déploie, au détriment des seconds. Au bout du compte, on assiste à l’apparition d’une bulle qui donne accès à une source d’argent trop facile.
C. R. Le marché est complètement disrupté. Le phénomène de surréglementation pousse les banques à être de plus en plus sélectives sur les financements. La crise sanitaire a marqué un tournant dans la structuration des opérations avec de plus en plus de prêteurs souhaitant désormais partager leur risque avec d’autres prêteurs via la constitution de financement dits "en pool". Au-delà du partage du risque entre prêteurs, cette syndication permet également de rassurer les comités de crédit et d’obtenir ainsi plus facilement un accord de financement. La présence des market flex n’est plus inhabituelle dans les nouvelles offres de financement (permettant au prêteur de réajuster à la hausse la marge du prêt entre le moment où le termsheet est signé et où le prêt est effectivement décaissé). Les équipes de distribution et de syndication ont une grande importance. Face à cette forte régulation, on observe l’émergence de nouveaux acteurs de plus en plus nombreux du shadow banking. Les fonds de dettes (notamment anglo- saxons mais aussi d’autres) ont gagné des parts de marché importantes avec le Covid en ayant la capacité de financer les actifs les moins core ou les actifs avec une dimension opérationnelle.
"Le crowdfunding est devenu un vrai métier et ses acteurs sont à présent de véritables pourvoyeurs de fonds"
C. M. La réglementation que suivent les sociétés de gestion est intangible, et repose sur la relation nouée avec les investisseurs, qui souscrivent à nos fonds en posant qu’il n’y aura pas d’accroc. C’est à ce prix qu’ils reviendront pour le fonds suivant. À une époque (celle de la titrisation), on déléguait l’analyse crédit à des agences de notation. On a redécouvert que le métier des sociétés de gestion consiste en l’analyse du risque. On a fait évoluer cette relation entre l’emprunteur, l’évaluation de crédit et l’investisseur ultime en passant de l’agence de rating à la société de gestion de fonds. La grande différence, c’est que cette dernière a un intérêt manifeste à ce que son analyse soit la bonne !
D. C. C’est tout à fait vrai et on retrouve avec l’intervention du shadow banking des montages qui, juridiquement, sont beaucoup plus complexes. Il faut postuler avec un pacte commissoire exécutable deux ans plus tard, et encore. Inversement, les gens comme vous ont plus tendance à aller vers la fiducie. Le coût de fiducie existe, certes, mais le secteur n’a pas encore connu une vague d’exécutions, d’un point de vue judiciaire ou pratique. Nous allons tous devoir apprendre, avec la remontée des taux, comment exécuter une fiducie, ce qui fonctionne ou non. Pour en avoir analysé un certain nombre, il y a à boire et à manger dans les différentes fiducies existantes.
C. R. On constate une augmentation des taux, ayant à présent un impact sur les marges des prêteurs. En effet, nous observons une augmentation des coûts de financement depuis le début de l’année qui varie selon les prêteurs dans une fourchette comprise entre 15 et 50 bps.
De plus, le coût des instruments de couverture pour les financements à taux variable est en train d’exploser, ce qui peut remettre en question certaines opérations et interroger sur les niveaux actuels de valorisation de certaines classes d’actifs.
Il convient aussi de mentionner le retour de clauses MAC, qui spécifient les conditions permettant de mettre un terme à la mise en place d’un financement suite à la survenue d’un événement susceptible d’impacter de façon significative la situation de l’emprunteur.
G. S. Le crowdfunding est pour vous une source de financement intéressante mais qui a un coût. Je ne connais pas de crowdfundeur qui fonctionne en dessous de 9 % à 10 %. Ce n’est pas de la mezzanine subordonnée purement et simplement à la dette senior. Du point de vue de l’emprunteur, c’est cher, du point de vue du prêteur, c’est de l’equity à peine plus chère que la mezzanine. Une nouvelle tendance émerge, là où avant on avait une mezzanine avec un partage simple des sûretés au profit de la dette senior. On a à présent des prêts structurellement subordonnés et de plus en plus d’étages. Mais la différence entre le deuxième et le troisième rang, ou plus, en qualité de prêteur est risible. L’acceptabilité par les prêteurs seniors est le point le plus bloquant de ces marchés : ils préfèrent avoir des fiducies sur des sociétés au-dessus, que d’avoir une hypothèque de deuxième ou troisième rang, que la banque en premier rang ne voudra pas donner, ou alors dans des conditions impossibles d’exercer.
D. C. Même à l’intérieur des baux commerciaux ou industriels, l’immobilier doit "obligatoirement" être logé dans des structures séparées, pour pouvoir se prêter à de la fiducie sur actions.
A. D. Pas nécessairement, il faut différencier le financement des professionnels de l’immobilier, déjà organisés pour que les actifs soient cantonnés dans des structures juridiques ad hoc, et le prêt sur gage d’une entreprise propriétaire de son siège ou de son outil immobilier. Dans ce cas de figure, le passage par une fiducie ou une filiale de cantonnement devient indispensable. L’idée est d’accéder à l’actif en dehors de la déconfiture de l’emprunteur.
Comment, au regard de ces bouleversements, optimiser la sûreté immobilière ?
D. C. Tout un univers s’ouvre à nous avec des changements législatifs. La dernière réforme sur la législation, concernant la difficulté d’entreprise, fait qu’aujourd’hui le tribunal ne peut plus accorder dix ans de délai sans l’accord des créanciers, mais doit le faire avec l’accord d’au moins une catégorie de financiers. Dans un contexte industriel ou commercial, il y a des fournisseurs qui ont un intérêt structurel à donner leur accord. Dans un contexte de financement de groupe ad hoc, cela veut nécessairement dire soit de la junior, soit de la senior, avec la third lien s’il y en a une. Le paradigme est modifié et il faut qu’au moins une catégorie de financiers l’accepte, ce qui n’est pas encore passé au travers des tribunaux de commerce. La jurisprudence tarde à arriver. Une dernière réforme est en train d’être transposée en France, et stipule que dès l’instant où une banque a notification d’une difficulté sur un crédit, elle doit le notifier à la Banque de France et provisionner sa créance dès l’ouverture d’un mandat ad hoc. Telle quelle, la banque n’a pas le droit de le déprovisionner pendant un an. Le crédit va donc coûter encore plus cher à la banque. De manière spéculative, on va devoir inventer le pré-mandat ad hoc.
A. D. Pour les fonds de dette, ces réglementations, imposées aux banques, sont du pain béni.
D. C. Au niveau des changements législatifs, on pressent des révolutions. L’une de celle que l’on omet généralement de citer concerne les PGE. Si vous êtes un investisseur immobilier pur, ce n’est pas votre sujet, si vous êtes une société industrielle ou commerciale, vous pourriez y avoir eu recours.
C. R. Alors que la plupart des prêteurs ont été accommodants pendant la crise sanitaire en octroyant massivement des reports d’échéances aux emprunteurs et des covenants holidays, certains actifs déjà obsolètes avant la crise ont vu leurs difficultés s’accentuer. C’est le cas notamment de certains centres commerciaux vieillissants ainsi que d’actifs de bureaux dont la connectivité en transports en commun est difficile. Face à cette situation, certains prêteurs se montrent compréhensifs en acceptant de renégocier la dette directement avec l’emprunteur par un allongement de la maturité du prêt, par exemple, ou en accompagnant l’emprunteur ou l’investisseur dans la transformation de son actif (en résidentiel par exemple).
L’un des points clés pour les prêteurs et les emprunteurs est la capacité de l’investisseur à injecter des fonds propres complémentaires afin de redynamiser/convertir l’actif. La question du traitement de ces fonds est un enjeu clé. Ces derniers doivent-ils bénéficier du privilège de new money ?
Une tendance importante des prochains mois concernera l’impact de l’application en France de la réforme du droit des entreprises en difficulté (ordonnance 2021-1193 du 15 septembre 2021). Cette réforme est la transposition de la directive "Restructuration et Insolvabilité" du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 et est entrée en vigueur le 1er octobre 2021. Cette réforme du droit des entreprises en difficulté s’articule avec la réforme des sûretés issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 qui a pour objectif de moderniser, de rendre plus attractif et de sécuriser le régime des sûretés.
Est-ce que cela permettra de rééquilibrer le rapport de force entre emprunteur et prêteur (historiquement en faveur de l’emprunteur) et ainsi renforcer l’attrait du marché français pour les prêteurs internationaux ?
Quel est, ou quel sera l’impact des PGE sur l’immobilier d’entreprise ?
D. C. Ils sont remboursables au bout de cinq ans, tout ça étant passé à travers une décision de la Commission européenne. Il ne revient ni à la France ni à un autre État européen de décider du délai. Un jour, ils devront être remboursés. Ils n’ont pas été accordés n’importe comment, mais, à l’évidence, un certain nombre d’entreprises vont rencontrer des difficultés à les rembourser, ce qui pourrait avoir un impact sur l’immobilier, par le nombre de faillites. Concernant les détenteurs de dette mezzanine, on observe une double tendance : un appétit pour accompagner les emprunteurs jusqu’à des endettements assez élevés, et des points assez hauts de détachement et d’attachement de la dette mezzanine. Nombre d’entrants déjà existants ont de plus en plus d’appétit pour des mezzanines moins risquées, jusqu’à un niveau de surendettement assez élevé. Ces derniers vont ensuite sortir toute la dette senior et garder la tranche la plus risquée, amenant un gros travail de structuration.
Propos recueillis par la rédaction du pôle immobilier