Les mutations qui ont touché l’immobilier ces derniers mois, perturbent certaines classes d’actifs, mais profitent à d’autres. Alors que bureaux et commerces perdent de leur attractivité, les investisseurs recherchent des alternatives.

La crise sanitaire a secoué bon nombre de secteurs, l’immobilier n’y faisant pas exception. Passé la stupeur, ses acteurs ont dû faire le bilan de cette transformation, rapide et massive par endroits, agissant comme un accélérateur de certaines tendances latentes. En œuvrant à la formation ou à l’expansion de nouveaux marchés pour le secteur immobilier, data centers, life sciences, immobilier d’enseignement, coliving ou Ehpad pourraient, à l’avenir, se tailler une part non négligeable du gâteau. Tour d’horizon des nouvelles niches immobilières. 

Enseignement : éveil concurrentiel

La forte croissance du nombre d’étudiants, tout particulièrement dans le privé, justifie l’attractivité du secteur de l’immobilier d’enseignement, ou celle-ci oscille entre 5% et 7% de plus que dans le secteur public. Les locaux y sont rares et recherchés, spécifiquement dans la capitale, comme en témoignent les sommes injectées : sur le milliard d’euros investi depuis 2011 sur l’ensemble du territoire, 74% l’étaient uniquement à destination de Paris. Olivier Lutz, head of real estate chez Quaero Capital, met en évidence "des actifs plus résilients, décorrélés des cycles économiques" et rappelle par ailleurs le taux de croissance régulier sur les trente dernières années, avec des "pics", comme en 2019, où les écoles Neoma et Skema ont amené le marché à atteindre les 250 millions d’euros.  

Ce besoin en immobilier d’enseignement ne cesse de croître, et, comme le rappelle David Bourla, directeur des études chez Knight Frank France, "Si la crise sanitaire a accéléré la révolution numérique, le tout distanciel n’est pas pour autant d’actualité". L’enseignement, tout comme la recherche, nécessitent une forme de proximité et d’échanges, qui trouvent vite leurs limites dans un recours systématique au distanciel. La multiplication des parcours proposés par des enseignements privés devrait logiquement continuer à alimenter le besoin du secteur en immobilier dans les prochaines années, renforçant ainsi son attractivité.  

Data centers : fibre immobilière  

Le doublement de la puissance numérique entre 2020 et 2021, ainsi que le rendement annuel de 17,2%, vingt fois plus élevé que le taux de marge Ebitda – le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement –, font des data centers la niche d’actifs affichant la plus forte expansion. Au niveau européen, on note une explosion du nombre de transactions, passant de 200 millions d’euros en moyenne entre 2015 et 2020, à plus d’un milliard d’euros uniquement sur l’année passée. La démultiplication des usages informatiques durant la crise sanitaire a boosté la demande en data centers et donné lieu à une tendance qui, bien qu’ayant émergé dans un contexte de confinements, ne devrait pas s’infléchir dans le "monde d’après". 

La démultiplication des usages informatiques durant la crise sanitaire a boosté la demande en data centers

Les data centers présentent l’avantage de revaloriser d’anciennes zones industrielles, devenues pour certaines des sites pollués, mais doivent cependant répondre à un ensemble de critères : connexion aux réseaux mondiaux de fibre optique, proximité avec des zones métropolitaines, absence de risques naturels, soumission aux procédures des installations classées protection de l’environnement (ICPE), soit ne pas représenter de graves dangers de nuisance. Puisque la valeur de ces actifs ne se base pas sur une surface au mètre carré mais sur de la puissance électrique, la hausse du coût de l’énergie pourrait représenter un danger pour l’attractivité du secteur. Marché à la fois stratégique et compétitif, le segment des data centers tend à entrer en concurrence avec celui des entrepôts classiques, notamment en matière d’implantation, ce qui devrait contribuer à l’augmentation de sa valeur. 

Life sciences : prise de conscience  

Secteur à l’intérêt relativement récent en France, les life sciences manifestent un attrait croissant depuis le début de la crise sanitaire. La conscience commune de l’importance de la recherche scientifique – notamment dans le secteur médical – explique en partie le doublement entre 2020 et 2021 des investissements en capital-risque destinés aux start-up de la biotechnologie, pour finalement atteindre le 1,6 milliard d’euros. Les entreprises du secteur se doivent, pour attirer des talents scientifiques internationaux, de positionner leurs locaux dans le centre des grandes villes plutôt qu’en périphérie. Ces structures, souvent directement installées dans des laboratoires, des incubateurs ainsi que des hôpitaux (à l’instar du Biopark - Gecina dans le 13e arrondissement de Paris ou de l’Institut du Cerveau de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière), la forte croissance de leurs effectifs les pousse à devoir trouver, souvent dans l’urgence, de nouveaux locaux. Traditionnellement après une série B ou C, les start-up cherchent des surfaces plus grandes, généralement sur le marché locatif tertiaire, et signent des baux commerciaux de neuf années, intégrant des clauses de libération des locaux au bout de trois à six ans. Par la quantité des installations et équipements nécessaires à son bon fonctionnement, ainsi que l’importance de sa localisation, cette classe d’actifs nécessite un partenariat entre entreprises et promoteurs aguerris. L’argent qu’injecte l’État dans ce secteur – 6 milliards d’euros dans la santé avec France Relance et 7,5 milliards avec France 2030 – témoigne du caractère stratégique primordial des life sciences dans l’Hexagone.  

Secteur à l’intérêt relativement récent en France, les life sciences manifestent un attrait croissant depuis le début de la crise sanitaire

Coliving, mieux vivre ensemble  

Du premier logement étudiant jusqu’à l’habitation groupée de personnes retraitées, la résidence cogérée s’impose comme un style de vie alternatif au logement individuel. Au croisement du logement et de l’actif immobilier tertiaire, elle présente, pour les investisseurs, l’intérêt de s’accompagner d’avantages fiscaux, qui permettent d’afficher des loyers 15% à 20% moins chers que le reste du marché. Le coliving apparaît comme un placement alternatif sécurisé, qui attire des poids lourds de l’immobilier comme Altarea, Bouygues ou encore Vinci. Dans des villes où le prix au mètre carré empêche l’accès à des logements aux dimensions adéquates pour les plus jeunes travailleurs, la mutualisation des espaces communs que propose le coliving permet d’augmenter les surfaces habitables, tout en laissant le choix de conserver un espace personnel et privatif, à l’inverse d’une simple colocation. Offre originale en comparaison au traditionnel habitat privatif, accessible à tous les âges et à divers types de populations, cette classe d’actifs se positionne comme un investissement de choix et en pleine expansion, dont l’attrait ne saurait se réduire dans les années à venir.  

Ehpad, l’âge de raison ? 

Si par la jeunesse vient la promesse d’un avenir meilleur, la vieillesse s’avère être un secteur à la destinée propice. En 2021, la France comptait 37 personnes de plus de 65 ans pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre une prévision de 51 en 2040. Ce vieillissement de la population va entraîner un besoin accru en logements aménagés spécialisés, dont la demande est déjà conséquente sur le territoire français. Des SCPI se spécialisent dans la gestion d’Ehpad, à l’instar de Primobie et Pierval Santé, à quoi s’ajoutent les investisseurs privés ou institutionnels, tels que Primonial ou Icade qui s’y diversifient. De la clinique de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), aux soins de suite et de réadaptation (SSR), en passant par les Ehpad et les centres médicaux, l’immobilier de santé regroupe plusieurs types d’actifs, dont l’intérêt réside dans leur décorrélation des cycles économiques. Spécificité du secteur, la valeur des murs d’un Ehpad tient en grande partie à l’autorisation du conseil départemental et de l’ARS, dont la visite de conformité détermine l’autorisation de financement pour une durée de quinze ans. Les opérations de concentration de capital dans le secteur de la santé attestent de l’intérêt croissant du marché pour le secteur. Si la demande pour les actifs de santé s’intensifie, elle vient se heurter à une pénurie de produits. Il faudra donc que les opérateurs réalisent des arbitrages afin que les volumes d’investissement trouvent des débouchés dans les années à venir.

Émile Le Scel

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