Canicule : parlons climat, pas météo
Tandis que la jeunesse s'inquiète, s'indigne et s'investit, quitte à perturber un tournoi du Grand Chelem en guise de signal d'alarme, certains commentateurs chevronnés, observateurs aguerris de nos chaînes d'information profitent du moindre gel pour pasticher le changement climatique, recourant à l'implacable argumentation qui consiste à dire qu'il ne faut pas parler de réchauffement car parfois il fait froid. À l'aube d'un épisode caniculaire particulièrement précoce et singulièrement farouche, les médias traditionnels parlent crème solaire, couvre-chef et hydratation. Plutôt que de questionner la fréquence de ces événements climatiques, au lieu de s'accorder sur la nécessité d'une forme de sobriété, on se dit qu'il va faire beau ce week-end et c'est trop cool !
Tous à l'eau !
Lorsque le ciel sanglote des grêlons gros comme des balles de tennis, les journaux télévisés s'émerveillent devant les images de champs réchauffés à la bougie pour en préserver les récoltes. Quelques jours plus tard, c'est au tour du soleil de jouer des coudes, de se croire au cœur de l'été et d'imposer son timing, le temps d'une semi-semaine. L'occasion d'une séance de rattrapage pour des médias qui avaient choisi, quelques mois plus tôt, de célébrer l'arrivée de Lionel Messi au PSG plutôt que de commenter les conclusions catastrophiques du dernier rapport du Giec ? Rien du tout ! Du point de vue des seules statistiques, à qui l'on fait parfois dire n'importe quoi, ce choix éditorial revêt un caractère logique, le footballeur argentin ayant remporté sept Ballons d'Or. Dans un hymne à la chaleur quasi-publicitaire et presque à l'unisson, les journaux télévisés ressortent leurs images d'enfants courant entre les fontaines d'eau qui s'invitent parfois dans les centres-villes français. Par réflexe et plutôt que d'y apprécier un syndrôme du dérèglement climatique, le télélespectateur y verra là le début de l'été, le retour des beaux jours. Les commentaires des experts en météorologie, écumeurs de plateaux télé omniscients et omniprésents, termineront de les convaincre que tout va bien, à grand renfort d'invocations de catastrophes équivalentes passées.
Lanceur d'alerte
Entre les fontaines diffusées par des médias toujours prompts à parler de météo plutôt que de climat, quelques voix se sont élevées. BFM TV, le 15 juin : à la sempiternelle image d'enfants batifolant dans l'eau s'est substituée celle d'une terre aride, craquelée, agonisante. Marc Hay, journaliste et présentateur météo de la chaîne, est invité à s'exprimer sur son changement de ton et l'évolution de son vocabulaire lors de son bulletin météorologique. "Il nous fait peur maintenant..." souffle l'animatrice, comme pour souligner cette franchise nouvelle avant que le journaliste ne s'explique : "J'ai décidé d'arrêter d'utiliser mon ton habituel. Il faut que les gens comprennent que la France va cramer cette semaine." Sur le plateau d'une chaîne concurrente, une présentratrice et son casting d'invités sceptiques, dénoncent les passions que suscite la canicule, se réjouissent que l'accomodante dénomination "plume de chaleur" puisse définir le phénomène. Toujours grave, Marc Hay poursuit : "L'été ne fait que commencer : d'autres vagues de chaleur, d'autres canicules sont possibles et tout ceci va aller en s'aggravant" précisant que "même la Bretagne sera touchée" ce qui, admettons-le, constitue un motif d'inquiétude. Une triste nouvelle mais une prise de conscience qui résonne malgré tout comme une lueur d'espoir.
Dans un post Linkedin, Jean-Marc Jancovici, un peu pinçant mais toujours pédagogue, propose aux journalistes de déserter la fontaine du coin pour aller voir "les arbres qui meurent sous le coup de ces vagues de chaud et sec", pour rendre compte des "champs dont les récoltes souffrent de la température et de la sécheresse" et pour témoigner des "infrastructures qui se fissurent à cause de la rétractation des argiles..." Au risque d'informer...
Alban Castres