Il a fallu, en 2021 encore, recycler le terme "résilience" pour couvrir d’un voile pudique la réalité de l’investissement en immobilier d’entreprise. Comme si la providence, qui semblait jusqu’alors veiller sur les marchés immobiliers, s’était estompée. Décryptage.

S’il est toujours question d’une industrie aux "fondamentaux solides", il ne s’agit plus de s’en réjouir tant cette solidité n’est plus qu’illustrée par les liquidités extravagantes qui lui sont dédiées, faute de mieux. Avec un volume investi de 26,7 milliards d’euros sur une année 2021 encore mouvementée, les investissements en immobilier d’entreprise en France ont fléchi de 8 % sur un an*. Loin des 43,4 milliards d’euros investis en 2019 et même en-deçà des 29 milliards de 2020, millésime décadent, qui avait déjà accusé une chute spectaculaire de 35 % par rapport à l’année précédente. Sur deux ans et au moyen d’un produit en croix élémentaire, la dégringolade tutoie les 40 %. De quoi remettre en cause la solidité de ces "fondamentaux" malgré un statut de valeur refuge encore valable du fait de capitaux peu aventureux dans un contexte insondable. Pis et en dépit d’un optimisme de façade, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise a péniblement atteint 4,6 milliards d’euros au premier trimestre 2022, soit une baisse de 7 % comparé au premier trimestre blafard de 2021. Il semble donc prématuré d’évoquer un rebond, sinon pour s’auto-persuader d’une sortie de crise.

Le bureau : de tabac à flop

Habituellement porté par le segment des bureaux et le dynamisme de la région Île-de-France, le marché de l’immobilier d’entreprise français n’a pu compter, cette année, sur l’indéfectible enthousiasme qui les étreint ordinairement. Avec un volume investi de 15,7 milliards d’euros, la classe d’actifs accuse d’un recul de 17 % par rapport à une année 2020 déjà cataclysmique. L’intégration du télétravail dans les habitudes professionnelles et la prudence des investisseurs à cet égard participent à traduire l’attentisme qui enclave le segment. Malgré l’invocation de toute une industrie pour un retour à la normale, l’époque bénie du 100 % présentiel, le phénomène a trouvé son explication algébrique, donc tangible, dans deux statistiques diffusées par CBRE Research : la part des entreprises franciliennes ayant opté pour une réduction de surface dans le cadre d’une prise à bail en 2021 s’élève à 41 % et la taille moyenne des réductions de surfaces observées à 32 %. Des chiffres qui contestent l’idée souvent déclinée d’un remplacement mathématique des espaces de travail par des espaces collaboratifs, sans diminution des mètres carrés pris à bail, et qui rejoignent les scénarios dressés par l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) suggérant une réduction du parc tertiaire francilien allant de 873 000  à 6 millions de mètres carrés. Au rayon des trop rares bonnes nouvelles, les marchés régionaux se sont comportés convenablement avec un montant investi de l’ordre de 3 milliards d’euros sur le segment des bureaux, soit une progression de 19 % par rapport à 2020. Les premières de la classe sont, dans cet ordre, Lyon, Bordeaux et Lille. Des prestations qui méritent des encouragements nourris dans une période où la morosité tertiaire s’est substituée à sa traditionnelle vitalité.

Il semble prématuré d’évoquer un rebond, sinon pour s’auto-persuader d’une sortie de crise

En quête d’un geste commercial

Le e-commerce, qui n’est certes pas une révolution mais qui n’a pas été dédaigné durant les confinements, a poursuivi son essor, tandis que les commerces, notamment ceux à qui l’exécutif n’a pas accordé de caractère essentiel, n’affichaient que leur désolant rideau métallique. Alors que les loyers ont conservé une certaine stabilité au cours des deux dernières années, du fait de bailleurs hostiles à l’idée de s’engager sur neuf ans et de preneurs frileux à la perspective d’ouvrir un commerce dans une période brumeuse, ils régressent tout doucement, notamment du fait de la vacance qui affecte désormais certaines veines commerciales de Paris. Une conjoncture plus que défavorable qui a accouché d’une année calamiteuse pour le segment : après un premier semestre atone, le segment a péniblement atteint les 3 milliards d’euros d’investissement, une chute de 34 % relativement à un exercice 2020 qui n’avait déjà pas de quoi fanfaronner. Un résultat à nuancer selon le sous-segment, centres commerciaux et  commerces de pied d’immeuble ayant largement sous-performé quand les commerces de périphérie comme les retail parks se sont mieux portés, suffisamment pour amadouer quelques investisseurs.

Alors que l’immobilier consistait jadis à utiliser au mieux un mètre carré, il apparaît désormais que le nouveau paradigme consiste à dépenser au mieux un euro

Industrie sélective

Au risque de défier La Palice et de paraphraser n’importe quel acteur de l’immobilier d’entreprise, la crise sanitaire a promu la formulation de notre dépendance à la logistique. La fermeture des commerces et le télétravail généralisé ont contribué à un repositionnement consumériste forcé qui a consisté en l’usage accru des commandes en ligne, donc à la nécessité d’une supply chain d’excellence. L’immobilier industriel, en ce compris la logistique et les locaux d’activité, a ainsi enregistré un investissement record de quelques 6,7 milliards d’euros soit 25 % des montants engagés en immobilier d’entreprise en France, contre environ 15 % l’année précédente.

Sans surprise toujours, l’hôtellerie, du fait de fermetures contraintes, de la régression spectaculaire du tourisme d’affaires et de la chute historique de fréquentation de la clientèle internationale, a été considérablement éprouvée en 2020. Pour autant, l’année 2021 aura été marquée par un léger rebond, le segment ayant enregistré un volume d’investissement d’environ un milliard d’euros. L’embellie conjoncturelle des marchés locatifs, la réserve de capitaux et la préservation des taux financiers, promet un correctif des volumes d’investissement cette année.

Alors que l’immobilier consistait jadis à utiliser au mieux un mètre carré, il apparaît désormais que le nouveau paradigme consiste à dépenser au mieux un euro. Le corollaire de ce nouveau modèle implique de nouvelles stratégies moins risquées, où l’attentisme revêt une prudence naguère synonyme de couardise plutôt que de sagesse. Alors 26,7 milliards d’euros ce n’est pas beaucoup, mais c’est quand même pas mal.

Alban Castres

Sources : CBRE, Immostat, BNP Paribas Real Estate. 

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