Le dernier rapport du Giec a fait l’effet d’une bombe, dont l’onde de choc a été diluée dans celles qui ébranlent actuellement l’Ukraine. "Nous sommes en guerre", disait-on face à la pandémie, dit-on aujourd’hui devant la Russie. Le Giec nous dit qu’au regard de la menace climatique, ces défis aussi majeurs soient-ils, sont à classer au rang de simples escarmouches.

Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, pose le décor : "J’ai vu de nombreux rapports scientifiques dans ma vie, mais rien de comparable à celui-ci. Près de la moitié de l’humanité vit dans la zone de danger – maintenant. De nombreux écosystèmes ont atteint le point de non-retour – maintenant. Les faits sont indéniables." Nous ne pouvons plus regarder ailleurs, ce sont bien les fondements mêmes de la civilisation humaine dans son ensemble qui sont menacés, avec un risque concret d’effondrements en cascade. En clair : au-delà de +2°C, c’est notre capacité même à nous adapter au changement climatique qui sera compromise. "Tout délai supplémentaire dans l’atténuation ou l’adaptation compromet l’avenir", avertissent les experts du Giec.

Repli stratégique… ou Bérézina

Ainsi, à bien des égards, la partie est déjà perdue. Des espèces et des écosystèmes entiers disparaîtront, des villes côtières seront englouties sous les eaux, des centaines de millions de personnes seront déplacées, les sécheresses et événements climatiques extrêmes vont augmenter et avec eux la famine qui découlera de leur impact sur l’agriculture mondiale. Mais le repli stratégique est encore possible, la bérézina encore évitable. Car si, selon le Giec, 800 millions à 3 milliards de personnes subiront des pénuries d’eau chronique dans un scénario à +2°C, ce chiffre monte à 4 milliards si l’on atteint les +4°C. De la même manière, le risque d’extinction des espèces est 10 fois plus élevé dans un monde à +3°C, que dans l’objectif des 1,5°C fixé par l’Accord de Paris. Bref, nous y laisserons des plumes mais il est encore temps de sauver les meubles.

Enclencher un cercle vertueux

"En investissant dans l'adaptation maintenant, le monde évitera des investissements plus importants à l'avenir. De plus, l'adaptation peut générer de multiples avantages : assurer la productivité de la pêche, de l'agriculture et des entreprises, favoriser l'innovation, la santé et le bien-être, renforcer la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations, et reconstruire et renforcer la nature, tout en réduisant les risques et les dommages climatiques", relèvent notamment les experts du Giec. "Les écosystèmes en bonne santé sont plus résilients au changement climatique et procurent des services vitaux comme la nourriture et l’eau potable", abonde Hans-Otto Pörtner, coprésident du Groupe de travail II du GIEC. "En restaurant les écosystèmes dégradés et en préservant efficacement et équitablement 30 à 50 % des habitats terrestres, océaniques et d’eau douce, la société profitera de la capacité qu’a la nature d’absorber et de stocker le carbone et nous accéderons plus vite à un développement durable, mais la volonté politique et un financement adéquat sont essentiels."

Guerre commune et totale

Le temps n’est plus aux demi-mesures, à repousser les choix difficiles à demain. Face à cette menace existentielle pour l’humanité dans son ensemble, c’est bien toutes les ressources, toutes les énergies, dans tous les secteurs d’activité et régions du monde qui doivent se tourner vers la transition écologique de nos modes de vie. "Notre évaluation montre clairement que, pour relever ces différents défis, tout le monde – gouvernements, secteur privé, société civile – doit œuvrer de concert et en priorité à la réduction des risques, de même qu’à l’équité et à la justice, dans le processus décisionnel et l’investissement. Cela permettra de concilier des intérêts, des valeurs et des visions du monde qui divergent. Les solutions seront plus efficaces si elles allient les connaissances scientifiques, les compétences technologiques et les savoirs autochtones et locaux", assure Debra Roberts, coprésidente du Groupe de travail II du GIEC.

Révolution copernicienne

Impossible ? On disait l’Europe faible, divisée, incapable de prendre des décisions fortes, unanimes, coordonnées. En quelques jours et face à la menace perçue comme existentielle que représentait l’invasion russe de l’Ukraine, elle a su se révéler puissance économique, politique, militaire et souveraine, enclenchant une véritable révolution copernicienne.

Preuve qu'au bord du gouffre, l’humanité peut mobiliser des sources de résilience insoupçonnées. Avec un pied et demi dans l'abîme, il s'agirait de ne plus trop tarder à se réveiller. 

Antoine Morlighem

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