Beaucoup voient la blockchain et les cryptomonnaies comme la nouvelle révolution technologique appelée à disrupter nos sociétés. Avec la décentralisation, la transparence et l’infalsifiabilité comme atouts ; la démocratisation, la prospérité économique et une meilleure administration de l’État comme promesses. Le continent africain fait aujourd’hui figure d’eldorado pour cette technologie, même si des risques demeurent. Décryptage.

Pourquoi l’Afrique ? Côté pile, selon Yele Bademosi, directeur général de Bundle Africa qui oeuvre dans le domaine : "Une population jeune, une forte pénétration des connexions mobiles et une infrastructure bien établie sont les principaux facteurs qui contribuent à l’accélération de l’adoption des monnaies numériques et de la blockchain en Afrique." Côté face, ces technologies répondent à des défauts structurels qui minent le développement du continent, tels que le faible accès aux services bancaires ou le manque de transparence dans les chaînes logistiques ou la collecte de financement pour des projets.

Services financiers… mais pas que

Le manque de confiance de la part des investisseurs serait ainsi l’un des freins majeurs au développement du continent. C’est ce que soulignaient Stéphane Brabant, Sylvain Cariou, Gilles Mentré et Wilfrid Lauriano Do Rego en avril 2021, dans une tribune commune : "La confiance dans la bonne gestion par les États des fonds qui leur sont alloués est essentielle pour les investisseurs ou donateurs. Des mesures fortes et radicales doivent être mises en place par tous les intervenants, des donateurs et prêteurs aux bénéficiaires finaux, en passant par les intermédiaires et les États. C’est à ce prix que la confiance pourra être restaurée et qu’avec elle les flux de prêts et de dons pourront être sécurisés. Une technologie existe pour y parvenir. Il s’agit de la blockchain." Et de mettre en avant les bénéfices annexes en termes de gouvernance éthique et démocratiques, comme l’enregistrement de titres fonciers incontestables ou la traçabilité de l’octroi des marchés publics par exemple. Selon un document de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), la blockchain pourrait aussi être utilisée dans de nombreuses applications servant le développement durable. Mais, pour l’heure, l’institution regrette que l’innovation se concentre sur des applications financières déconnectées de l’économie réelle : "Pour la plupart des innovations dans ce domaine, l’objectif est de tirer profit en prélevant des rentes via des intermédiaires financiers, réalisant ainsi des gains spéculatifs sur des actifs crypto-financiers au lieu de créer une valeur réelle par le biais de nouveaux produits et services." Des promesses, oui, à condition que les États encadrent la technologie et la dirigent au service de l’économie réelle.

"Les cryptomonnaies et la blockchain pourraient augmenter le PIB du Nigeria de 29 Md$ au cours des dix prochaines années"

Le Nigeria lance sa crypto

Le Nigeria est devenu au mois d’octobre 2021 "le premier pays d’Afrique et l’un des premiers au monde à introduire une monnaie numérique pour ses citoyens", s’est réjoui le président Muhammadu Buhari à l’occasion de la cérémonie de lancement d’eNaira, la version numérique de la monnaie nationale. Fruit de cinq ans de travaux menés par la Banque centrale du pays, elle a pour objectif de faciliter les transactions financières pour tous, participant ainsi à la vitalité de l’économie du Nigeria : "Parallèlement aux innovations numériques, les CBDC [monnaies numériques de banques centrales, NDLR] peuvent favoriser la croissance économique grâce à de meilleures activités économiques. En effet, certaines estimations indiquent que l’adoption de la CBDC et de sa technologie sous-jacente, appelée blockchain, peut augmenter le PIB du Nigeria de 29 milliards de dollars au cours des dix prochaines années", conclut le président Buhari. Le Ghana teste actuellement sa e-monnaie et devrait bientôt lui emboîter le pas.

Demain, une cryptomonnaie panafricaine ?

C’est en tout cas le souhait émis par Anouar Hassoune, directeur général de West Africa Rating Agency, à l’occasion de la 16e édition de la Conférence économique africaine, en septembre dernier au Cap Vert : "Je pense qu’il est grand temps d’embrasser le XXIe et le XXIIe siècle [...] de créer une cryptomonnaie africaine qui serait acceptée dans chacun des États membres comme une devise alternative. Je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas. Cette cryptomonnaie devrait être adossée à des actifs dont nous disposons, c’est-à-dire nos ressources naturelles." À suivre.

Antoine Morlighem

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