Dans un contexte contraignant doublé d’une propension globale à l’attentisme, AG Real Estate poursuit son infiltration du marché français à travers la promotion et l’investissement. Arnaud Guennoc, directeur général Head of Development France, et Thibault Delamain, directeur général & Head of Investment & Asset Management France évoquent les bouleversements liés à la crise sanitaire et détaillent la stratégie du groupe en France.

Décideurs. Quel est le positionnement d’AG Real Estate ?

Arnaud Guennoc. AG Real Estate est la filiale immobilière du groupe d’assurances AG Insurance, leader sur le marché des assurances en Belgique. Opérateur immobilier intégré, actif en Belgique, France et Luxembourg, elle est présente dans différents métiers : Investissement, Asset & Property Management, Development & Construction Management, Partenariats public-privé et Financement immobilier. Gérant un portefeuille d’actifs immobiliers d’une valeur d’environ 6,5 milliards d’euros, elle a un pipeline en développement d’environ 900 000 m² en bureaux, résidentiel et retail. AG Real Estate a racheté, en 2002, un promoteur belge du nom de Bernheim-Comofi dont nous avions intégré les ressources, le savoir-faire et le pipeline d’opérations.

Nous sommes présents en France depuis une quinzaine d’années, dans un premier temps grâce à la promotion immobilière pour développer un site tertiaire à Gennevilliers (Carré 92) sur lequel AG Real Estate a réalisé un premier clé-en-main pour le siège d’UP Chèques Déjeuner sur 30 000 m² puis un deuxième pour Thales Communications & Sécurité sur 90 000 m². À partir de 2011, AG Real Estate a eu la volonté de se développer de manière plus dynamique en France sur ses deux métiers de prédilection que sont la promotion immobilière et l’investissement. Depuis lors, Thibault Delamain et moi-même développons notre patrimoine et les opérations de promotion en immobilier d’entreprise notamment sur Paris et sa première couronne.

Dans notre actualité, nous développons la tour Hekla à La Défense, en co-promotion avec Hines, et l’architecte Jean Nouvel, un actif tertiaire de 80 000 m² à livrer en septembre 2022. Nous travaillons également sur Bruneseau, un projet mixte à Paris 13 entre les tours Duo et la Seine, sur lequel nous allons développer 100 000 m² avec 50 000 m² en résidentiel ainsi que des commerces et des bureaux.

Thibault Delamain. Le patrimoine français représente un peu plus de 1,2 milliard d’euros d’actifs, et il est constitué à 30 % de bureaux, à 30 % de retail et à 20 % de logistique et le solde en immobilier de diversification. Nous intervenons en direct sur la gestion de ce patrimoine, avec nos propres équipes administratives et comptables ainsi qu’avec une culture du client exacerbée : nous voulons être le plus proche possible de nos locataires et ne pas confier cette relation à des tiers. Le patrimoine a évolué régulièrement depuis notre arrivée en France avec des investissements aussi bien sur des opérations "core" sécurisées que sur des opérations plus risquées à création de valeur. C’est d’ailleurs sur cette tendance que nous sommes intervenus ces dernières années.

Vous intervenez sur toutes les typologies d’actifs, quelles sont vos convictions concernant l’évolution des marchés immobiliers ?

T. D. Il serait délicat de dire que la crise sanitaire ne nous a pas bouleversés ou n’a pas eu d’impact sur notre marché à plusieurs niveaux. Néanmoins, notre premier constat confirme que l’immobilier est resté une valeur refuge. Pour commencer par le marché des bureaux, la demande placée a été fortement affectée, les chiffres d’Immostat de 2021 confirment une certaine reprise, mais l’activité reste inférieure de 20 % à la moyenne décennale de demande placée en Île-de-France et c’est principalement les grandes transactions qui en ont souffert. Du côté d’AG Real Estate France, nous maintenons notre stratégie et nous efforçons d’investir sur des actifs dont les localisations sont pertinentes par rapport à des connexions en transports que ce soit dans Paris, au niveau des différents projets du Grand Paris et en province. Nous privilégions les quartiers où la mixité des usages donne une attractivité nouvelle aux espaces de bureaux ouverts sur leur environnement local. Par ailleurs, nous adaptons les services de nos immeubles afin de répondre à la flexibilité et aux demandes des utilisateurs qui se posent beaucoup de questions et qui n’ont pas tous les mêmes problématiques. Dans cette optique, nous nous efforçons de catégoriser nos actifs tertiaires selon leur taille car les besoins des utilisateurs n’y sont pas nécessairement les mêmes et nous nous devons de nous adapter. Aussi, nous observons beaucoup de mutations notamment en ce qui concerne le bureau avec l’impact du télétravail, du flex office, de la mixité des usages, du décret tertiaire et des critères ESG à prendre en compte dans nos investissements.

"Il serait délicat de dire que la crise sanitaire ne nous a pas bouleversés"

En logistique, nous assistons à un emballement du secteur qui est sous le feu des projecteurs depuis qu’il a été constaté l’importance des flux logistiques dans l’économie. AG Real Estate est très actif sur ce segment depuis quelques années dans une optique de diversification de nos rendements et nos revenus. Nous y sommes maintenant un peu plus réticents du fait de niveaux de rendement plus faibles que ceux connus il y a quelques années. Par ailleurs, nous restons prudents vis-à-vis de l’essor annoncé des valeurs locatives du secteur. Certaines zones vont augmenter par pénurie de foncier ou d’actifs tandis que d’autres vont avoir tendance à stagner.

En retail, nous intervenons peu mais conservons nos actifs high street.

En dehors de ces classes d’actifs et toujours dans cette logique de diversification, nous sommes propriétaires d’un patrimoine d’immobilier d’exploitation comptabilisant une cinquantaine de dépôts de bus opérés par Keolis et Transdev, filiales de la SNCF et de la Caisse des Dépôts, qui sont également des entreprises extrêmement résilientes. Il s’agit d’opérateurs intervenant en délégation de services publics pour du transport de personnes un peu partout en France.

A. G. En promotion, nous travaillons sur deux typologies d’actifs : le résidentiel et le bureau. Ce qui est certain c’est que la crise sanitaire a modifié le marché des bureaux à court terme. Nous ne sommes pas inquiets concernant le dynamisme de la demande placée à plus long terme. Les projets lancés, en corrélation avec la demande placée plus faible de ces deux dernières années, vont participer à l’augmentation du stock, nous sommes donc un peu moins enclins à démarrer de nouvelles opérations tertiaires à risque à court terme en attendant que cette demande placée retrouve un peu d’embellie. Pour synthétiser notre stratégie en immobilier tertiaire : nous sommes encore plus sélectifs sur la localisation, la qualité des transports en commun et l’environnement immédiat ainsi que sur les fondamentaux du marché, le taux de vacance et le stock futur. Notre capacité à nous inscrire sur des opérations résidentielles nous permet de poursuivre nos développements sur cet aspect. Ces opérations bénéficient d’un terrain de jeu peu plus large qu’en immobilier tertiaire notamment vis-à-vis de la distance aux transports en commun.

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Tour Hekla (©Autre Image)

Vous avez souligné l’importance des critères environnementaux. Comment s’inscrivent-ils dans votre stratégie ?

A. G. Depuis de nombreuses années, nous avons cette volonté d’être systématiquement labellisés. Ça passe par une réflexion sur la réduction des consommations énergétiques et la minimisation de l’empreinte carbone, dès l’étude d’un projet. Nous étudions, pour chaque projet, les solutions à mettre en œuvre sans cahier des charges types. Nous avons aujourd’hui une réflexion importante sur la construction bas carbone et l’utilisation de matériaux biosourcés. Nous n’allons pas systématiquement avoir recours à la construction bois : sur un immeuble de grande hauteur avec des problématiques de réglementations incendie, on peut intégrer du bois mais pas totalement. Il existe d’autres opérations qui vont nécessiter d’autres matériaux biosourcés : notre secteur rencontre aujourd’hui une forte pression sur le bois, et l’industrie bois n’est pas forcément en capacité d’alimenter toutes les opérations. Il apparaît donc nécessaire de réfléchir et d’expérimenter d’autres solutions. On ne va pas avoir la même réponse sur un IGH de 180 mètres de haut que sur une opération résidentielle qui va se développer sur quatre étages. La RE2020 n’est pas encore opérationnelle donc nous n’en avons pas toutes les données, ce qui va nous forcer à apprendre en marchant. Il va falloir trouver d’autres solutions constructives et ne pas être "mono-réponse". Certains actifs tertiaires vont devenir totalement obsolètes, il faut donc entamer une réflexion sur leur reconversion en résidentiel. Ce n’est pas toujours évident de redéfinir la morphologie d’un immeuble de bureaux, ça nécessite un peu de matière grise mais c’est ce qui nous anime.

"Depuis de nombreuses années, nous avons cette volonté d’être systématiquement labellisés"

Pourriez-vous nous décrire votre activité en matière d’infrastructures publiques. Diversification ?

T. D. Nous sommes très actifs en Belgique sur ce domaine. Cela vient historiquement d’un programme de développement de près de 200 écoles flamandes, conçues, construites, financées et gérées par AG Real Estate dans le cadre d’un Partenariat Public Privé. Cela ne s’arrête pas à ces écoles, en témoigne la livraison récente de hangars de maintenance accueillant des avions Airbus A400M de la Défense Belge. Ce sont des opérations de très long terme avec beaucoup de connexions avec les autorités publiques. Nous sommes moins actifs en France, à l’exception de nos financements dans des dépôts de bus qui constituent finalement de la délégation de services publics opérée par des entreprises semi-privées. Nous sommes, par ailleurs, actionnaire majoritaire de la société Interparking qui, selon les classements, se place à la deuxième ou à la troisième place des opérateurs de parkings en Europe. Toutes ces activités mettent en exergue le fait qu’AG Real Estate est un investisseur long terme avec des flux sécurisés et résilients.

Quels sont vos axes de développement à court, moyen et long terme ?

T. D. On se qualifie souvent comme une start-up rattachée à un acteur institutionnel. En France, nous sommes une équipe relativement agile d’une vingtaine de collaborateurs dédiée à nos métiers de promotion immobilière et d’investissement. Nous n’avons jamais eu de feuille de route complètement figée et constituons notre patrimoine au gré des occasions d’où notre essor sur le résidentiel, activité qui nous manquait il y a encore deux ans. Notre stratégie réside dans la recherche d’opérations qui répondent à un instant T à la problématique de notre compagnie d’assurances : générer des flux relativement sécurisés sur le long terme, sans être forcément immédiats, ou développer des opérations à création de valeur dans la promotion pour dégager de la marge.

Les bâtiments pourraient à l’avenir être moins contraints en matière de destination. Le phénomène va-t-il se répandre ou est-ce marginal ?

A. G. Ce sont encore des décisions locales avec un maire qui a le dernier mot sur le choix programmatique de son périmètre. Il va décider sur sa commune de la destination des zones. Certaines peuvent être tertiaires, d’autres résidentielles, d’autres enfin acceptent les deux programmations, sans imposition de destination. Dans ce cas, la collectivité ou l’État seront amenés, fatalement, à perdre un peu de maîtrise programmatique. Dans le cas du tertiaire, le pouvoir public en maîtrise la programmation par l’agrément, par la production de logements qu’il peut exiger en compensation des mètres carrés de bureaux. Sans destination, il est difficile de maîtriser cette production. Cela pourrait effectivement être assez intéressant d’avoir des autorisations administratives qui autorisent l’un ou l’autre, laissant le marché déterminer de l’hypothèse la plus pertinente à un instant selon les demandes du marché. Certaines contraintes politiques locales peuvent être en désaccord avec certaines volontés de l’État. Quand celui-ci encourage à la production de logements, sa volonté peut se heurter au refus d’un maire d’en accueillir de nouveaux.

Propos recueillis par Alban Castres

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