Dès son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a voulu impulser un renouveau de la relation avec le continent africain, notamment par la création du Conseil présidentiel pour l’Afrique. À l’approche de la fin du quinquennat, Décideurs a souhaité rencontrer son coordonnateur, Wilfrid Lauriano do Rego, pour partager cette nouvelle ambition des relations franco-africaines. Entretien.

Décideurs. Quel est votre parcours ?

Wilfrid Lauriano do Rego. Je suis né à Cotonou, deux mois après l’indépendance de ce qui était la République du Dahomey. J’ai réalisé une partie de mes études à Dakar. Cette étape a été très importante pour moi, j’y ai certainement forgé mes convictions d’aujourd’hui sur l’émancipation des jeunes, l’emploi et l’entrepreneuriat en Afrique. Je décide ensuite de poursuivre mon cursus d’expert-comptable en France à l’Institut d’administration des entreprises de Bordeaux, puis à l’École supérieure de commerce de Paris avant d’intégrer KPMG France, où je passerai toute ma carrière. En 2016, j’intègre le Conseil de surveillance dont j’ai pris la présidence en 2019 pour un mandat de trois ans. J’ai conscience de la chance qui a été la mienne depuis le Bénin, et j’ai toujours cherché à faire de mon histoire une inspiration pour les plus jeunes. J’aime dire que je me suis naturalisé, car c’est un effort d’intégrer la République. Mais mon lien à l’Afrique ne s’est jamais distendu. Je dirais même que j’en ai besoin pour être pleinement français. À 25 ans, j’ai d’abord adhéré à une association regroupant les cadres africains à Paris, CAP 2000, dans le but d’agir pour l’avenir de l’Afrique. Et dès 2004, je me suis beaucoup investi au sein du Club 21e Siècle, qui ambitionne de faire de la diversité une force pour la République. C’est sans doute pour toutes ces raisons que le président de la République a souhaité que je prenne la tête du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA).

Quel est le rôle de ce Conseil ?

Le CPA a été conçu pour engager un tournant dans nos relations avec l’Afrique. Aux côtés des institutions, c’est une innovation politique, tant par sa forme que par ses missions, qui vise à redéfinir nos liens avec le continent , en impliquant la société civile, le secteur privé, les diasporas et les associations, dans un esprit de dialogue. Notre travail est de prendre le pouls de la société civile et des diasporas pour transmettre leurs attentes et leurs préoccupations au président de la République. Nous formulons ensuite des propositions d'actions dans tous les domaines qui rythment la relation avec l’Afrique : l’entrepreneuriat, la culture, le développement durable, l’éducation, la santé, la gouvernance, les droits humains… Nous menons également des projets concrets qui font bouger les lignes, qui bousculent les habitudes. Nous pourrons y revenir.

Comment a été accueillie la création du CPA en Afrique ?

Comme toute innovation, l’accueil a d’abord été assez mitigé… surtout du côté français ! Mais au fur et à mesure des initiatives portées par le CPA, l’organisation a su affirmer son positionnement de véritable plateforme d’idées et d’échanges, et d’impulsion de nouveaux projets entre la France et l’Afrique. Notre rôle n’est pas de court-circuiter la diplomatie et les relations d’États à États, mais d’ouvrir une nouvelle voie de dialogue avec la société civile et les entreprises, fondée sur des priorités de développement économique et social, mais aussi de transition écologique, numérique et démocratique. Nous avons également à cœur de construire avec nos PME et nos startup françaises, de nouveaux ponts pour prendre pleinement part au développement du continent, en générant de la valeur des deux côtés de la Méditerranée.

"Je crois profondément à une meilleure implication du secteur privé dans les relations entre la France et l’Afrique."

Quel bilan faites-vous du Sommet Afrique-France de Montpellier ?

Ce Sommet sans la présence de chefs d’État, était tourné vers les acteurs du changement, tous ceux qui façonnent l’Afrique d’aujourd’hui et de demain, ceux aussi qui permettent de vaincre les stéréotypes et les préjugés. Ce fut d’abord l’heure d’un premier bilan, quatre ans après le discours fondateur de Ouagadougou. Face à onze jeunes issus de la société civile et des diasporas, Emmanuel Macron était à l’écoute. La relation avec l’Afrique a évolué dans toutes ses dimensions : la priorité donnée à l'éducation et à l'enseignement supérieur, le soutien inédit à l'entrepreneuriat et l'innovation, la révolution des mobilités, le nouveau projet pour la Francophonie, la protection du climat et le renforcement de la sécurité collective, la promotion des cultures africaines et la restitution du patrimoine culturel... Mais cette nouvelle relation n’en est qu’à ses débuts ! Si nous voulons aller au bout des ambitions exprimées à Ouagadougou, les nouveaux chantiers ouverts à Montpellier doivent être pris en main.

Quels sont-ils ?

Je pense au fonds de soutien à la démocratie, afin de promouvoir les initiatives innovantes en matière d’accès à la justice, d'action contre la corruption, de transparence des institutions, d'action contre les violences à l’égard des femmes. Je pense aussi à la mise en place d'une Maison des mondes africains et des diasporas en France, vouée à la création artistique, au débat d’idées et à l’entrepreneuriat, dont les travaux ont déjà débuté. N’oublions pas toutes les initiatives qui permettront de transformer l’aide publique au développement, comme le préconise le Rapport d’Achille Mbembe remis à Emmanuel Macron. Je crois profondément à une meilleure implication du secteur privé dans les relations entre la France et l’Afrique, à la création d’une priorité politique pour l’entrepreneuriat et l’investissement durable, qui ferait travailler main dans la main, acteurs publics et entreprises. Il s’agit de développer une diplomatie économique ambitieuse, pour renforcer l’articulation de notre politique commerciale aux défis du continent, pour faire du développement des entreprises françaises en Afrique et des entreprises africaines, le moteur de la création d’emploi pour les jeunes et de la lutte contre la pauvreté. Je crois aussi au rôle des entreprises françaises pour accélérer la mise en œuvre des Objectifs de développement durable dans des secteurs porteurs comme l’agroalimentaire, le numérique, ou encore la santé. Seules les entreprises sont capables de créer de la richesse et des emplois, à la fois en France et en Afrique, tout en apportant des réponses adaptées aux enjeux du continent.

"Les opportunités économiques issues du renouveau de la relation entre la France et les pays d’Afrique sont autant d’opportunités pour les diasporas."

Quel rôle peut jouer la diaspora africaine dans cette nouvelle relation ?

Elle se trouve au cœur de la relation ! Dans tous les domaines, politiques, économiques, culturels, les diasporas sont les meilleurs ambassadeurs de la France sur le continent africain et de l’Afrique en France. Elles véhiculent les valeurs qu’elles portent, les codes, et les pratiques de la France et de leur pays d’origine, elles sont des passeurs de culture, d’histoire et de mémoire qui enrichissent mutuellement nos deux continents.Elles ont donc un rôle essentiel à jouer. Pourtant, les jeunes de la diaspora ont encore le sentiment qu'ils n'ont pas leur place, qu’ils participent à faire tourner un pays qui ne leur offre pas toutes les chances de réussir. C’est le bon moment pour parler à ces jeunes issus des diasporas en France, dans les quartiers prioritaires, afin qu’ils puissent comprendre la chance qu’ils sont pour la France, prendre conscience que leur double culture est un atout inestimable pour leur avenir et celui de la nation afin de faire gagner l’Afrique, la France et l’Europe. Car les opportunités économiques issues du renouveau de la relation entre la France et les pays d’Afrique sont autant d’opportunités pour les diasporas ! Le sondage que nous avons commandé à l’institut d’étude OpinionWay en 2020 sur les attentes des Français de la diaspora, indique que plus de 70 % des répondants appellent à plus d’opportunités avec l’Afrique ! Et c’est aussi ce qui ressort des débats de notre tour de France pour l’entrepreneuriat des diasporas, qui nous ont amenés à créer le Pass Africa en collaboration avec Bpifrance : un dispositif inédit d’accélération pour soutenir ces entrepreneurs entre les deux continents. J’en suis convaincu, l’ambition de notre diplomatie économique passera par l’ambition de nos diasporas. Malheureusement, trop souvent on ne parle des diasporas que sous le prisme de l’intégration. Mais elles sont une chance pour le pays et pour les entreprises françaises. On ne compte plus le nombre d’études qui montrent que la diversité est une source de performance pour nos entreprises.

Quel rôle peut jouer l’Europe dans la construction de cette nouvelle relation, notamment à l’heure de la présidence française de l’Union ?

Nous sommes arrivés à une étape importante de la redéfinition de la division Nord-Sud, qui passera d’abord par un changement de regard des acteurs du Nord sur le Sud. Après le Sommet sur le financement des économies africaines du 18 mai dernier, le prochain Sommet Union européenne - Union africaine ouvre la voie à une ambition européenne pour le financement du développement, l’entrepreneuriat et l’investissement productif. Mais toutes ces mesures ne pourront être pleinement efficaces sans un travail de sensibilisation des acteurs financiers sur la perception du risque en Afrique car ils continuent à avoir une vision erronée des marchés. Il est primordial d’inventer des solutions innovantes de gestion et de partage des risques, mais aussi d’accompagner les banques dans la prise en compte du risque réel, plutôt qu’un risque perçu, totalement décalé des réalités. Pour relever les défis du développement en Afrique, l’industrialisation, l’emploi des jeunes et l’entrepreneuriat, la sécurité alimentaire, le financement des services essentiels, l’accès à l’énergie, les transitions écologique et numérique, les migrations ou encore la mobilité, il faut également impulser une nouvelle façon de faire de la coopération et de faire des affaires, une nouvelle forme de partenariat entre les secteurs public et privé. Il s’agit là aussi d’un changement de regard.

Comment la nouvelle diplomatie économique que vous prônez s’inscrit-elle concrètement dans ce « changement de regard » ?

Aujourd’hui, la France peine à investir dans les pays anglophones, et ses parts de marché à l’exportation ont été divisées par deux depuis 2000 en Afrique, au profit de l’Allemagne, mais aussi la Chine, l’Inde, la Turquie, la Russie et les États-Unis. Pourtant, les acteurs et les réseaux français qui interviennent en Afrique agissent toujours en silo. Pas de vision commune, pas de priorité partagée. Pas assez de vitalité et d’innovations pour projeter la puissance des entreprises françaises sur le continent, pour créer de la richesse et des emplois, tisser des liens durables avec nos homologues, générer de l’impact et de nouveaux équilibres. C’est, à mon sens, une erreur car le ressentiment de la jeunesse de nombreux pays envers la France se nourrit de cette façon de procéder. Pour ma part, je crois à une nouvelle dimension partenariale, à la construction d’une « Team France » pour l’investissement en Afrique, qui rassemble tous les acteurs de l’entreprise, de l’investissement, de la coopération internationale, mais aussi les diasporas, acteurs devenus incontournables, au service de la transformation du continent africain et de nos relations. Dans cette nouvelle voie, il est également nécessaire d’accompagner les entreprises africaines en France, et les innovations « made in Africa » dans nos régions, pour créer plus d’emplois dans les services, le numérique ou encore l’industrie. Le renouveau de notre diplomatie économique se joue dans les deux sens !

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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