La crise sanitaire et les enjeux écologiques ont rebattu les cartes de l’aménagement des territoires. Didier Seban, associé gérant chez Seban & Associés, revient sur cette période particulière et détaille les nouvelles tendances de l’urbanisme.

Décideurs. Quels sont les faits marquants dans le cadre du développement du cabinet ces derniers mois ?

Didier Seban. Cette année, nous avons atteint le seuil des 100 avocats au sein de Seban & Associés et de ses filiales, un événement que nous allons fêter. Nous sommes heureux d’avoir ouvert trois nouvelles implantations, à Rennes avec Seban Armorique, à Lille avec Seban Hauts-de-France et à Strasbourg avec Seban Grand Est. Nous travaillons sur deux nouvelles implantations à Marseille et à Nice, nous maillons déjà la France grâce à onze antennes. Nous avons également modernisé notre offre de formation pour en offrir l’accès à nos clients en région. Notre cabinet dédié à la défense des acteurs publics, de leurs outils et des structures de l’économie sociale et solidaire se porte donc bien.

Et en matière d’activité ? 

Notre activité est en forte croissance avec une dizaine de nouveaux recrutements d’avocats en 2021 et autant de recrutements en cours. Nous avons identifié beaucoup de sujets porteurs comme la rénovation hospitalière, en ligne avec le plan Santé du gouvernement. La crise sanitaire a mis en exergue des difficultés majeures du système hospitalier, et du secteur social et médico-social, qu’il est temps de corriger. 
Autre sujet qui nous occupe : la consolidation des rapprochements et des regroupements qui transforment le logement social. Ces différents mouvements se poursuivront en 2021 et pour les années à venir. 
Toutes les problématiques liées à la transition énergétique et à la maîtrise de la demande d’énergie, comprenant la rénovation thermique des bâtiments, avec les études de faisabilité, la conduite des négociations, l’organisation des mises en concurrence, les projets multi-organismes, multi-collectivités, nous mobilisent beaucoup. 
Avec la création des offices fonciers solidaires, nous assistons à la création d’un mode d’accession à la propriété et sommes très impliqués dans la mise en place de ces organismes.
Le foncier autorise la construction et la maîtrise du foncier, au travers de ces offices fonciers, comme au travers des établissements publics fonciers, est une question cruciale.
Si nous avons maillé le territoire français et ses métropoles, cela ne procède pas seulement d’une volonté d’être nombreux pour répondre aux demandes diversifiées de nos clients mais d’un désir de proximité. Avec la métropolisation, les centres de pouvoir réclament cette proximité d’où notre déploiement au service de l’intérêt général. 
Nous sommes témoins de fortes tensions sur le recrutement, qui nous imposent d’être attractifs pour ce qui est de la rémunération, mais aussi en matière d’ambiance et de parcours professionnel. Poser la question du télétravail nous apparaît aujourd’hui nécessaire et un enjeu en découle : comment maintenir une cohésion et des liens humains forts tout en tenant compte des désirs des jeunes avocats ?

Vous avez vous-mêmes des collaborateurs qui ont rejoint vos nouvelles antennes régionales ? 

C’est même l’une des raisons pour lesquelles nous avons ouvert certaines de nos antennes. Si un collaborateur ressent le désir d’être d’ailleurs, plutôt qu’un “Bon voyage à bientôt”, nous pouvons lui proposer de participer à la création d’une antenne. Il s’agit là d’une manière de garder les talents en les accompagnant dans leurs différentes ambitions. 

"On doit développer de vraies solutions de mobilité"

Pourriez-vous détailler les tendances actuelles de l'urbanisme ? 

La pensée du planificateur a longtemps résidé dans la création de grandes métropoles. Nous avons assisté ces derniers mois au mouvement inverse traduit par un enthousiasme pour les villes moyennes, bien desservies par les transports. La recherche d’une meilleure qualité de vie, d’acquisitions plus abordables, a contribué à ce regain d’attractivité. Ce phénomène va-t-il durer ? Ces mouvements doivent en tout état de cause être accompagnés par la relance de programmes de logements en centre-ville, avec les questions d’aménagement afférentes comme la question commerciale de la création de foncières publiques dédiées à l’acquisition des commerces dans le but de redynamiser les centres-villes. La logique précédente, délétère, consistait à écouter les grands acteurs du commerce plutôt que les petits commerçants ce qui a conduit à la création de centres commerciaux en périphérie. Aujourd’hui, tout le monde comprend qu’il faut tenter de recréer de la commercialité dans les centres-villes. On voit apparaître de nombreux projets de sites e-commerce et de marketplaces locales pour dynamiser le commerce local, souvent à l’initiative des collectivités. Autre question à étudier : la piétonnisation qui rend difficile l’accès aux commerces de centre-ville. On doit développer cette attractivité en mettant en place de vraies solutions de mobilité notamment au travers de plans qui plébiscitent les vélos ou les parkings.
De plus en plus de politiques locales œuvrent pour faire revenir les habitants dans les centres-villes mais cette redensification nécessaire est vécue souvent à tort comme contradictoire avec la protection de l’environnement. Ces enjeux s’entrechoquent et affectent la gestion des villes des élus locaux. D’autant qu’ils doivent également prendre en compte la réduction de leur autonomie fiscale avec la suppression de la taxe d’habitation.
Par ailleurs, l’intercommunalité crée une tension entre la ville centre et les villes périphériques. Cette mutualisation peut être mise en cause parce que les projets de la ville centre vont être contestés par les villes périphériques. En tant qu’avocats, notre travail est d’essayer de trouver des liens de coopération de financement dans l’intercommunalité, et d’éviter les contentieux. 
Les communes ont obtenu un droit de préemption sur les fonds de commerce, ce qui leur donne un levier pour relancer l’attractivité des centres-villes. 
Il est plus compliqué de construire de la ville sur la ville que de la ville sur un champ de betteraves. Il s’agit d’un travail de dentelle qui portera ses fruits au-delà des mandats des élus locaux car l’aménagement c’est le temps long. L’objectif du maire est d’être réélu, d’où la difficulté de gérer ce temps long et ce temps court.

Faut-il allonger le mandat de maire ? 

Il est indispensable de soumettre régulièrement le mandat du maire au vote des électeurs afin d’éviter un sentiment de lassitude. La vie démocratique des conseils municipaux est loin d’être structurée. Il faudrait offrir un véritable statut à l’opposition afin qu’elle puisse apporter la contradiction aux équipes en place. Pour l’heure, elle doit se contenter de découvrir les dossiers au conseil municipal. 
Je suis pour le développement des droits de l’opposition, le droit d’investigation, de contre-proposition ! La respiration démocratique passe aussi par un vrai statut de l’élu.
Un autre élément marquant réside dans la pénalisation des rapports : les acteurs sont souvent mal informés. Du fait de sa responsabilité pénale, un élu encourt une multitude de risques et peut être poursuivi. La pénalisation excessive fait germer l’idée d’élus malhonnêtes, ce qui contribue au caractère plus conflictuel des rapports élus/habitants.

Dans une autre mesure, quel est l’impact du paramètre environnemental sur votre activité ? 

Le principe de non-augmentation de l’artificialisation des sols, les espèces et espaces protégés, la défense du trait de côte sont autant de marqueurs nouveaux qui augmentent les contraintes liées à réalisation de projets urbains.
Avec la construction de PLU intercommunaux, on commence à penser l’ère urbaine à travers une pensée globale. Cette co-construction est importante et associe populations et élus. Par ailleurs, on ne peut plus négliger les critères environnementaux et les enjeux écologiques.
La multiplicité des recours ou des freins peut se traduire par un retard dans la construction de logements, retard augmenté par la ponction gouvernementale sur les organismes de logement social.
La recherche d’un équilibre passe notamment par la réduction des délais de jugement et la stabilisation de nos normes juridiques.
Il faut gérer ces enjeux environnementaux fondamentaux et loger décemment les habitants. Il n’y a pas pire pour l’environnement que les logements insalubres. 
Nous accompagnons la société du Grand Paris sur la finalisation des expropriations, cette infrastructure est indispensable pour faire respirer à nouveau l’Île-de-France.
Les entreprises publiques locales jouent également un rôle décisif dans la fabrique de la ville.

"Il est indispensable de soumettre régulièrement le mandat du maire au vote des électeurs"

Qu’avez-vous pensé de la sortie d’Emmanuelle Wargon au sujet des maisons individuelles ? 

Le pavillon avec jardin s’est imposé comme un modèle pour les Français. Il implique l’éloignement des centres-villes, donc leur désertification et le tout voiture. À ce modèle-là, il faut répondre par des propositions plutôt que des injonctions. 
Restaurer les services publics en centre-ville, les équipements sportifs, culturels, collectifs et, par-dessus tout les transports.
Nous nous occupons beaucoup de la mise en concurrence des lignes TER et sur ce sujet, une inquiétude demeure : comment organiser la mobilité via plusieurs opérateurs de transport sur une même ère urbaine ? La SNCF a un projet global, si un TGV est en retard, le TER patiente pour assurer la correspondance. En sera-t-il de même avec plusieurs opérateurs ? Les collectivités ont la lourde responsabilité de présenter une offre de transports cohérente. C’est un thème qui va se révéler décisif pour assurer l’attractivité des centres-villes et éviter le tout-voiture.
D’autres sujets comme le développement de l’offre d’infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE) nous occupent tout particulièrement, au même titre que celui de la finalisation du très haut débit, indispensable à l’attractivité des villes moyennes. 
Pour chaque problématique, la question de services publics performants est donc décisive.
Aujourd’hui, on le voit avec les programmes Anru ou la reprise publique des copropriétés dégradées : on détruit pour reconstruire plus petit, les gens ont le sentiment de perdre. Il faut changer de paradigme : les logements neufs sont étriqués du fait du coût du mètre carré quand le pavillon est synonyme d’espace. Avec des logements plus spacieux, agrémentés de balcons, le match serait plus disputé.

Propos recueillis par Alban Castres

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