La révolution du partage B2B
La grande récession de la fin des années 2000 a donné naissance à l’économie du partage, faisant émerger quelques géants comme Uber, Airbnb ou BlaBlaCar. Un marché que PwC évalue à 335 milliards de dollars en 2025. Est-ce que la pandémie sonnera l’essor de cette économie appliquée au B2B ? C’est la thèse de Navi Radjou qui voit dans la prise de conscience environnementale et sociale, combinée au développement de technologies comme l’intelligence artificielle ou l’internet des objets (IoT), un terreau plus favorable que jamais. "Pour en tirer pleinement parti, les entreprises des sociétés capitalistes doivent abandonner leurs vieilles habitudes de thésaurisation des ressources et de concurrence sans pitié, et apprendre à coopérer et à partager davantage. Ce changement radical d’attitude — et surtout d’état d’esprit — ne se fera pas du jour au lendemain", nuance-t-il cependant. C’est tout le sens de son rapport qui se présente comme une véritable feuille de route stratégique.
Step by step
La confiance étant un élément clé pour le développement de cette économie, Navi Radjou propose un cheminement par étape pour aider les entreprises à identifier les stratégies et capacités qu’elles doivent développer pour se connecter de plus en plus et en tirer le maximum de bénéfices. "Au fur et à mesure que les entreprises progressent dans chaque niveau, elles gagnent en assurance et apprennent à faire confiance à leurs pairs. Cela les encourage à prendre plus de risques, à partager des ressources de plus grande valeur et à établir des partenariats plus stratégiques", détaille-t-il.
Exemples en pagaille
Pour chacun des six niveaux, le conseiller en innovation et leadership explicite le process par des exemples vertueux d’application à travers le monde. À l’image du parc éco-industriel de Kalundborg au Danemark, où les entreprises installées échangent déchets matériels, énergie et eau dans le cadre d’un écosystème intégré de symbiose industrielle. Résultat : 240 000 tonnes de CO2 et 3 millions de mètres cubes d’eau économisés chaque année. Autres formes de partage : en Amérique du Nord, les chocolatiers rivaux Hershey et Ferrero ont conclu un accord pour mettre en commun leurs actifs, systèmes d’entreposages et de transport ; en Bretagne et Loire Atlantique, Vénétis, une association de 360 petites entreprises exerçant dans des domaines variés emploie des experts à temps plein, en se les partageant sur la base de projets. En France toujours, Orange, Kingfisher, Carrefour, Legrand, La Poste, Seb et Pernod Ricard ont créé InHome, un incubateur interprofessionnel dirigé par InProcess, une société de conseil en innovation. Les entreprises y acquièrent une connaissance approfondie des besoins des familles qui vivront dans les maisons de demain, et envisagent les moyens d’intégrer leurs offres respectives et leurs compétences pour mieux servir, en synergie, leurs futurs clients. "Les entreprises sont capables d’ôter leurs œillères sectorielles et de voir les choses du point de vue de leur client partagé ; ce n’est plus le fait d’augmenter leur propre part du gâteau qui les motive, mais d’augmenter la taille du gâteau entier pour le bénéfice de tous", se félicite Christophe Rebours, fondateur et PDG d’InProcess. Le partage peut même s’étendre à la propriété intellectuelle. Par exemple, les équipes de R&D du géant des biens de consommation Unilever et le fabricant de jeans Levi Strauss ont inventé des technologies exclusives pour rendre leurs produits plus durables. Après les avoir déployé avec succès dans leurs propres chaînes d'approvisionnement, ces deux entreprises ont "ouvert" leurs inventions, en les rendant accessibles à leurs concurrents, dans le but d'augmenter la performance environnementale à l'ensemble de leur industrie.
Un impact social et écologique important
Pour les entreprises, il ne s’agit pas simplement d’un retour à une forme de bon sens économique, mais aussi d’avoir un impact positif sur la société en général. "Rien qu’en engageant toutes ses entreprises au niveau 1 du partage B2B, à savoir le recyclage des déchets et la réutilisation des ressources au sein des réseaux d’échanges, chaque pays peut réduire ses émissions de 39 %", assure Navi Radjou. Plus loin, "en partageant ingénieusement leurs actifs physiques et leurs ressources immatérielles, les entreprises peuvent réaliser d'immenses gains d'efficience, de résilience et d'agilité et impacter positivement les individus, les communautés et la planète. Cette révolution naissante promet non seulement de réinventer des secteurs entiers, mais aussi de nous permettre de coconstruire des sociétés inclusives et régénératrices à l’ère post-Covid". Des initiatives concrètes commencent à fleurir : c’est ainsi que la société italienne Illy, déjà engagée dans l’agriculture régénératrice, s’est associée avec d’autres entreprises italiennes et des acteurs institutionnels de la région de Parme ainsi que des ONG, think tanks, et fondations pour former Regeneration 20|30. Cette initiative, placée sous le patronage de la Commission européenne et pilotée par le Regenerative Society Foundation, vise à créer une économie régénératrice à Parme et dans d’autres régions qui maximiserait le bien-être de tous les citoyens tout en respectant les limites planétaires.
De la prédation à la coopération
Navi Radjou termine son rapport en émettant dix recommandations pour que les acteurs publics se saisissent de cette révolution et accélèrent son avènement. "Les pays dont les gouvernements prennent des mesures proactives en ce sens façonneront et dirigeront le marché mondial du partage B2B, qui représente potentiellement des trillions d’euros", assure-t-il.
Ou quand la coopération devient plus bankable que la prédation.
Antoine Morlighem