Pour limiter les dépenses du budget de l’État liées aux contrats d’achat d’électricité solaire signés avant 2011, l’article 225 de la loi du 29 décembre 2020 a prévu de réduire les tarifs fixés par trois arrêtés pris entre 2006 et 2010 au motif de verser aux producteurs une rémunération raisonnable. Les textes d’application ont été publiés pour une entrée en vigueur du dispositif au 1er décembre 2021.

L’entrée en vigueur de la réduction tarifaire prévue pour le 1er décembre 2021 nécessitait l’adoption de plusieurs textes d’application qui viennent d’être publiés. C’est ainsi que le décret n° 2021-1385 du 26 octobre 2021 précise les conditions de fixation du tarif révisé et que l’arrêté du 26 octobre 2021 détermine les modalités de calcul du tarif. La Commission de régulation d’énergie (CRE) a également publié des lignes directrices applicables aux demandes de réexamen des producteurs.

Une réduction tarifaire validée par le Conseil constitutionnel

L’article 225 de la loi du 29 décembre 2020 a institué un dispositif destiné à réviser les tarifs des contrats d’achat. Il se décompose en deux mécanismes : le 1er alinéa prévoit une réduction du tarif d’achat à un niveau et à compter d’une date fixés par arrêté afin que la rémunération du producteur ne dépasse pas une « rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation » et le 2e alinéa prévoit une clause de sauvegarde permettant au producteur de demander un examen individuel de leur situation au motif que la réduction tarifaire initiale compromet sa "viabilité économique". À la suite de cet examen, les ministres peuvent fixer, par arrêté conjoint  sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, un tarif différent, une nouvelle date d’application du tarif ou une durée différente du contrat d’achat.

L’atteinte ainsi portée par la loi à des contrats en cours a suscité l’émoi de la filière et également conduit les parlementaires à saisir le Conseil constitutionnel sur la conformité de la loi à la Constitution. Par une décision du 28 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur avait poursuivi un objectif d’intérêt général et que l’atteinte n’était pas disproportionnée car la réduction tarifaire devait garantir une rémunération raisonnable aux producteurs, une clause de sauvegarde pouvant d’ailleurs être mise en œuvre par les producteurs les plus fragilisés par la réduction tarifaire. Pour en arriver à cette conclusion, le Conseil constitutionnel a donc estimé que le législateur a veillé à préserver la rentabilité des installations solaires. Cette interprétation, fidèle à la lettre même de la loi, est essentielle car elle entend rappeler que le dispositif adopté par le législateur n’a pas pour objet de compromettre la rentabilité de l’installation ou de supprimer la rémunération du producteur, mais seulement de ramener cette rentabilité ou rémunération à un niveau raisonnable.

Une mise en œuvre complexe de la réduction

L’élaboration des textes d’application a été laborieuse et plusieurs projets de textes ont été présentés afin d’en corriger des erreurs, si bien que les textes définitifs ont seulement été publiés le 27 octobre 2021 pour une entrée en vigueur au 1er décembre 2021.

Le décret n° 2021-1385 du 26 octobre 2021 précise les conditions et modalités d’application du dispositif. Il définit les principes permettant de fixer le niveau de la réduction tarifaire et son niveau minimal ou plancher, ainsi que la procédure de notification de la réduction tarifaire aux producteurs. Il prévoit une faculté de résiliation du contrat d’achat, à la demande du producteur et à la suite de la diminution de son tarif et précise les étapes et délais de la procédure de clause de sauvegarde : de la saisine du producteur, en passant par la proposition à formuler par la CRE, jusqu’à l’arrêté conjoint des ministres.

Le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur a veillé à préserver  la rentabilité des  installations solaires

Les tarifs seront déterminés sur la base d’une approche normative et non comptable, c’est-à-dire à partir d’une simulation de la rentabilité des capitaux engagés au regard des recettes et des dépenses d’une installation "performante représentative de sa situation sur la durée de son contrat d’achat" et non au regard des coûts réels supportés par les producteurs.

Le tarif minimal sera également déterminé à partir d’une approche normative et ne couvrira que les coûts de fonctionnement de l’installation sur la durée restante du contrat d’achat. Le tarif minimal ne couvrira ni les charges d’investissement, ni les charges financières liées à la dette bancaire.

Le décret laisse une marge de manœuvre importante à la Commission de régulation de l’énergie dès lors que le tarif issu de l’application de la clause de sauvegarde sera concrètement fixé par le régulateur, qui a d’ailleurs publié ses lignes directrices sur la clause de sauvegarde dans la foulée de la publication des textes, le 28 octobre 2021. Enfin, sur la clause de sauvegarde, si l’instruction de la demande de sauvegarde suspend l’application de la réduction tarifaire, cela n’aura aucun effet pour le producteur puisqu’à la fin de la suspension, il devra rembourser la différence entre le tarif révisé ou le tarif de sauvegarde et le tarif perçu pendant l’instruction de la demande de sauvegarde.

Quant à l’arrêté du 26 octobre 2021, il précise les modalités de calcul des tarifs révisés et du tarif minimal et met donc en œuvre, dans ses neuf annexes, l’approche normative du calcul de la réduction tarifaire prévue par le décret.

La mise en œuvre du dispositif s’avère donc complexe et risque d’être bloquée. En effet, le dispositif devrait donner lieu à un contentieux abondant qui va nécessairement ralentir sa mise en œuvre, tandis que pour obtenir un répit face à leurs créanciers, les producteurs vont sans doute tous déposer des demandes de sauvegarde qui bloqueront, au moins temporairement, l’application de la réduction tarifaire.

Des effets significatifs pour la filière solaire

Avant la publication de ces textes d’application, la commission des finances du Sénat a mené une enquête sur la mise en œuvre du dispositif. Le rapport issu de ses travaux, très critique, relève ainsi que la baisse moyenne du tarif devrait être de 47 % tandis que le tarif plancher équivaudrait à une baisse de 95 % du tarif.

Le rapport souligne que le dispositif fait peser plusieurs risques majeurs sur la filière solaire et sur sa capacité à se financer. D’un point de vue microéconomique, la révision des tarifs risque, en effet, de fragiliser la continuité économique des producteurs. Les défauts de paiement et des faillites sont à craindre. D’un point de vue macroéconomique, le dispositif crée un précédent qui pourrait remettre en cause durablement la crédibilité de la parole de l’État.

En outre, la mise en œuvre du dispositif pose un problème de cohérence de la politique de soutien aux énergies renouvelables. Alors que de nouvelles mesures ont été annoncées en faveur de la filière solaire au travers du plan d’investissement "France 2030", une mesure de réduction rétroactive adresse un signal contraire aux investisseurs.

Il est ainsi très probable que les investisseurs dirigent leurs investissements vers d’autres secteurs et que les banques durcissent leurs conditions de financement. Ce risque n’est pas théorique et s’est déjà produit en Espagne qui avait réduit, avec effet immédiat, ses tarifs de contrats d’obligation d’achat d’électricité solaire en 2010.

Christine Le Bihan-Graf, avocate associée et Laure Rosenblieh, avocate counsel au cabinet De Pardieu Brocas Maffei

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