L'hydrogène fait l'objet de beaucoup d'attention ces derniers mois, que ce soit de la part des pouvoirs publics ou des industriels. Décideurs a rencontré Philippe Boucly, président de France Hydrogène qui fédère les acteurs français du secteur, pour en savoir plus.

Décideurs. Pourquoi un tel engouement aujourd’hui autour de l’hydrogène ?

Philippe Boucly. J’y vois trois raisons principales. La première est l’urgence climatique qui appelle à des solutions concrètes, rapides et crédibles. L’hydrogène en est une. La seconde réside dans la baisse drastique du coût des énergies renouvelables – celui du photovoltaïque a été divisé par dix en dix ans – entraînant du même coup vers le bas celui de la production d’hydrogène dit "vert" à partir de ces énergies. La troisième tient à la compétitivité accrue des technologies hydrogène (électrolyseurs, piles à combustible, etc.), même si nous devons encore l’améliorer.

Qu’est-ce que cet hydrogène vert ?

Selon la doxa en vigueur à Bruxelles, il s’agit d’un hydrogène fabriqué par électrolyse à partir d’énergies renouvelables. Mais ce que nous et d’autres acteurs expliquons, c’est qu’il y a d’autres façons de fabriquer de l’hydrogène propre : que ce soit à partir de l’énergie nucléaire mais aussi d’énergies fossiles, à condition de capter le CO2 et de le séquestrer. Le procédé est déjà bien connu des pétroliers. Je pense aussi à la biomasse, à la thermolyse bois dont les résidus peuvent être réutilisés comme adjuvant pour garder l’humidité dans les sols… Je préfère ainsi parler d’hydrogène renouvelable ou bas carbone. Toutes ces solutions peuvent participer à la transition et sont d’ores et déjà opérationnelles. Face à l’urgence, il nous faut être pragmatiques.

Quelles sont les applications privilégiées pour l’hydrogène ?

L’hydrogène a vocation à s’insérer partout où l’électrique n’est pas adapté ou peu efficace. Je pense notamment à la chimie, au raffinage, à la sidérurgie, la cimenterie... et avec les procédés actuels : une tonne d’acier émet deux tonnes de CO2. Le recours à l’hydrogène pourrait permettre de faire baisser drastiquement ces émissions. Je pense aussi aux engrais pour la fabrication de l’ammoniac, ou encore à la mobilité lourde et intensive où il se révèle plus pertinent qu’une solution électrique, aussi bien en termes d’autonomie que de rapidité de recharge. Alstom est aujourd’hui un pionnier du train hydrogène et dans l’aviation, les premiers moyen-courriers devraient voler à l’hydrogène assez rapidement. Comme vous le voyez, ses applications sont variées, relativement limitées en nombre, mais visent des secteurs actuellement très émetteurs. En résumé : l’hydrogène ne fera pas tout, mais sans l’hydrogène, on ne réussira pas la transition énergétique.

Quels freins demeurent pour une montée en puissance de cette énergie ?

Il faudra que nous parvenions à faire baisser les coûts de production même si la flambée des prix de l’énergie contribue déjà à rendre les solutions hydrogène plus compétitives. La question des infrastructures est également clé, autant en ce qui concerne les stations de recharge – nous visons entre 1 000 et 1700 stations à l’horizon de 2030 –, le stockage ou le transport. La bonne nouvelle, c’est que le réseau de gaz existant pourra, dans certaines conditions, être reconverti pour l’hydrogène. Mais le frein principal, ce sont les financements. Il nous faut un soutien financier public afin de lancer les projets. Nous avons tout ce qu’il faut : la technologie, les acteurs industriels du grand groupe à la start-up… À nous de transformer l’essai et de prendre le leadership international.

Que répondez-vous aux détracteurs de l’hydrogène vert, qui estiment que cela nécessiterait une capacité installée d’énergies renouvelables gigantesque et irréaliste pour le produire à grande échelle ?

Je leur demande ce qu’ils proposent à la place. Après, nous pouvons évoquer les chiffres. À l’horizon de 2030, nous pensons que produire 680 000 tonnes d’hydrogène nécessitera 37 TWh d’électricité. Dans ses scénarios, RTE table sur 500 à 600 TWh de production annuelle à cette échéance. À ce compte, il y aurait suffisamment d’électricité pour l’hydrogène et même pour en exporter ! Il est vrai qu’il n’y aura, selon toute vraisemblance, pas assez d’énergies renouvelables pour couvrir l’ensemble des besoins. C’est pourquoi le trio nucléaire, hydrogène vert et renouvelables mis en avant par le président de la République dans son projet France 2030 me semble tout à fait pertinent.

Quelle place pour l’hydrogène en 2050 ?

Pour tenir les objectifs climatiques, la plupart des scénarios prospectifs considèrent qu’il faudra que l’électricité représente 50 % à 60 % de la consommation finale d’énergie en 2050. L’hydrogène contribuera à combler l’espace restant avec une part allant de 10 % à 20 % selon les simulations. C’est le chaînon manquant, complémentaire et indispensable pour relever le défi climatique.

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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