Robin Cornelius est une figure passionnée, atypique. Après avoir lancé une marque de vêtements, le Suisse d’origine suédoise lance en 2014 Product DNA : une entreprise qui accompagne les marques dans une meilleure traçabilité de leurs chaînes de production et des pratiques de leurs prestataires, de l’extraction de la matière première jusqu’au produit fini.

Décideurs. Comment est né Product DNA ?

Robin Cornelius. Au fond, tout a commencé en 1978 quand, âgé de 25 ans, j’ai vu le président Carter faire son jogging à la télévision. Restez avec moi, vous allez comprendre. À l’époque, les articles de sportswear n’existaient pas en Suisse. J’ai donc décidé de me lancer en créant Switcher, une marque de vêtements qui a fini par produire plusieurs millions de pièces par an. À un moment donné, j’achetais plus de polyester que Nike ! C’est en mettant le nez dans nos chaînes d’approvisionnement que j’ai découvert l’importance de la traçabilité, de la rendre plus humaine et durable, du champ aux rayons du magasin. L’éthique est devenue notre marque de fabrique. C’est ce long cheminement qui fait qu’après avoir revendu mes parts à mon partenaire indien historique, je fonde Product DNA en 2014, afin d’accompagner toutes les entreprises dans une meilleure gestion de leurs chaînes de production et de valeur.

Comment procédez-vous ?

Nous développons une technologie SaaS, que nous sommes actuellement en train de perfectionner : www.respect-code.org. Après un programme de prise en main, le client entre les informations sur ses produits pour tracer leurs chaînes de production. L’objectif est que, par un savant mélange de blockchain, d’intelligence artificielle et de tutos, il soit le plus autonome possible pour « faire parler ses produits » et les dévoiler au consommateur en toute transparence. Nous fournissons également des prestations de conseil pour les aider à trouver les solutions afin d’améliorer, à chaque maillon de la chaîne, l’impact écologique et social de leurs produits. À ce jour, nous avons déjà tracé plus de 130 millions de produits et près de 10 000 filières. En France, nous accompagnons notamment Eiffage, Guerlain, mais aussi de nombreuses PME. En s’engageant dans ce processus, les entreprises peuvent avoir un impact positif, direct et quantifiable sur leurs parties prenantes et de loin en loin, la société en général. La traçabilité est une éthique par la preuve.

Les entreprises ont-elles compris cet enjeu ?

Je le crois. Et celles qui se voilent encore la face risquent, à mon sens, de rejoindre Nokia ou Kodak au cimetière des marques qui n’ont pas senti souffler le vent du changement. Au-delà de leur intérêt économique bien compris – on estime jusqu’à 12 % l’amélioration de rentabilité possible grâce à une meilleure gestion des chaînes de production –, les entreprises sentent monter les questions de réputation, d’empreinte écologique et sociale et de transparence dans la société. Ne pas maîtriser cet aspect est devenu pour elles un facteur de risque. Elles doivent prendre leur part de l’effort commun vers un monde plus juste et plus durable. Il n’est plus possible de faire comme Nike qui, confrontée à un scandale de travail d’enfants dans l’une de ses usines, se contentait de la fermer alors qu’elle aurait dû au contraire ouvrir des écoles pour les scolariser, mieux embaucher, affronter le problème de face, dans une approche intégrée. Idem pour les annulations de commandes au moment du Covid qui ont fait chanceler des chaînes de valeur entières. Il est possible de faire autrement. Certaines entreprises l’ont fait. Cela ne coûte pas plus cher de faire les choses de manière responsable. Bien au contraire.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

À ce stade de ma vie et de ma carrière, je n’aspire plus à simplement faire du profit, à vous parler d’objectifs de croissance dans les deux, trois, cinq ans qui viennent. Si Product DNA peut finir par devenir une coopérative, cela m’ira très bien. Je n’aspire plus qu’à avoir un impact, pouvoir me regarder dans une glace et me dire, qu’à mon niveau, dans ce grand défi de la transition qui est devant nous, j’aurai laissé une trace.

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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