Jean-Christophe Fromantin : "Je vois les limites d’un système d’hyper-métropolisation"
Décideurs. Les territoires semblent bénéficier d’un regain d’attractivité, notamment auprès des habitants des grandes métropoles françaises. Est-ce une tendance vouée à perdurer ou le simple effet mécanique de la crise sanitaire ?
Jean-Christophe Fromantin. Je pense que c’est une tendance de fond liée à l’innovation. Le modèle économique de la révolution industrielle correspond au modèle de la masse critique. Vous voulez rentabiliser un magasin ? Ce ne sont pas moins de mille personnes qu’il faut mettre à contribution, autrement il ne peut subsister. Dans un magasin virtuel, il faut intégrer les clients au réseau du magasin, que vous soyez dans la Creuse, à Paris ou en Ardèche. La masse critique est distribuée plutôt que concentrée. La grande tendance réside dans l’impact de la révolution numérique. Avec le numérique, nous assistons à une révolution copernicienne: muni d’un portable au milieu de la forêt, vous pouvez regarder un film, consulter les actualités, vous faire livrer… Ce sont les services qui viennent à nous et non plus nous qui allons les chercher. Cette inversion va, de plus en plus, nous amener à privilégier la qualité et le lieu de vie à l’injonction de vivre là où notre lieu de travail nous impose de vivre.
Le télétravail forcé a-t-il participé à cette inversion ?
Le télétravail fait partie de ces innovations. Dès lors que vous avez la possibilité de communiquer avec Teams ou Zoom, ou encore d’envoyer des documents, alors vous êtes en mesure de décentrer le lieu de travail pour au moins ce qui participe du travail individuel et un peu du travail collectif mais avec ses limites. L’innovation offre cette liberté de décorréler son lieu de vie de son lieu de travail.
La notion de bien-être est-elle vraiment au cœur des préoccupations des dirigeants ?
Elle est au cœur des préoccupations des gens. Il y a quelques années, je m’étais penché sur une étude de l’Institut Montaigne dont le sujet portait sur les nouveaux déterminants des personnes. L’étude démontrait clairement que le bien-être était devenu, pour les générations nouvelles, un déterminant plus important que celui de la réussite. Quand une inversion des tendances de cette ampleur se produit, ce sont tous les projets, et les modes de vie, qui sont révolutionnés. Si la réussite devient secondaire par rapport au bien-être, les choix de qualité de vie, de style de vie, de lieu de vie, seront amenés à évoluer au cours des prochaines années.
"Avec le digital, nous assistons à une révolution copernicienne"
Au point de redessiner la géographie ?
Parfaitement ! Et le mot "géographie" est absent du discours politique et de celui lié à l’aménagement du territoire. Je suis convaincu qu’il s’agit du mot-clé des années à venir : nous allons nous redéployer sur nos territoires, redécouvrir la géographie et la réinvestir, et assister à une prise de conscience de son potentiel.
Mais c’est bien l’attractivité des villes qui est en cause plutôt que leur taille…
Quand on fait de la politique, il faut partir de cette idée : où est-ce que les Français veulent vivre ? Lorsqu’on les interroge, ils rêvent souvent d’un village ou d’une ville moyenne. Notre responsabilité est d’intégrer cette envie, ce besoin de vivre dans des zones urbaines apaisées, près de la nature, d’avoir une grande maison plutôt qu’un deux pièces et de construire les modalités politiques de câblage en fibre optique, de distribution des services publics, d’accès à des aéroports ou des gares… En définitive, il convient d’investir avec l’épargne des particuliers : cela implique la construction d’un circuit économique vertueux. Faire de la politique sans avoir comme souci de bâtir les conditions pour que chaque Français vive là où il en a envie n’a aucun sens.
Sur le site de votre parti « Territoires en mouvement », il est question d’un constat partagé sans que rien ne se fasse. Comment passer des paroles aux actes ?
C’est d’abord une attention politique. Si vous expliquez aux citoyens que l’avenir est aux métropoles alors qu’ils rêvent de vivre à la campagne, vous créez une tension, comme celle qui a stimulé la crise des Gilets jaunes. Si vous dites : "Vous voulez vivre à la campagne ? Nous allons tout faire pour que la vie à la campagne soit possible", vous obtiendrez l’effet inverse. Les gens seront heureux, et au lieu d’épargner leur argent, ils investiront dans la maison de leurs rêves. Il convient, par ailleurs, de sanctuariser les équipements publics afin d’attiser leur envie d’investir.
Sanctuariser les équipements publics ?
Des services publics sont présents dans certaines régions, quand ailleurs il en manque cruellement. Ceux qui existent doivent demeurer, de manière à ce que chaque futur propriétaire se projette dans sa future acquisition ainsi que les services publics qui lui sont affiliés. D’ailleurs, j’ai interpellé l’État sur le fait que l’implantation le balisage du service public soit définitive. Les gens s’installent à Neuilly car ils savent que la ligne 1 se maintiendra. S’il y avait eu une hypothèse de suppression de la ligne 1, de l’hôpital ou des lycées à Neuilly, plus personne n’investirait dans cette ville de peur d’une diminution de la qualité des services. Les trois quarts des Français au sein des territoires vivent dans cette angoisse. Avec cette épée de Damoclès, ils finissent par rejoindre les grandes villes, même s’ils ne s’y retrouvent pas complètement. J’avais été, au moment de la crise des Gilets jaunes, sur un rond-point en Eure-et-Loire, à Nogent-le-Retrou, discuter avec des manifestants. L’un d’eux m’avait interpelé : "Vous savez, j’ai un travail, mon épouse aussi, nous sommes heureux ici, nous gagnons l’un et l’autre 1 500 euros par mois, nous pouvons acheter une maison mais on ne le fera pas." Lorsque je lui ai demandé pourquoi il m’a répondu : "Est-ce que la gare, le lycée ou l’hôpital existeront encore dans cinq ans ? Nous n’en savons rien…" Il a conclu qu’il préférait acheter une chambre de bonne à Paris plutôt que la maison de ses rêves. Cet homme avait tout compris : si l’État reste silencieux sur l’aménagement de son territoire, il met tout le monde dans le doute et quand bien même les individus ont un emploi en province, sont heureux d’y vivre, et rêvent d’y acheter une maison, ils se disent que s’ils investissent 200 000 euros dans une maison et que demain il n’y a plus de gare, plus de lycée, plus d’hôpital, ils auront tout perdu.
"Le problème n’est pas tant la complexité de la chaîne que les recours incessants"
N’y a-t-il pas un paradoxe dans le fait que ce mouvement soit initié par une figure de la région parisienne ?
Je vois les limites d’un système d’hypermétropolisation. Lorsque les gens n’arrivent plus à se loger parce qu’on les a trop concentrés et que ça participe à faire monter le coût de l’immobilier dans des proportions incroyables, des déséquilibres se créent. À titre d’exemple, nous rencontrons de plus en plus de difficultés à recruter du fait de salaires bas et d’un temps de transport élevé. Si rien n’est entrepris pour rééquilibrer l’aménagement du territoire, pour combler cette dissymétrie, la situation restera compliquée pour tout le monde, y compris pour le maire de Neuilly-sur-Seine.
Que pensez-vous du plan présidentiel pour Marseille ?
Tant mieux pour Marseille d’avoir pu récupérer un milliard et demi d’euros mais ce n’est pas comme ça que l’on participe à l’aménagement du territoire. Ce n’est pas en éteignant le feu à coup d’un milliard d’euros que l’on règle les problèmes mais en ayant une vue globale et générale ainsi qu’un programme d’implantation d’espaces publics qui ait du sens. On compte 350 villes moyennes en manque d’infrastructures, ce sont elles qu’il faut secourir pour constituer l’aménagement du territoire. Demain, d’autres maires hurleront "Et moi, et moi ?" et nous serons dans l’obligation de distribuer quelques millions d’euros à d’autres villes. Ce n’est pas la bonne méthode.
L’avenue Charles de Gaulle s’est vue délivrer dix permis de construire. Comment encourager les maires de France à suivre cet exemple comme les promoteurs l’appellent régulièrement de leurs vœux ?
En luttant contre les recours abusifs. Autoriser un permis de construire, ce n’est pas très compliqué et nous disposons de PLU de plus en plus maîtrisés. Le problème c’est que lorsque je délivre un permis de construire, dans 100 % des cas, des recours du voisinage regorgent. Une fois que le permis est octroyé, il est impératif de le défendre parce que tout est sujet à contentieux. Il y a tellement d’angles procéduraux, réglementaires, dans lesquels les recours peuvent s’inscrire que l’on peut être confronté à trois ans de contentieux avant que son bénéficiaire ne puisse le mettre en œuvre. Le problème n’est pas tant la complexité de la chaîne que les recours incessants.
L’allongement de la durée du mandat de maire ne pourrait-il pas encourager les élus à aller au bout de leurs idées en matière d’aménagement ?
Six ans, c’est court pour les grandes infrastructures. L’avenue Charles de Gaulle représente quinze ans de travail, d’enquêtes, de permis, de négociations avec l’Etat pour proposer un réaménagement en profondeur des allées qui sera parachevé par la construction de Folies le long de l’avenue… Les maires sont généralement appréciés de leur population et réélus s’ils font bien le job, et j’ai été réélu dès le premier tour en 2020.
19 Folies vont être construites et seront déployées tout au long de l’avenue Charles de Gaulle entre la Porte Maillot et La Défense. D’une surface au sol de 26 à 39 m² s’intégreront dans un paysage végétal à l’instar des anciennes Folies dont l’architecture s’insérait dans un parc ou un jardin. À l’intérieur seront installés des concept-store, espaces événementiels, showrooms, sites d’exposition autour d’actions de mécénat culturel...
Propos recueillis par Alban Castres