Le numérique ou l’illusion de la dématérialisation
"Les technologies digitales mobilisent aujourd’hui 10% de l’électricité produite dans le monde et rejettent près de 4% des émissions globales de CO2, soit le double du secteur civil aérien mondial." S’il était un État, le numérique serait le quatrième plus gros consommateur d’électricité. Le décor est posé. Mais quelle est la réalité concrète qui se cache derrière ces chiffres que plus personne ne comprend vraiment ?
Envers du décor
De la ville de Masdar à Abou Dhabi, star des smart cities, pionnière du numérique au service de l’écologie, aux rives du fleuve Luleå qui alimente en énergie les datacenters délocalisés en Laponie, en passant par les mines de graphite à Mashan, en Chine, ou les couloirs de l’administration estonienne, État qui a fait le pari du tout digital : cette investigation explore les arcanes du numérique et met en lumière l’impact énergétique, les enjeux économiques et les conflits géopolitiques qui sous-tendent l’évolution vers un monde tout connecté.
Sac à dos
Le paradoxe entre un monde dématérialisé et l’augmentation physique d’infrastructures pour soutenir cette virtualité grandissante apparaît au grand jour. La matérialité prend de nombreuses formes : smartphones, tablettes, ordinateurs, robots et tout autre objet connecté qui émet et reçoit les données, puces électroniques, centres de stockage de données, routeurs, serveurs, antennes, câbles marins et satellites, mais également tout un réseau d’énergie qui permet le fonctionnement de ces infrastructures. Le "sac à dos écologique" du numérique s’avère plus lourd encore que ce qu’on pouvait imaginer. Au bilan carbone s’ajoute un "bilan ressources" jusqu’ici déconsidéré.
Fuite en avant… et pas vers le haut
"À nous engager, tête baissée, dans un monde prétendument éthéré et libre de tout carcan physique, nous fuyons cette évidence qui, inéluctablement, nous rattrape : un monde dématérialisé sera un monde toujours plus matérialiste", interpelle Guillaume Pitron. La fuite par le haut, à savoir le recours à l’innovation technologique et l’intelligence artificielle pour contrôler l’impact humain sur l’environnement, est également déboulonnée. La consommation énergétique et de ressources nécessaires à la mise en place, au maintien et à l’entretien d’un univers tout numérique est exponentielle, et prétendre réguler la pollution humaine par ce moyen est autant un mirage que l’idée d’une "ville verte" en plein désert…
L’Enfer numérique : voyage au bout d’un like, Guillaume Pitron, Les liens qui libèrent, 2021
Antoine Morlighem