V. Mahé (CDC Habitat) : "Ce qui nourrit la croissance du résidentiel c’est la décohabitation"
Décideurs. Pourriez-vous décrire les dessous de cette opération, son calendrier notamment ?
Vincent Mahé. Comme toujours dans ces opérations d’envergure, le calendrier est long. On vient de lancer le processus, et la première étape aura lieu à la fin du mois de juillet avec la réception d’offres indicatives pour une signature qui devrait intervenir à la fin de l’année et un closing qui ne se tiendra qu’au premier trimestre 2022.
Pourquoi mettre des VEFA dans le portefeuille ?
Pour disposer déjà d’une croissance embarquée ! Les VEFA ont été négociées en 2017 pour les plus anciennes. Elles sont à des stades d’avancement divers, certaines ont été livrées, d’autres sont en cours de construction, d’autres viennent à peine de démarrer pour une livraison en 2023 : l’ensemble de ces opérations va donc assurer une croissance continue des revenus au cours des trois premières années.
Le marché du résidentiel français se démarque par son insuffisance à l’offre malgré une demande soutenue. Cette opération est-elle une réponse à cette problématique ?
Cela fait plus de cinquante ans que notre société produit des logements et nous avons engagé le développement d’une offre pour les institutionnels il y a sept ans. Notre vision n’est donc pas conjoncturelle, ni liée à la pénurie d’offre, même si elle vise évidemment à permettre aux institutionnels d’accroître leur exposition au logement dans un cadre sécurisé, en leur fournissant à la fois un portefeuille important et une solution de gestion intégrée grâce aux équipes de CDC Habitat. À long terme, nous visons à contribuer à l’équipement du pays en logements sociaux, intermédiaires et abordables dans des endroits en pénurie et dans des formats adaptés à la demande.
L’année 2020 a été marquée par le retour des investisseurs étrangers sur le marché résidentiel français. Votre portefeuille s’adresse-t-il à eux également ?
Oui, tout à fait, d’autant plus que la solution de gestion « packagée » que nous proposons peut convenir à ceux qui n’ont pas de bras armé en France. Il faut d’ailleurs préciser que ces investisseurs étrangers s’intéressent depuis longtemps au marché résidentiel français du fait de sa profondeur (c’est l’un des plus grands d’Europe), de sa résilience et des mécanismes de protection sociale en vigueur en France, qui solvabilisent les locataires.
"Accélérer sera difficile, car nous allons déjà vite : nous avons doublé de taille en sept ans"
Allez-vous accélérer votre développement grâce à cette cession hors norme ?
Accélérer sera difficile, car nous allons déjà vite : nous avons doublé de taille en sept ans. Mais l’enjeu est bien de financer ce développement, conformément aux deux plans de relance lancés en mars 2020 et en mars 2021. Notre ambition est de continuer à produire, quelles que soient les conditions du marché, sous des formes adaptées à chaque période. Pour l’heure, nous continuons d’investir avec un objectif de 5,5 milliards d’euros pour cette année.
Comment résumeriez-vous la structure de votre investissement à date en matière d’énergie, de localisation ?
S’adresser aux institutionnels est une bonne chose car ils sont exigeants en matière de normes. Les Vefa les plus récentes répondent aux standards les plus exigeants, c’est-à-dire qu’en général, elles vont au-delà de la RT 2012. Il s’agit d’un besoin impérieux car les normes les plus performantes d’aujourd’hui sont les normes moyennes de demain. Sur le patrimoine existant, les immeubles n’étaient pas encore soumis à cette norme au moment de la construction, mais ils ont fait l’objet d’un programme de travaux régulier. En matière de localisation, nous sommes pour moitié en Île-de-France et restons très centrés sur les zones les plus urbaines qui représentent moins de 1% du territoire, mais accueillent 25 % de la population et représentent la moitié de la croissance démographique attendue.
"S’adresser aux institutionnels est une bonne chose car ils sont exigeants en matière de normes"
Au cours des derniers mois, il a plusieurs fois été question d’exode urbain. Est-ce une tendance palpable ?
Quelques villes moyennes devraient pouvoir tirer leur épingle du jeu à condition que leurs élus n’aient pas une vision trop malthusienne du développement. Mais notre impression est que les métropoles restent sous forte pression. Les actifs et les retraités qui « quittent » les grandes villes souhaitent la plupart du temps y conserver un pied-à-terre. Nous n’avons donc pas fini d’observer une vraie tension sur les deux et trois pièces en zones urbaines qui restent des zones d’emploi indispensables au public jeune. Ce qui nourrit la croissance du résidentiel c’est la décohabitation à temps complet ou à temps partiel, une tendance qui pourrait s’étendre encore.
Comment faire évoluer le marché ?
Les différentes politiques du logement ont segmenté le marché : institutionnels, bailleurs sociaux, particuliers, collectivités ont chacun leur couloir avec, pour conséquence, un univers très réglementé et cloisonné. Plutôt que de fonctionner uniquement selon cette logique d’acteurs, il reste à développer davantage une approche parlant des besoins de la population, et donc des produits : le logement social, l’intermédiaire, le libre…
Côté demande institutionnelle, il n’y a pas toujours eu d’appétit pour les logements. Qu’est-ce qui a changé ?
Vous avez raison de souligner le fait que les institutionnels français sont longtemps restés éloignés du logement, du fait qu’il était moins rentable et trop réglementé, en vente comme en loyer. Le regard a changé depuis plusieurs années : lors de notre première levée de fonds en 2014, il était difficile de susciter l’intérêt ou même l’attention des institutionnels. Les institutionnels français qui s’intéressaient au logement étaient réellement présents sur ce secteur, mais minoritaires. La tendance s’est inversée.
"La crise sanitaire a démontré la résilience du résidentiel qui s’est révélé être un marché décorrélé des crises et directement lié à un besoin fondamental"
Qu’est-ce qui a déclenché cette inversion de la tendance ?
Il s’agit d’un mouvement lent, résultant de plusieurs facteurs : la baisse des taux d’intérêt et la compression des taux de rendement de l’immobilier rapproché des performances du bureau et du logement. Par ailleurs, la crise sanitaire a démontré la résilience du résidentiel qui s’est révélé être un marché décorrélé des crises et directement lié à un besoin fondamental. Il s’agit également d’un secteur très réglementé, mais cette réglementation qui se présente comme un frein constitue également un cadre qui protège les investissements.
Propos recueillis par Alban Castres