Après une année marquée par les ouvertures et fermetures des commerces et le vagabondage sur le caractère essentiel de certaines activités, Éric Costa, président de Citynove et directeur immobilier des Galeries Lafayette, exprime sa vision du segment et analyse ses différents enjeux.

Décideurs. Quelle est l'empreinte immobilière des Galeries Lafayette en France aujourd'hui ?

Éric Costa. Le groupe Galeries Lafayette exploite plus d’1,2 million de mètres carrés en France, dont plus de 700 000 en propriété. Nous sommes, de ce fait et depuis plus d’un siècle, les principaux animateurs du commerce de centre-ville en France.

La crise sanitaire a-t-elle modifié votre stratégie de développement immobilier, la programmation des magasins ? Ou au contraire, a-t-elle renforcé votre vision du shopping/loisir ?

Le confinement a montré à quel point l’enfermement est insupportable. Or, c’est bien une logique d’enfermement qui a dicté l’organisation du parcours client et l’architecture des nombreux lieux de commerce. En revanche, cette crise a aussi montré que nous avons besoin de sortir, de respirer, de célébrer les bons moments, de mieux vivre ensemble et de nous faire plaisir. Notre vision de lieux offrant des services et des commerces chaleureux, animés, avec des espaces plus ouverts et aérés, des codes architecturaux de lieux de loisirs, avec moins d’optimisation et plus d’optimisme, s’en trouve donc renforcée. À titre d’exemple, il y a quinze ans, quand nous avons mesuré que la seule praticité de nos formats n’allait pas suffire et que le shopping devait être pris comme une activité de loisir, nous avons fait le choix un peu radical, de faire appel à des architectes qui n’avaient jamais fait de commerce pour transformer nos magasins et en changer les codes architecturaux. Le format standard d’un centre commercial, constitué d’une place centrale et de cellules autour, suit les schémas directeurs d’une prison ou d’un couvent, avec des logiques d’enfermement. Quand on se trouve dans un centre commercial, on ne sait pas dans quelle ville on est, on tourne en rond. Les concepteurs évitent même les horloges pour que le client oublie le temps. Nous nous obstinons à sortir de ces logiques de productivité à outrance en sacrifiant de la valeur à court terme pour gagner en services, en fréquentation et en satisfaction. Beaucoup pensent encore "maximisation" permanente, mais y croient-ils encore ?

"Beaucoup pensent encore "maximisation" permanente, mais y croient-ils encore ?"

L'accélération du e-commerce constitue-t-elle, selon vous, une tendance durable ou est-elle uniquement consécutive au confinement ?

Nous proposons le e-commerce pour mieux satisfaire nos clients en recherche d’un produit qu’ils ne trouvent pas facilement près de chez eux. C’est une tendance durable qui répond aux besoins d’efficacité et de gain de temps. Et nous sommes tous parfois pressés, fatigués ou stressés, même hors confinement. Lorsque l’on prend des habitudes, elles s’installent. Les achats en ligne ont fortement profité du confinement et une clientèle y aura certainement recours durablement. D’où notre volonté de réduire la part des produits au profit des services. Il faut, en définitive, réunir une combinaison d’activités qui va occuper des surfaces, au détriment d’autres, traditionnellement occupées par des produits que l’on peut trouver par d’autres canaux. Avec le digital, les magasins s’adaptent et sortent d’une vision orientée uniquement sur la praticité pour offrir également des  moments de plaisir, de détente et de surprise. Internet a bouleversé notre rapport au temps, les clients n'ont plus la patience de faire la queue aux caisses. Le bouton le plus sollicité dans un ascenseur, celui qui actionne la fermeture de la porte de l’ascenseur, ne servait à rien il y a vingt ans. Il y a un sentiment d’urgence permanente, on ne supporte plus que l’on nous fasse perdre notre temps. Pour compenser ce stress, il nous faut concevoir des lieux qui déstressent. Il nous faut servir nos clients pressés et, dans le même temps, offrir une architecture, des espaces, pensés pour détendre, régénérer, créer des émotions positives. Il s’agit là d’un changement de modèle profond qui déséquilibre le modèle économique traditionnel de l’immobilier commercial et du retail.

Il est question d'un effet de rattrapage des consommateurs une fois les contraintes sanitaires levées. Comment anticipez-vous le retour à la normale ?

Un effet de rattrapage se fera sans doute sentir car cette crise interminable nous a fait souffrir et nous a privés de liberté et d’insouciance. Nous avons tous besoin de nouveauté, de bonnes surprises, de nous autoriser un peu de plaisir et de légèreté ! Au niveau du groupe, nous établissons des hypothèses de retour en fonction des dynamiques de consommation domestique et des flux de touristes, tout en activant des leviers pour que l’on nous donne la préférence.

L'intérêt collectif pour le développement durable s'est également intensifié. Vous êtes-vous fixés de nouveaux objectifs en la matière ?

Notre label "Go for Good" progresse et chaque année de plus en plus de marques s’engagent à nos côtés. Cette crise a fait prendre conscience à un plus grand nombre que nous ne devons plus voir la nature comme une ressource à exploiter. Nous devons réintégrer dans nos métiers les enjeux d’environnement naturel, social et culturel et savoir combiner responsabilité et plaisir. Et c’est l’un des objectifs que nous nous fixons pour nos clients. Les fondateurs des Galeries Lafayette avaient la volonté de rendre le "beau" et le "bon" accessibles à tous. Il nous faut désormais intégrer la notion de "bien" à notre ADN. La mode doit améliorer son image car elle est souvent synonyme de consommation déraisonnée. Nous procédons à un travail avec les marques pour une mode plus responsable. Le label qui leur est proposé, par la pluralité de ses critères et sa rigueur, a pour vocation, si ce n’est de transformer la filière, au moins d’apporter notre pierre à l’édifice. La sensibilité des consommateurs a beaucoup évolué et il y a même aujourd’hui une véritable méfiance à l’égard des prix trop bas : soit la qualité n’y est pas, soit la marque est prête à tout sacrifier pour sa compétitivité. On préfère acheter moins mais mieux.

"La sensibilité des consommateurs a beaucoup évolué et il y a même aujourd’hui une véritable méfiance à l’égard des prix trop bas"

Quelles sont les ambitions de Citynove à moyen terme ?

Poursuivre la transformation de nos formats de commerce pour en faire les lieux préférés des Français. Nous avons  lancé cette année des collaborations avec des partenaires externes au groupe, et Citynove aura donc l’opportunité de mettre l’originalité de son approche au service de collectivités, d’investisseurs, d’enseignes ou d’opérateurs qui partagent notre vision d’un modèle moins centré sur la transaction et plus orienté sur la relation. Citynove dispose aujourd’hui de nombreuses références, certains acteurs se disent que l’on a suffisamment d’expérience pour les aider. Redevco, qui était, à l’origine, la foncière interne de C&A, est devenu un opérateur à part entière du marché que l’on n’assimile plus à cette enseigne. Citynove peut  emprunter une voie  similaire mais en revendiquant son lien à un groupe qui nous fait bénéficier d’une connaissance approfondie des problématiques de l’équipement de la personne et de la maison depuis l’accessibilité au luxe, de la distribution alimentaire et de la restauration. Cette expertise globale nous permet de retranscrire mieux que d’autres les problématiques "clients" et de matérialiser cette culture commerçante dans la conception de nos ensembles immobiliers.

Propos recueillis par Alban Castres

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