Transformation de bureaux en logements : enfin l’heure de l’industrialisation ?
L’offre immédiate de bureaux est surveillée comme le lait sur le feu par tous les acteurs immobiliers depuis quelques mois. Et pour cause, tous se demandent quel sera l’impact de la Covid-19 sur son niveau. Sur un an, l’offre a progressé en Île-de-France de 36 % selon le GIE ImmoStat pour atteindre 3 683 000 mètres carrés au 31 décembre 2020. Et le pire semble à venir. "Alors que l’activité locative ne reprendra que très progressivement et que les libérations pourraient s’accélérer, la hausse de l’offre s’annonce d’autant plus durable qu’un pic de livraisons est attendu entre 2021 et 2023, souligne le broker Knight Frank dans son rapport 2020 sur le marché de bureaux francilien. Cela dit, les derniers mois ont déjà permis de constater un recul des mises en chantier ainsi qu’un redimensionnement à la baisse de certains projets de développement. À terme, cette évolution laisse entrevoir une stagnation du parc de bureaux après plusieurs années de croissance, voire même une régression dans certains secteurs où les surfaces obsolètes sont importantes." L’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) a évalué pour sa part l’impact potentiel du télétravail sur le parc et la demande de bureaux dans la région capitale. Sur une base de 41 % des entreprises qui passeraient par exemple à deux jours de télétravail par semaine, le gain de surface envisageable serait de 27 % selon ses calculs. Cela représenterait une réduction 3,3 millions de mètres carrés du parc de bureaux francilien (soit 6,5 %) à moyen terme. Le gisement de transformation en logements s’annonce donc conséquent. Reste à lever définitivement les freins qui entravent la massification de cette pratique.
Des résultats encore en deçà des attentes
En 2018, la loi Elan introduit des modifications comme des bonus de construction pour faciliter la transformation de bureaux en logements en zones tendues. En parallèle, le ministre chargé du Logement Julien Denormandie signe une charte de mobilisation avec dix acteurs immobiliers (La Française, Bouygues Immobilier, Vinci Immobilier, Compagnie de Phalsbourg, Emerige, Spie Batignolles, Icade, Gecina, Kaufman & Broad et Novaxia) qui s’engagent à transformer 500 000 mètres carrés de bureaux vides en logements d’ici 2022. Deux ans plus tard, l’heure est au bilan. En France métropolitaine, 417 000 mètres carrés de logements issus de la transformation de bureaux ont fait l’objet d’une demande de permis de construire, dont 110 000 mètres carrés dans l’agglomération parisienne (26 %) et 190 000 mètres carrés dans les autres grandes agglomérations (46 %). 85 000 mètres carrés de logements ont été engagés par les signataires de la charte selon la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). "L’engagement n’est pas du tout respecté pour de multiples raisons, constate Xavier Lépine, président de La Française au moment de la signature de la charte et désormais président de l’IEIF. La première, c’est la persistance des difficultés à modifier les PLU et à obtenir des permis de transformation qui n’existent pas juridiquement parlant. La deuxième tient au coût d’opportunité : il était encore trop en défaveur des opérations de transformations de bureaux en logements en 2019. Et, troisième obstacle, les projets ont été mis à l’arrêt en 2020 compte tenu du contexte." Dans ces conditions, l’actuelle ministre chargée du Logement, Emmanuelle Wargon, insiste sur la nécessité d’accélérer "considérablement" la dynamique. Une feuille de route associant les pouvoirs publics et les partenaires privés a ainsi été dressée pour améliorer la connaissance du parc de bureaux et de son évolution future ; mettre en place des mesures de simplification destinées à améliorer le modèle économique de la transformation de bureaux en logement ; renforcer la mobilisation des acteurs et en élargissant les partenariats établis sur la base de la charte. Des acteurs comme Novaxia et la Ville de Paris ont justement annoncé de nouvelles initiatives pour massifier la transformation de bureaux en logements.
Novaxia mobilise l’assurance-vie
"Nous arrivons aujourd’hui à trouver des immeubles de bureaux à transformer en logements. Nous avons besoin désormais de financements pour réaliser les projets." Fort de ce constat dressé par son président fondateur Joachim Azan, Novaxia a noué un partenariat avec AG2R La Mondiale, Generali, Suravenir et Spirica. Un accord qui se concrétise par la création de "Novaxia R", fonds en assurance-vie de transformation d’immeubles de bureaux en logements. Le véhicule géré par la société de gestion Novaxia Investissement ambitionne un investissement de 1 milliard d’euros et la production de 4 000 logements en l’espace de trois ans avec un objectif de performance de 5 % par an. "En plus d'être innovante, c'est une démarche qui a du sens pour nous, assureurs, et qui donne du sens à l'épargne de nos clients qui pourront accéder à ce fonds à travers des UC référencées prochainement dans nos contrats d'assurance-vie, explique Bernard Le Bras, président du directoire de Suravenir. C'est une démarche immobilière responsable et solidaire, en total accord avec la raison d'être de notre groupe." La banque Socfim (groupe BPCE) fait elle aussi partie de l’initiative.
Nouvelle thématique pour le concours "Réinventer Paris"
De son côté, la Ville de Paris a dédié la troisième édition de son appel à projets urbains innovants "Réinventer Paris" à la transformation de bureaux en logements. Concrètement, la Ville de Paris se pose en facilitateur des opérations avec la mise en place d’une ingénierie technique au sein des directions de l’urbanisme et du logement, en lien avec la préfecture de région, pour accélérer l’instruction, les études de faisabilité et le calendrier des projets. "Chaque projet fera l’objet d’un cahier des charges spécifiques avec un calendrier et une méthode sur mesure, détaille Emmanuel Grégoire, premier adjoint de Anne Hidalgo en charge de l’urbanisme et de l’architecture. Les candidats à l’acquisition devront fournir une programmation prévisionnelle et un prix. Un jury ad hoc comprenant des représentants du propriétaire dans une proportion majoritaire, des représentants de la Ville et des experts de l’architecture et de l’urbanisme sera constitué pour étudier les offres et choisir la proposition retenue. Le vendeur étant majoritaire, il restera souverain." Autre spécificité, les projets seront proposés au fil de l’eau, ce "Réinventer Paris 3" n’étant pas un "one shot". Le 19 rue des Bernardins dans le 5e arrondissement (site universitaire de 900 mètres carrés appartenant à la Ville de Paris), le siège historique de l’APHP développant 25 000 mètres carrés avenue Victoria dans le 4e arrondissement, l’ancien centre de distribution électrique situé au 6 rue d’Aboukir dans le 2e arrondissement, l’ancien garage automobile Citroën au 62 avenue de la République dans le 11e arrondissement, le garage Renault au 29 quai de Grenelle dans le 15e arrondissement et le célèbre Tati Barbès au 4 boulevard de Rochechouart dans le 18e arrondissement sont les sites proposés dans le cadre de la première vague de "Réinventer Paris 3". Ils totalisent près de 55 000 mètres carrés à eux six. "Le potentiel à construire est même beaucoup plus important, ajoute Emmanuel Grégoire. Nous aurons plus de visibilité une fois que les lauréats auront été désignés." Les retours d’expériences passées donnent toutefois un aperçu prometteur.
Un nouvel élan d’optimisme
"Entre 2001 et 2014, 378 000 mètres carrés de bureaux ont été transformés en logements puis 350 000 mètres carrés entre 2014 et 2020, indique Ian Brossat, adjoint de la maire de Paris en charge du logement. Nous sommes convaincus que nous pouvons faire encore plus dans le cadre de la nouvelle mandature." S’il se refuse à évoquer des chiffres, soulignant notamment que la collectivité a largement dépassé son objectif initial de 250 000 mètres carrés de bureaux transformés en logements entre 2014 et 2020, Emmanuel Grégoire rêve d’en convertir plus de 700 000 mètres carrés dans les années à venir. Emmanuelle Wargon se montre elle aussi volontaire : "Nous souhaitons construire plus de logements durables en arrêtant d’artificialiser les sols. Des opérations de transformation de bureaux en logements comme celle menée par Novaxia au 44 rue Planchat dans le 20e arrondissement montrent que cela est possible. Donc, maintenant que le souhaitable est devenu possible, au possible nous sommes tenus !" Rendez-vous est d’ores et déjà pris dans quelques mois pour dresser un nouvel état des lieux.