Conçu pour la rénovation du parc tertiaire existant, le Décret « tertiaire », arrivé sur la scène juridique le 23 juillet 2019, est entré en vigueur le 1er octobre 2019. Ce texte a mis en place une obligation ambitieuse de réduction contrôlée et planifiée des consommations énergétiques : 40 % d’ici 2030, 50 % en 2040 et 60 % pour 2050. Son champ d’application étendu induit des implications juridiques significatives dans les relations contractuelles des acteurs du secteur immobilier.
Les nouvelles obligations découlant du décret tertiaire
Une obligation de réduction énergétique résolument ambitieuse
En trois étapes décennales :
Texte clef de l’ordonnancement juridique « tertiaire », le décret, initialement codifié aux articles R 131-38 et suivants du Code de la construction et de l’habitat (CCH) et désormais aux articles R. 174-22 et suivants du même code, constitue la pièce maîtresse du « pack énergétique » initié par la loi Elan du 23 novembre 2018 (article L. 111-10.3 et suivants du CCH, dont le contenu a été déplacé aux articles L. 174-1 et suivants de ce code).
Les modalités de mise en œuvre de ce Décret ont été précisées par un premier arrêté du 10 avril 2020 dit arrêté "méthode" puis par un second arrêté du 24 novembre 2020 communément appelé arrêté « valeurs absolues ». Les objectifs de réduction de la consommation énergétique finale sont désormais déterminés « en valeur absolue », c’est-à-dire en kWh/an/m². Les personnes assujetties à l’obligation de réduction de la consommation énergétique des bâtiments tertiaires – propriétaires et preneurs – sont désormais en mesure de définir les mesures pour ce faire.
- Le décret du 23 juillet 2019 définit en 11 articles la mise en application des objectifs de réduction de la consommation énergétique finale pour le parc tertiaire, jalonnés en trois étapes décennales : 40 % d’ici 2030 50 % d’ici 2040 60 % d’ici 2050.
"Le décret du 23 juillet 2019 définit en 11 articles la mise en application des objectifs de réduction de la consommation énergétique finale pour le parc tertiaire"
Notons que l’obligation imposée par le texte est une obligation de réduction qui s’apparente plus à une obligation de résultat qu’à une obligation de moyens : il ne suffit pas d’être déjà performant, il faut être meilleur ! Le respect de l’objectif fixé est apprécié par rapport à un point de référence : une année pleine (12 mois) d’exploitation et de consommation (incluant chauffage, éclairage, ventilation…). Ce seuil référentiel ne peut être antérieur à 2010 et doit être déclaré pour le 30 septembre 2022 au plus tard.
À défaut de données de consommation réelles exploitables, le seuil sera fixé en valeur absolue par référence à des catégories d’activité conformément à l’arrêté « valeurs absolues » précité.
- Bien sûr, il est toujours possible de moduler le respect des objectifs de réduction énergétique, mais il ne peut être question de les éviter ou de les supprimer. Le texte prévoit en effet la possibilité, dans certains cas limités, d’assouplir les objectifs s’il existe des contraintes techniques, patrimoniales ou architecturales trop importantes, ou un temps de retour sur investissement trop long.
Par les propriétaires et occupants :
- Les assujettis à l’obligation de réduction énergétique sont les propriétaires et occupants de bâtiments à usage tertiaire privé et public de plus de 1 000 m² de surface au plancher ou cumulée (bureaux, hôtels, commerces, écoles, bâtiments administratifs…), mais aussi les bailleurs et preneurs selon les stipulations du bail. Il est à noter que la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 dite loi « climat et résilience » étend l’obligation de réduction énergétique à tous les bâtiments professionnels existants, quelle que soit la date de leur construction (art. L. 174-1 du CCH).
- Les assujettis sont tenus de mettre en œuvre les moyens nécessaires, c’est-àdire de définir un programme d’action pour atteindre les objectifs fixés par le texte. Ils sont soumis à cet égard à une obligation déclarative : ils doivent transmettre chaque année les informations énergétiques et correctives envisagées à la plateforme OPERAT ("Observatoire de la Performance Énergétique, de la Rénovation et des Actions du Tertiaire"). Cette plateforme gérée par l’ADEME établit une sorte de cartographie des lieux en respectant le caractère secret et anonyme des informations transmises.
- Si la sanction du non-respect de l’obligation reste à ce stade symbolique (application d’une amende administrative allant de 1 500 € à 7 500 € en application du nouvel article R. 185-2 du CCH), la véritable sanction résulte de la mauvaise publicité que pourrait s’attirer le récalcitrant (« name and shame »), mais aussi et surtout du marché luimême dans la mesure où le respect du critère énergétique du bâtiment devient de facto un facteur de valorisation économique de l’actif immobilier. À tel point que le texte prévoit à cet égard l’obligation d’adjoindre une annexe informative sur la base de l’attestation numérique annuelle en cas de transaction ou de location du bien assujetti.
Des implications juridiques étendues
- De par la portée de son champ d’application, on mesure l’importance des implications que ce texte engendre dans les relations juridiques et pas seulement entre propriétaires et locataires.
- Le premier impact du Décret se produit dans la relation propriétaire-bailleur/ preneur dans la mesure où l’application du texte oblige ces derniers à redéfinir le périmètre de leurs obligations respectives dans le bail et dans son annexe environnementale.
Ce qui n’est pas tâche facile quand on sait que le référentiel de durée d’investissement d’un propriétaire n’est pas forcément le même que celui d’un locataire.
- Le décret tertiaire a d’autres implications notamment en matière de contrat de franchise : faut-il dorénavant que le franchiseur informe le franchisé des contraintes imposées par le Décret au stade du DIP (Document d’information préalable) ? - Le droit de la construction est lui aussi concerné par la portée des obligations nouvelles : comment faut-il prendre en compte la portée de l’obligation de réduction énergétique dans les marchés et éviter les risques de litiges y afférents. Comment appréhender à ce titre l’extension de la notion d’impropriété à destination énergétique du bâtiment ? - Le droit des assurances n’est pas non plus épargné car les risques juridiques découlant de la prise en compte des nouvelles obligations énergétiques par les assurés conduisent nécessairement à l’actualisation des couvertures dans les polices d’assurance qu’il s’agisse de garanties obligatoires ou non. La liste ne s’arrête pas là et la mise en pratique du Décret continue nécessairement de soulever des questions nouvelles. Il faut être prêt à y apporter les réponses adéquates.
José Ibanez, associé chez LVI Avocats