Il n’est pas rare que l’acquéreur profane d’un bien vendu en l’état futur d’achèvement confonde les deux notions distinctes de « réception » et de « livraison » de l’ouvrage, confusion d’ailleurs parfois entretenue par leur cocontractant, vendeur en l’état futur d’achèvement, par ailleurs maître d’ouvrage des travaux vis-à-vis des entreprises, dont il est de l’intérêt d’assurer la concomitance de la réception et de la livraison de l’ouvrage. Décryptage d'Eric Gomez et Sébastien Sion, associés du cabinet Lazare Avocats.

Même si le vendeur en l’état futur d’achèvement/maître d’ouvrage reste le point commun de la réception prononcée avec les entreprises et de la livraison de l’ouvrage aux acquéreurs, ces deux actes juridiques doivent pourtant être distingués compte tenu des différences de leurs effets comme de leurs acteurs.

Débiteur des garanties attachées à la vente et à la livraison, notamment la garantie des vices et défauts de conformités apparents, il est bénéficiaire de la garantie de parfait achèvement due par les entreprises qui prend effet à compter de la réception de l’ouvrage. Il est dès lors de l’intérêt du maître d’ouvrage de conserver à l’esprit la distinction entre les deux actes tout en privilégiant la nécessaire concordance ou concomitance de la réception et de la livraison afin notamment de rendre opposables aux entreprises les réserves formulées à la livraison par les acquéreurs. Il importe de rappeler la distinction entre l’acte de réception des travaux et celui de livraison du bien immobilier aux acquéreurs. La réception est définie par l’article 1792-6 du Code civil comme l’acte juridique par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve, qu’il soit d’ailleurs achevé ou non. Elle concerne les rapports entre le maître d’ouvrage (vendeur en l’état futur d’achèvement) et les entreprises. Elle intervient à cet égard, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement, et peut également être tacite mais en tout état de cause, elle doit être prononcée contradictoirement. Le maître d’ouvrage est assisté dans le cadre de cette réception, puis de la levée des réserves, de la maîtrise d’oeuvre en charge du suivi de l’exécution des travaux. La réception est le point de départ de la garantie de parfait achèvement à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an et qui s’étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître d’ouvrage, soit au moyen des réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception. On rappellera qu’il s’agit d’un délai de notification des désordres mais également d’action sanctionné par une forclusion opposable au maître d’ouvrage qui n’aurait pas agi en justice à l’encontre des entreprises dans ce délai. Il importe de préciser qu’aux termes de l’article L.261-3 du Code de la construction et de l’habitation "le vendeur conserve les pouvoirs du maître d’ouvrage jusqu’à la réception des travaux", de sorte que seul le vendeur d’immeubles à construire, maître d’ouvrage, a le pouvoir de prononcer la réception hors l’intervention des acquéreurs qui ne peuvent, en principe, même pas y participer.

"Cette concordance de la réception livraison du bien permet au maître d’ouvrage de disposer d’une liste commune de réserves dont il est débiteur vis-à-vis de son acquéreur et dont il est bénéficiaire vis-à-vis de l’entreprise"

La livraison du bien immobilier ressort quant à elle des seules relations entre le vendeur en l’état futur d’achèvement et ses acquéreurs et s’inscrit dans le cadre de son obligation de délivrance d’un immeuble achevé au sens de l’article R.261-1 du Code de la construction et de l’habitation qui induit l’achèvement complet des ouvrages et des éléments d’équipement indispensables à l’utilisation de l’immeuble conformément à sa destination. Cette prise de possession de l’ouvrage par l’acquéreur peut également être effectuée avec des réserves mentionnées en annexe du procès-verbal de livraison et qui concernent soit des non-conformités, soit des vices apparents. La livraison est le point de départ du délai prévu par l’article 1642-1 du Code civil (repris par l’article L. 261-1 du CCH) qui dispose que « le vendeur d’un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l’expiration d’un délai d’un mois après la prise de possession par l’acquéreur, des vices de construction et des défauts de conformité alors apparents ». On soulignera à cet égard que la liste des réserves de livraison, contrairement à l’acte de réception, peut être complétée dans le délai d’un mois de la prise de possession. Au demeurant, la jurisprudence a même étendu ce délai de manière contra legem, ce qui pose évidemment de nombreuses difficultés pour le maître d’ouvrage. En tout état de cause, la livraison ne concerne pas les constructeurs qui n’y participent pas. On rappellera également que les acquéreurs sont soumis à un délai de forclusion prévu par l’article 1648 al. 2 du Code civil (qui précise qu’ils doivent agir dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices et défauts de conformité apparents), pour faire valoir leurs droits à l’encontre du vendeur d’immeubles à construire qui n’aurait pas levé les vices ou défauts de conformité apparents dans le délai susvisé. Ainsi, le vendeur n’est pas débiteur de la garantie de parfait achèvement de l’article 1792-6 du Code civil contrairement aux entreprises.

Cependant, le vendeur étant soumis à un délai d’action par les acquéreurs (treize mois à compter de la date de la livraison si la réception est antérieure) nécessairement plus étendu que celui dont il bénéficie à l’encontre des entreprises (douze mois à compter de la date de réception), il est de son intérêt de rendre opposables les réserves de livraison émises par les acquéreurs et de faire lever au plus tôt lesdites réserves par les entreprises. Il est donc essentiel d’assurer une concordance ou une concomitance entre la réception des travaux avec les entreprises et la livraison du bien achevé à ses acquéreurs. Il est en outre utile de prévoir des stipulations spécifiques dans le contrat d’entreprise visant les réserves à un mois qui seraient complétées par les acquéreurs. On soulignera à cet égard que la réception sans réserve concernant un défaut de conformité ou un vice apparent par le maître d’ouvrage purge la responsabilité de l’entreprise qui a réalisé les travaux. En pratique, il est donc indispensable que le maître d’ouvrage puisse intégrer en annexe au procès-verbal de réception les réserves qui auraient été émises par les différents acquéreurs au moment de la livraison. Si, en stricte orthodoxie juridique la réception devrait être prononcée avant la livraison, dès lors que le vendeur d’un immeuble à construire ne peut être déchargé, selon l’article 1642-1 du Code civil, avant la réception des travaux, il n’est pas inenvisageable de prononcer ladite réception après avoir procédé à la livraison des biens aux acquéreurs, de sorte à permettre au vendeur d’assurer une concordance entre la liste des réserves de livraison et celle de réception. Il importe enfin que le maître d’ouvrage reste vigilant sur la levée des réserves par les entreprises et leur notifie systématiquement les désordres qui lui auront été signalés par ses acquéreurs, en n’hésitant pas à assigner les entreprises avant l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement en cas de défaillance de ces dernières et d’absence de levée de l’intégralité des réserves de réception ou désordres de parfait achèvement. Il pourra ainsi sauvegarder ses droits, notamment pour le cas où les acquéreurs engageraient une procédure à son encontre, étant précisé que ceux-ci bénéficient d’un délai plus étendu pour ce faire.

Eric Gomez et Sébastien Sion, avocats associés, Lazare Avocats

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