Avec une puissance installée qui avoisine les 25 GW, soit près du 1/5e du parc de production français et près de 12 % de la production d’électricité, le potentiel hydroélectrique occupe une place primordiale en France et attire, à juste titre, les énergéticiens européens. Las, la situation des concessions hydroélectriques, soit 399 ouvrages, n’a pratiquement pas bougé depuis le plan Borloo de 2010. Analyse de Mounir Meddeb, associé fondateur d’Energie-Legal

Le 7 mars 2019, la Commission demande à certains États membres, dont la France, de se conformer au droit de l’Union en matière de concessions hydroélectriques. Dans la lettre de mise en demeure, la Commission considère que tant la législation que la pratique des autorités françaises sont contraires au droit de l’UE. Près de quinze ans avant, le 21 décembre 2004, la Commission européenne adresse un avis motivé à la France en raison de l’incompatibilité de la législation relative aux concessions hydroélectriques avec le principe de liberté d’établissement et contestant le droit de préférence accordé au concessionnaire sortant dans le renouvellement des concessions. Depuis, malgré (i) l’adoption du décret n°2008-1009 du 26 septembre 2008 et de ses principaux arrêtés d’application et (ii) les modifications profondes apportées par la loi sur la transition énergétique et le décret n°2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges avec l’introduction du principe des sociétés d’économie mixte hydroélectriques associant l’État et des collectivités territoriales à un actionnaire privé, sélectionné à l’issue d’une procédure d’appel public à la concurrence, aucune procédure de mise en concurrence n’a été entamée et aucun calendrier n’a été publié.

La situation juridique des concessions hydroélectriques est contestable

La première mise en concurrence devrait concerner le barrage de Sautet- Cordéac (110 MW) dont la concession est arrivée à échéance le 31 décembre 2011. Ensuite, les concessions d’une douzaine ouvrages représentant 20 % de la puissance installée se sont achevées fin 2012. Jusqu’en 2020, 5 000 MW (soit 25 % de la production hydroélectrique française) devront être mis en concurrence, entre 2020 et 2030, 6 500 MW devront suivre. Ces concessions continuent à être gérées dans le cadre de contrats de concession échus et sur le fondement du principe des "délais glissants". Or, justement, ce principe n’a vocation à s’appliquer que si une procédure de mise en concurrence avait été entamée afin de maintenir le concessionnaire en place le temps de la procédure. Il convient de rappeler que l’État n’a pas fait application de l’article L. 521-16-3 du Code de l’énergie prévoyant la possibilité pour l’État de décider de proroger une concession "lorsque la réalisation de travaux nécessaires à l’atteinte des objectifs mentionnés aux articles L. 100‑1, L. 100-2 et L. 100-4 et non prévus au contrat initial l’exige".

"D’une formidable opportunité d’investissement et d’optimisation des centrales, la situation des concessions hydroélectriques tourne à l’imbroglio juridique"

Le regroupement des concessions est juridiquement fragile

Deux décrets relatifs au regroupement de concessions hydroélectriques ont été adoptés le 20 mars 2019 (décret n°2019-212 relatif au regroupement des concessions hydroélectriques sur la Dordogne et décret n°2019-211 relatif au regroupement des concessions hydroélectriques sur la Têt). En application de la loi sur la transition énergétique instaurant la possibilité de regrouper des concessions formant une chaîne d’aménagements hydrauliques liés et détenus par un même concessionnaire, le décret du 27 avril 2016 fait application de la méthode du barycentre afin de fixer une date d’échéance unique pour l’ensemble du lot, date obtenue en pondérant les dates d’échéance des différents contrats de concession au prorata des différents revenus générés. Or, ces procédures de regroupement sont juridiquement fragiles. Outre la barrière à l’entrée que crée le regroupement des concessions en raison de la taille qu’aura l’ensemble du lot, l’application de la méthode du barycentre soulève la question de sa compatibilité avec le droit européen. Cette méthode induit en effet une modification substantielle de la concession et constitue donc une dérogation à l’obligation de mise en concurrence. Ce risque a déjà été pointé par le rapport Battistel-Straumann en 2013. Au demeurant, impliquant l’allongement de la durée de certaines concessions, cette méthode aurait dû faire l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne au titre du contrôle des aides d’État.

Les SEM hydroélectriques sont-elles une solution ?

La création de SEM hydroélectriques est prévue par la loi sur la transition énergétique comme une possibilité et non comme la seule méthode permettant le renouvellement des concessions. Toutefois, aucun critère n’est prévu pour déterminer le choix de cette méthode par rapport à une mise en concurrence classique entre opérateurs. Or, un processus fondé sur la création d’une SEM hydroélectrique est foncièrement plus complexe et plus politique, de nature à favoriser les opérateurs établis. De plus, compte tenu des capacités contributives des actionnaires publiques aux financements nécessairement importants, l’actionnaire privé devrait d’être amené à contribuer à l’essentiel des financements. Dans ce contexte, en l’état, la situation des concessions hydroélectriques demeure peu ou prou similaire à la situation sous la loi du 16 avril 1919 et risque de perdurer. Ainsi, le 1er avril 2019, plus d’une centaine de députés ont prévu de déposer une proposition de résolution demandant au gouvernement de s’opposer à l’ouverture à la concurrence de ces concessions.

Mounir Meddeb, associé fondateur, Energie-Legal

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