Dans deux arrêts rendus cet été, le Conseil d’État vient préciser le régime de la fin anticipée des contrats publics, frappés d’irrégularité, ou conclus alors que l’acheteur public s’estime victime d’un dol. Explications de David Pilorge, avocat directeur chez Cornet Vincent Ségurel.

Le Conseil d’État poursuit son office tendant à restructurer le contentieux de la commande publique. Par deux arrêts du 10 juillet 2020 publiés au recueil Lebon, il encadre la fin anticipée d’un contrat administratif lorsque celui-ci est affecté d’une irrégularité, ou lorsque la personne publique s’estime victime de pratiques anticoncurrentielles constitutives d’un dol ayant vicié son consentement. Soucieux de faire oeuvre de pédagogie, il fournit de véritables modes d’emploi aux parties à un tel contrat.

Irrégularité et motif d’intérêt général

Un acheteur public peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement un contrat irrégulier. Cette irrégularité constitue un motif d’intérêt général, soumise à des règles particulières. La résiliation pour motif d’intérêt général n’a jamais été conçue pour sanctionner les irrégularités d’un contrat. L’indemnisation du titulaire, au titre d’une forme de responsabilité sans faute, de l’intégralité du préjudice qu’il subit du fait de cette résiliation n’est pas adaptée à une résiliation fondée sur un vice interne, dont l’existence constitue une faute de l’une des parties à tout le moins. Pour ces motifs notamment, le Rapporteur public dans cette affaire, suivant en cela une partie de la doctrine, souhaitait faire de l’invalidité du contrat un motif de résiliation distinct de l’intérêt général. Le Conseil d’État ne l’a pas suivi. Il ajoute aux cas visés par le code de la commande publique et consacre le droit pour un acheteur public de résilier unilatéralement, pour un motif d’intérêt général, un contrat irrégulier : « 2. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. 3. Dans le cas particulier d’un contrat entaché d’une irrégularité d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge. (…) » (CE, 10 juillet 2020, req. n° 430864).

« Toutes les irrégularités ne permettent pas de résilier un contrat »

Par ailleurs il adapte les conditions de cette résiliation et met en place des règles particulières : « (…) Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d’effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. Saisi d’une demande d’indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice. » Comme classiquement dorénavant en droit de la commande publique, toutes les irrégularités ne permettent pas de résilier un contrat (pour une analogie récente v. un autre arrêt du même jour aux tables : CE, 10 juillet 2020, req. n° 434353). Ce pouvoir de résiliation unilatéral est subordonné à l’existence d’un motif de nature à permettre aux parties d’en contester la validité devant le juge du contrat et à celui- ci de mettre un terme au contrat. Cet arrêt important sera publié au recueil Lebon. Un second arrêt relatif aux pratiques anticoncurrentielles constitutives d’un dol ayant vicié le consentement de la personne publique, daté du même jour, le sera également.

Pratique anticoncurrentielle et indemnisation de l’acheteur public

Par ce second arrêt, le Conseil d’État précise les actions ouvertes aux victimes d’un dol imputable à leur cocontractant. Cette affaire est à rapprocher de deux arrêts du Conseil d’État du 27 mars 2020 (req. n° 420491, req. n° 421758), également publiés au recueil Lebon, relatifs au « cartel des panneaux routiers ». Là encore la Haute juridiction pose les règles d’indemnisation de la personne publique victime d’un dol (req. n° 420045): « 2. Lorsqu’une personne publique est victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d’un dol ayant vicié son consentement, elle peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement, d’une part, de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l’annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d’autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif. 3. En cas d’annulation du contrat en raison d’une pratique anticoncurrentielle imputable au cocontractant, ce dernier doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu’il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci, à l’exclusion, par suite, de toute marge bénéficiaire. Si, en cas d’annulation du contrat, la personne publique ne saurait obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu’ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, dès lors que cette annulation entraîne par elle-même l’obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles, elle peut, en revanche, demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant. » Cette affaire participe également de la recherche d’équilibre entre légalité d’une part, loyauté des relations contractuelles, stabilité de celles-ci et sécurité juridique d’autre part. Depuis quelques années maintenant, la régularisation d’un contrat doit être privilégiée, quand l’annulation reste l’exception.

David Pilorge, avocat directeur, Cornet Vincent Segurel

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