Le bail réel solidaire ou la promesse d’un dispositif anti-spéculatif enfin efficient ?
Nombre de collectivités ont cherché, depuis plusieurs années, à s’attaquer à l’inflation des prix de l’immobilier par la mise en place de politiques volontaristes visant à encadrer, sur leur territoire, les prix pratiqués par les promoteurs. Les actions mises en oeuvre ont en particulier consisté, ces dernières années, à l'instauration par certaines communes de "chartes promoteurs" plus ou moins contraignantes comportant notamment, et outre des prix de commercialisation plafonds, l’"obligation" d’introduire dans leurs contrats de vente en l’état futur d’achèvement des clauses anti-spéculatives encadrant les futures reventes. C’est ainsi qu’ont pu notamment prospérer divers mécanismes contractuels tels que des clauses prévoyant la captation de toute plus-value à la revente, etc. Quelle qu’ait été la qualité des rédactions proposées s’est posée la question de l’efficacité des dispositifs utilisés, par nature temporaires (souvent limités à cinq ans) et en proie à des difficultés pratiques d’application et de contrôle.
C’est dans ce contexte, et afin de faciliter cette lutte anti-inflationniste, qu’elles pourraient être, dans les années à venir, tentées de favoriser l’intervention sur leur territoire des Organismes de foncier solidaire (OFS). Ces organismes, d’initiative publique comme privée mais agréés spécialement à cet effet par l’État, ont pour objet d’acquérir des fonciers afin notamment de les donner en BRS à des opérateurs pour une durée de 18 à 99 ans. Ce bail confère au promoteur le droit réel lui permettant de construire un ensemble immobilier à usage de logements et de le commercialiser auprès d’accédants entre lesquels seront partagés les droits réels temporaires issus du BRS initial. Si de tels mécanismes de dissociation du foncier et du bâti avaient déjà pu être expérimentés dans le champ de l’accession sociale à la propriété (par exemple, il y a quelques années avec le mécanisme dit de Pass-Foncier*), la particularité du dispositif BRS réside ici dans la mise en place d’un corps de règles anti-spéculatives abouti.
Son efficacité en la matière repose sur plusieurs piliers évitant, sur la longueur, une envolée des prix :
• s’agissant de la vente initiale par l’opérateur au premier accédant : les ressources de l’accédant et le prix pratiqué par l’opérateur sont soumis à des plafonds qui ne peuvent être supérieurs à ceux du Prêt social de location-accession ou PSLA (article L255-3 du Code de la construction et de l’habitation),
• s’agissant de chacune des mutations ultérieures : là encore, les ressources de tout ayant-droit (en cas de mutation à titre gratuit) ou de tout sous-acquéreur (en cas de revente) ne doivent, en principe, pas excéder ceux prévus en matière de PSLA. Le prix de revente connaît quant à lui deux plafonds (articles L255-5 et R255-3 du Code de la construction et de l’habitation) : la valeur initiale d’acquisition, simplement actualisée par application de la variation d’un indice choisi par l’OFS, et majoré du montant des éventuels travaux; les plafonds de prix PSLA alors applicables. Plus loin, le BRS peut même prévoir une formule de fixation impérative du prix de revente dont le montant est ainsi complètement soustrait à la volonté du cédant (article R255-3 du Code de la construction et de l’habitation).
"La particularité du dispositif BRS réside ici dans la mise en place d’un corps de règles anti-spéculatives abouti"
La police du BRS : le contrôle étroit de l’Organisme de Foncier Solidaire
Outre la force impérative des règles ainsi posées, lesquelles proviennent de la Loi et non de stipulations contractuelles dont l’efficacité pourrait être judiciairement remise en cause, le dispositif s’appuie sur un contrôle étroit et continu de l’OFS. Celui-ci ne se contente pas, en effet, de percevoir passivement les redevances acquittées tout au long du bail par les titulaires de droits. Sa mission principale va consister à s’assurer, en particulier lors des mutations ultérieures et sur justification documentaire, que les règles exposées plus haut relatives aux plafonds de ressources et de prix de vente sont bien observées. Ainsi notamment, l’OFS va-t-il devoir donner son agrément pour toute transmission volontaire de droits réels immobiliers qu’elle intervienne par cession ou donation (article L255-11 du Code de la construction et de l’habitation). En cas de refus d’agrément, le cédant peut alors demander à l’OFS de lui proposer dans un délai de six mois un acquéreur répondant aux conditions d’éligibilité ; à défaut le BRS peut alors être résilié conventionnellement et le preneur indemnisé dans les conditions prévues au bail. L’OFS dispose également d’un droit de préemption à son profit à l’occasion de toute cession ou donation. Dans ce cas, il peut racheter les droits réels afférents au bien objet du BRS ou les faire acquérir par un bénéficiaire répondant aux conditions d’éligibilité.
Vers un véritable marché immobilier parallèle ?
Une dernière particularité du BRS au regard de la lutte anti-spéculative va consister en une pérennité inédite des mécanismes mis en place. Là où les dispositifs existants, souvent de nature contractuelle, étaient contraints dans des durées d’application relativement courtes, les règles du marché reprenant leurs droits au bout de quelques années, le BRS se distingue par des mécanismes théoriquement à l’oeuvre pour une période illimitée. Si le bail peut être conclu pour une période déjà exceptionnellement longue (jusqu’à 99 ans), a par ailleurs été introduit un mécanisme de recharge automatique : ainsi cette durée est-elle reconduite de plein droit à chaque mutation afin de permettre à tout nouveau preneur de bénéficier d’un droit réel d’une durée égale à celle prévue dans le contrat initial (article L255-12 du Code de la construction et de l’habitation). Sauf donc à voir un preneur demeurer lui-même dans les lieux pendant toute la durée du bail, on imagine mal en pratique, et hors hypothèse de résiliation, le BRS pouvoir arriver à son terme, de sorte que c’est bien plusieurs générations successives d’accédants qui vont être amenées à profiter de ce dernier. Un immeuble ainsi entré dans le dispositif aura ainsi vocation à y demeurer pour une durée illimitée. Ne nous y trompons donc pas : c’est sans doute moins à l’introduction d’un nouveau mécanisme anti-spéculatif que nous avons assisté qu’à la mise en place, en cas de succès du dispositif, d’un nouveau marché immobilier parallèle, soustrait aux règles pluriséculaires de l’offre et de la demande. Soit une petite révolution qui pourrait en annoncer une grande alors que l’Assemblée nationale a adopté le 28 novembre dernier, en première lecture, un projet de loi prévoyant de créer, sur le modèle des OFS, des "Offices foncier libre" et de faire sortir ces mécanismes de dissociation du foncier et du bâti de la seule accession sociale.
Loïc Guez, notaire associé, Nogent Paris Est Notaires
* Le dispositif de Pass-Foncier a été initialement mis en place par une convention conclue entre l’État, l’Union d’économie sociale pour le logement et la Caisse des dépôts et consignations, en date du 20 décembre 2006. Il prévoyait, dans sa première version applicable aux seuls logements individuels, une dissociation du foncier et du bâti au moyen d’un bail à construction. Une structure filiale du 1 % logement, réalisait le portage du foncier pendant la durée de remboursement du bâti (comprise entre 18 et 25 ans). Ce dispositif a fait long feu et a été aujourd’hui abandonné.