Déployer des technologies à l’échelle planétaire pour modifier la composition de notre atmosphère ou la météo, afin d’empêcher un cataclysme climatique, cela peut ressembler à de la science-fiction. Pourtant, la géo-ingénierie est envisagée et fait l’objet de débats dans les plus hautes sphères décisionnelles.

Si le film Snowpiercer du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho nous apprend bien une chose, c’est qu’il est dangereux de jouer aux apprentis-sorciers du climat. La géo-ingénierie et ses nombreux dérivés (ingénierie climatique/environnementale, ingénierie du système terre, Gaïa-ingénierie, ingénierie globale et ingénierie planétaire), dépend d’un concept enfantin : manipuler le climat et l’environnement d’une planète. Du poétique projet chinois "Rivières célestes" (Tianhe) visant à guider des nuages jusqu’au nord du pays pour y augmenter les taux de précipitations, au déploiement de miroirs orbitaux géants, la géo-ingénierie ne semble jamais à court d’idées. Mais ces projets  sont-ils raisonnablement applicables ?

Un puit à idées intarissable

Pour Clive Hamilton, philosophe et économiste australien, l’ingénierie planétaire se divise en deux catégories : "La gestion du rayonnement solaire et la capture de carbone". Rien de mieux que quelques exemples pour comprendre de quel bois se chauffe la géo-ingénierie. Parmi les techniques  les plus emblématiques, on retrouve la fertilisation de l’océan. Objectif ? Déverser du minerai de fer à très grande échelle, dans la mer afin de favoriser la prolifération du phytoplancton, organisme végétal qui capture le CO2. Ainsi, le gouvernement allemand avait lancé l’expérience Lohafex de fertilisation de l’océan en 2009, au large des côtes argentines, qui fut un échec notable. Le phytoplancton ayant été pour une grande partie mangé par du zooplancton, sans pouvoir capturer le CO2 vers les fonds marins.

Par ailleurs, la start-up suisse Climeworks projette d’installer des ventilateurs géants, devant faire office d’"aspirateurs à gaz carbonique". L’ambition du plan est de capter 1 % des émissions anthropiques d’ici 2025, en recueillant une partie du CO2 présent dans l’atmosphère. Toutefois, le projet est ralenti en raison de coûts trop élevés et une efficacité non démontrée, tout en sachant que la construction de 250 000 usines de ventilation serait nécessaire pour atteindre l'objectif. Enfin, la solution la plus connue est sans doute celle qui consiste en un largage massif d’aérosols, plus précisément de carbonate de calcium, dans l’atmosphère. Bien loin des "chemtrails" et autres théories complotistes, elle mime les rejets massifs de gaz dans l’atmosphère provoqués par une éruption volcanique. Soutenue par David Keith et Peter Irvine, chercheurs à Harvard, cette technique vise à augmenter l’albedo terrestre, autrement dit, à améliorer son pouvoir réfléchissant.

Ces technologies, loufoques aux yeux de certains, n’en restent pas moins envisagées par le Giec, dès octobre 2018, dans un rapport de 400 pages. Aucun des scénarios de l’organisation restant sous la barre des 1,5°C ne se passe de dispositifs d’extraction de CO2 de l’atmosphère. Trois questions clés se posent concernant ces techniques : Peut-on mesurer avec suffisamment de précision leurs éventuels effets secondaires ? Sont-elles technologiquement accessibles ? Et surtout, sont-elles déployables suffisamment tôt pour pouvoir lutter efficacement contre le changement climatique ?

Une ingénierie qui fait peur

Tenter de modifier le climat d’un corps céleste n’est malheureusement pas sans risque. C’est l’un des principaux reproches adressés à l’encontre de la géo-ingénierie : les impacts potentiels de ces technologies sur l’environnement, et plus généralement sur le fonctionnement de la Terre restent méconnus. Bouleversement du cycle de l’eau, altération des courants marins et de la circulation atmosphérique : les risques, à ne pas sous-estimer, sont nombreux. Par conséquent, le largage d’aérosols dans l’hémisphère nord pourrait aggraver les épisodes de sécheresse au Sahel, alors que la même pratique dans l’hémisphère sud augmenterait la fréquence d’occurrences des tempêtes tropicales et des cyclones dans l’autre hémisphère.

Le pouvoir effrayant de certaines technologies inquiète une partie de la communauté scientifique qui voit en elles des "solutions" encore mal comprises, aux effets secondaires inconnus. Néanmoins, Clive Hamilton craint que ces technologies deviennent des solutions de dernier recours, de manière précipitée. Il explique ainsi dans une interview accordée au quotidien Reporterre qu’en cas de désastre climatique, générant par exemple des "sécheresses massives dans le sous-continent indien ou en Chine, provoquant la mort de millions de personnes – […] un gouvernement désespéré pourrait y répondre en propulsant des aérosols dans l’atmosphère". L’audace démesurée des projets de géo-ingénierie est selon lui une réelle menace, et expose le monde à des retombées catastrophiques, suite à leur application non-concertée. En effet, larguer de grandes quantités d’aérosols dans l’atmosphère ne représente pas un coût prohibitif et est même qualifié d’option "extraordinairement bon marché" par l'économiste Scott Barrett, renforçant ainsi le risque de prise de décision unilatérale affectant l’entièreté du globe. 

Par ailleurs, certains craignent que la géo-ingénierie, si populaire chez les climatosceptiques et les industries qui exploitent les énergies fossiles, ne soit qu’un leurre, et ne serve que de prétexte à poursuivre l’activité économique humaine, "business as usual". Lola Vallejo, membre de l’Iddri, un think tank ambitionnant de faciliter la transition vers le développement durable, rappelle qu'"Il serait dangereux et illusoire de se reposer uniquement sur ces solutions-là", tant la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre représente pour elle notre priorité. La grande crainte est donc que la géo-ingénierie justifie la poursuite de la politique de l’autruche, servant des intérêts de court terme.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Face aux risques soulevés par la modification des paramètres terrestres par la main de l’homme, existe-t-il un cadre juridique, un début de restrictions, d’interdictions ? La réponse n’est malheureusement pas très claire. De fait, il existe bien une Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Convention ENMOD), signée en 1978 par 73 pays, suite à l’utilisation, à des fins guerrières de la géo-ingénierie par les États-Unis, lors de la guerre du Vietnam. Cependant, cette convention qui interdit l’utilisation de ces technologies à des fins "militaires ou hostiles", ne dit rien quant à un usage civil. Une autre convention, celle de la biodiversité de 1992 amendée en 2010, évoque l’interdiction pure et simple de la géo-ingénierie, mais sans être contraignante pour autant. En 2008, l'Organisation maritime internationale a voté une interdiction de la fertilisation des océans dans les eaux internationales à l'exception de "recherches scientifiques légitimes à petite échelle". Le doute persiste, car il est impossible de raisonner autour de la géo-ingénierie en la qualifiant de "bonne" ou "mauvaise". Le rôle du droit est donc difficile à définir. Doit-il interdire ces pratiques, ou au contraire, encadrer leur développement ? Toujours est-il que s’il existe un avenir pour la géo-ingénierie, il devra alors être empreint d’une grande prudence, et découler d’une concertation multilatérale consciencieuse.

Par Thomas Gutperle

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