Convention citoyenne, le discours d'Emmanuel Macron
Amel a 25 ans, elle est infirmière, exerce à l’hôpital de Nanterre et nous annonce son union surprise : "on ne s’y attendait pas du tout mais là nous signons un contrat de mariage avec le président de la République. Il ne nous avait rien dit mais on le remercie, c’est géniale. Au micro de France Info, Amel ne cache pas sa pleine et entière satisfaction en réagissant à l’intervention d’Emmanuel Macron, à laquelle elle a assisté lundi à l’Élysée, en qualité de citoyenne participante à la convention du même nom.
On sait depuis le poète Pierre Reverdy qu’"il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour", lundi 29 juin, le Président de la République a tenu à en distribuer et pas qu’à moitié. Les applaudissements des 150 citoyens qui ont ponctué les annonces et la conclusion du chef de l’État avaient valeur d’assentiment.
Le retour de l’hyper-président
Pour autant, ne pourrait-on craindre pour le président un retour de bâton, quelques obstacles sur ce chemin de roses suite à cette démonstration d’amour vorace, sachant pertinemment que qui trop étreint mal embrasse ? C’est que le Président ne veut pas perdre de temps. Mieux, en cette période de chassé-croisé, il assume les embouteillages qu’il veut et va créer. En choisissant de s’adresser aux citoyens de la convention au lendemain d’un second tour des municipales très décevant pour sa majorité, Emmanuel Macron ouvre les hostilités.
Il sait qu’une partie de son électorat, est peut-être déçu par une "droitisation" de sa politique, et a pu se réfugier chez EELV. Il sait aussi que les "fronts anti-écologistes" tels que ceux mis en place à Bordeaux, Lyon ou Strasbourg se sont soldés par de cuisants échecs. Il convient pour le Président de recréer du lien et du liant, et en reprenant la main avec son nouveau chemin teinté de vert, retrouver l’assise électorale qui était la sienne.
"Les propositions qui relèvent du réglementaire passeront en conseil de défense écologique avant fin juillet, les autres seront soumises au Parlement avant la fin de l'été"
En imprimant ce tempo en mode presto, il rappelle qu’il est le maître du calendrier, tel celui qu’il a décliné. C’est le retour des temps agités de l’hyper-prédisent, celui où Sarkozy à force d’annonces, donnait le tournis par ses coups de semonce. Voici les temps écologico-politiques à venir : "Les propositions qui relèvent du réglementaire passeront en conseil de défense écologique avant la fin du mois de juillet, les autres seront soumises au Parlement avant la fin de l’été. Un projet de loi spécifique présenté à la fin de l’été intégrera l’ensemble de vos mesures qui entrent dans le champs législatif".
Pour un contrat moral avec les citoyens
Un calendrier accéléré auquel il faut ajouter "la présentation du plan de relance, économique et social" toujours d’ici la fin août, ainsi que la réunion menée par le gouvernement "avec les associations d'élus pour discuter de l'ensemble de ces propositions, de leur mise en œuvre, et pouvoir ainsi intégrer le fruit de ces échanges dans les modifications législatives nécessaires qui seront ainsi intégrées à ce projet de loi".
Alors que les nouvelles mairies EELV, dans les semaines qui viennent, déploieront rapidement les mesures les plus symboliques de leur programme afin d’incarner le changement, l’exécutif lui multipliera les avancées législatives afin de bien marquer son engagement écologiste et démontrer que non, mille fois, non, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. Mais le déploiement élyséen ne s’arrêtera pas à la fin des beaux jours.
Chaque mois, les membres de la Convention feront un point avec le gouvernement sur l'avancée des travaux afin de garantir la bonne tenue du "contrat moral" qui lie désormais le chef de l’État au collectif citoyen. Et ce contrat sera élargi à l’ensemble des Français puisque comme on s’y attendait, Emmanuel Macron est prêt à les entendre sur une réforme de l’article premier de la Constitution, et éventuellement sur d’autres mesures, par l’entremise de l’article 11, si les assemblées rechignaient à adopter certaines décisions.
Peu importe la voie suivie pour l’application des 146 mesures voulues par les citoyens et acceptées par le chef de l’État, législatives, réglementaires ou référendaires, le Président de la République a tenu à user de trois jokers représentatifs à plus d’un titre de sa vision écologique.
Préparer 2022
Le premier est d’ordre symbolique : l’abandon de la limitation de vitesse à 110 Km/heure était l’arbre qui cachait la forêt et cristallisait d’ores et déjà les mécontentements : "j’ai présenté beaucoup de grands plans qui se sont retrouvés résumés à une seule mesure ou réduits à une petite phrase" se justifiait le Président arguant également "qu’il ne faut pas stigmatiser ne pas diviser mais embarquer les gens (…) Ne donnons jamais le sentiment de mettre les citoyens à l’écart".
On a senti depuis l’Élysée les 150 citoyens soulagés par cet abandon, puisqu’ils ont salué par de bruyants applaudissement la décision. En ne donnant plus prise aux différentes oppositions sur cette mesure d’ordre symbolique, Emmanuel Macron démontre qu’il y a des reculs qui s’avèrent, d’un point de vue politique, être de bons calculs.
Le second joker est d’ordre économique. En refusant l’éventuelle taxation à 4 % les dividendes distribuées par les entreprises afin de financer des mesures de protection de l’environnement marquerait une intention propre à "décourager l’investissement". Comme il l’avait exposé quelques minutes auparavant, la dimension de son action veut s’inscrire dans une réconciliation entre économie et écologie. Mais "moins travailler, moins produire, moins investir ? Nous ne pourrons plus financer le modèle social qui est le nôtre (…) Le modèle de décroissance est un modèle de décroissance de notre modèle social".
"Moins travailler, moins produire, moins investir ? Nous ne pourront plus financer le modèle social qui est le nôtre"
Là encore, avec ce rappel en forme d’avertissement, Emmanuel Macron pose les jalons d’une future confrontation entre plusieurs options écologistes, l’une qui ne rejette pas un productivisme climato-compatible, l’autre qui prône un modèle interventionniste, plus radical, seul à même de contraindre le changement. Une partie des enjeux de la bataille idéologique de 2022 s’est certainement incarnée, ce lundi 29 juin, sous les yeux de 150 citoyens eux aussi parfois tiraillés entre pragmatisme et radicalité. Mais en adjoignant 15 milliards d’euros supplémentaires en deux ans pour la transition écologique, le chef de l’État a signifié qu’il n’était pas l’otage des marchés et que la puissance publique accompagnerait ladite transition.
Se méfier de Beigbeder
Le troisième et ultime joker pourrait être assimilé à un refus d’ordre éthique. La modification du préambule de la constitution et la volonté d’y inscrire un alinéa stipulant que "La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité" faisait partie de ces idées généreuses pouvant mener à des dérives dangereuses. "Telle que proposée la rédaction pour le préambule menace de placer la protection de l'environnement au-dessus des libertés publiques, au-dessus même de nos règles démocratiques", a estimé Emmanuel Macron, insistant : "Il est essentiel de ne pas mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains" rappelant ainsi son rôle de garant des institutions. Anecdotique mais politique, cette modification du préambule apparaissait aussi comme un casus belli pour Édouard Philippe qui pestait en privé sur le caractère liberticide de la proposition…De là à tirer d’hâtives conclusions, il est un pas que nous ne franchirons pas…
Mais que ce soit à l’égard des 150 citoyens ou de son Premier ministre, Emmanuel Macron a tenu à multiplier les attentions. Des preuves, des gages, des déclarations : peut-être est-il simplement conscient qu’avec l’histoire entamée en 2017 avec Édouard Philippe, ou celle débutée avec la convention citoyenne en 2019 et l’amenant jusqu’en 2022, il convient de se méfier de la maxime inventée et énoncée par Frédéric Beigbeder, celle assurant d’un ton un peu désespérant que "l’amour dure trois ans"…
Sébastien Petitot