R. Haberkorn (Eurazeo) : "L’impact de la crise actuelle nous incite à la prudence mais ne change pas notre vision fondamentale"
Décideurs. Que représente Eurazeo Patrimoine aujourd’hui ?
Renaud Haberkorn. Nous constitutions la division d’Eurazeo dédiée aux actifs physiques, c’est-à-dire l’immobilier et les infrastructures. Nous avons un volume de fonds propres sous gestion qui approche 850 millions d’euros. La valeur de nos actifs s’élève quant à elle à 3 milliards d’euros. Notre portefeuille couvre la France, l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne et le Benelux, ainsi que l’Amérique centrale et du Sud à travers quelques centrales solaires. Nous déployons 200 millions d’euros d’equity en moyenne chaque année. Depuis la cession en 2017 à Icade d’ANF Immobilier, foncière dont Eurazeo était l’actionnaire majoritaire, nous nous sommes recentrés sur des acquisitions immobilières en direct dans une approche value added et sur des investissements dans des sociétés qui détiennent et exploitent des actifs réels. Nous avons pris par exemple 44 % du capital d’Emerige en juillet 2019. Cette opération illustre bien notre savoir-faire. Ce promoteur a un ADN proche du notre et a pris des positions importantes sur son marché, notamment en Île-de-France. Nous allons l’accompagner a moyen terme dans sa nouvelle phase de croissance.
Quels sont vos marchés cibles ?
Nous investissons au sein de marchés dans lesquels nous croyons sans parier sur une augmentation des loyers ou une baisse des taux de capitalisation. Nous apprécions Londres par exemple car il est en décalage par rapport aux autres marchés européens et offre des opportunités de création de valeur intéressantes. Nous avons acquis l’an passé l’immeuble de bureaux Euston House au sein du quarter Camden pour 105 millions d’euros. Cet actif est totalement loué jusqu’en 2022, procurant ainsi un rendement locatif sécurisé, et présente un fort potentiel de réversion locative. Nous prévoyons de mettre en œuvre un programme de travaux pour le capter et améliorer la valorisation du bien. Nous regardons également avec intérêt le marché espagnol, aussi bien en résidentiel qu’en tertiaire. Eurazeo Patrimoine a notamment signé un partenariat avec la société Dazia Capital pour saisir des opportunités sur le marché du logement. L’impact de la crise actuelle nous incite à la prudence mais ne change pas notre vision fondamentale sur l’attractivité relative d’un marché par rapport à un autre.
"Nous souhaitons pérenniser notre aspect différenciant sur le marché immobilier"
Quels sont vos autres critères d’investissement ?
Concernant les classes d’actifs cibles, le commerce figure également dans notre scope à partir du moment où nous pouvons procéder à une transformation créatrice de valeur. Nous avons regardé plusieurs dossiers mais aucun n’a été conclu à ce jour car les prix des actifs n’ont pas encore totalement atterri dans ce secteur. Nous ne regardons pas la logistique car peu de sujets rentrent à ce jour dans notre stratégie value-added. L’hôtellerie nous a permis quant à elle de déployer tout notre savoir-faire. Nous réalignons les intérêts entre gestionnaire et propriétaire en travaillant à la fois sur le bâti et l’opérationnel. Nous avons ainsi constitué en 2016 une plateforme d’investissement hôtelier à vocation européen. Baptisée Grape Hospitality, elle réunit plusieurs dizaines d’établissements situés en France, en Espagne, en Italie, au Portugal, en Allemagne, en Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas. Près de 100 millions d’euros ont déjà été investis en capex dans ce portefeuille et une équipe de gestion a été mise en place. Les résultats sont déjà au rendez-vous : nous avons conclu fin 2019 la cession de deux hôtels à La Haye et à Hanovre pour 83 millions d’euros, nous permettant d’avoir un multiple de 3,5 sur notre investissement initial. Le secteur souffre depuis quelques semaines mais le portefeuille est robuste, l’équipe de gestion hyper performante et les actifs rénovés. Eurazeo Patrimoine est également un acteur qui compte en matière de santé. Nous sommes l’actionnaire majoritaire de C2S, un groupe qui détient les murs et exploite une quinzaine de cliniques en Rhône-Alpes, Auvergne, Bourgogne et Franche-Comté. Toutes classes d’actifs confondues, nous sommes en mesure de déployer entre 30 et 200 millions d’euros de fonds propres par opération.
Quels effet de levier de la dette et niveau de performance ciblez-vous ?
L’effet de levier de la dette se situe pour sa part entre 50 et 60 % généralement. Certains sujets se prêtent particulièrement bien au recours au financement comme le CIFA à Aubervilliers. Ce dernier est un des plus importants centres européens de commerce de gros pour l’équipement de la personne. Nous l’avons cédé à Mata Capital au début de l’année après avoir travaillé l’actif pendant cinq ans. Ce dossier a généré des cash-flows récurrents et nous a offert un retour sur investissement attractif grâce à l’augmentation de la capacité du centre et à l’amélioration du taux d’occupation. En moyenne, nous allons chercher des performances situées entre 12 et 15 % pour nos investissements value-added en direct et entre 15 et 20 % dans le cadre de notre stratégie de private equity.
Quelles sont vos ambitions à moyen terme ?
Nous souhaitons pérenniser notre aspect différenciant sur le marché immobilier en continuant à déployer nos stratégies dans un future proche qui pourrait procurer encore plus d’opportunité. A l’image d’Eurazeo qui investissait uniquement ses fonds propres à l’origine, nous songeons à lever désormais des fonds auprès de tiers et comptons poursuivre dans cette voie pour renforcer notre base d’investisseurs. Nous devrions franchir à moyen terme le cap du milliard d’euros de fonds sous gestion.
Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)
Cette interview est extraite du guide immobilier qui sera disponible prochainement