Think tank dédié à la prospective urbaine, La Fabrique de la Cité suit avec attention l’impact de la crise sanitaire sur les villes. Cécile Maisonneuve, sa présidente, livre ses premières réflexions à Décideurs.

Décideurs. Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise sanitaire et du confinement ?

Cécile Maisonneuve. Cette crise accélère quatre grandes tendances préexistantes. La première, la plus manifeste, concerne la mobilité. Pour enrayer la propagation de la pandémie, les pouvoirs publics ont été contraints de stopper les flux de biens et de personnes en décidant le confinement. Les villes se sont littéralement retrouvées à l’arrêt. Aujourd’hui, le déconfinement a commencé mais chacun cherche à éviter les transports en commun. Ces derniers étaient déjà en crise auparavant car la demande de mobilité augmente dans l’ensemble des villes mais le financement de l’offre est de plus en plus difficile. La crise sanitaire accentue la problématique dans les aires urbaines et métropolitaines en croissance. La bataille de l’espace public prend également une nouvelle dimension. Avant la propagation du Covid-19, la question de sa répartition entre les piétons, les vélos, les voitures et les véhicules de livraison était épineuse. Elle va le devenir encore davantage. Et vient s’ajouter le sujet de l’anonymat alors que nos modes de vie sont de plus en plus digitalisés. Les projets de tracking développés lors de la crise sanitaire ont remis un coup de projecteur sur cette dimension.

La troisième grande tendance touche au développement du e-commerce. La crise du Covid-19 précipite la fin d’un certain modèle commercial comme l’illustrent les faillites des chaînes de grands magasins aux États-Unis. Le commerce en ligne va continuer à gagner des parts de marché et son hybridation avec les formats physiques va se poursuivre. Enfin, le télétravail est devenu une réalité pour une part substantielle de la population pendant le confinement. Au-delà des aspects positifs, il induit également de forts biais en matière d’égalité homme-femme et de relations informelles. De plus, plusieurs études montrent qu’il a une incidence limitée sur les modifications de comportement en matière de mobilité car la mobilité domicile-travail représente moins de 20% des déplacements et il existe un effet rebond. Tout l’enjeu dans les prochains mois sera donc de trouver le bon équilibre entre travail à domicile, au bureau ou dans un tiers-lieu.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement ?

Le gouvernement a géré les sujets régaliens comme la santé publique et son organisation territoriale. Les villes ont fonctionné en mode sans échec : elles ont remarquablement assuré les services urbains de base comme la logistique de l’approvisionnement alimentaire, la fourniture d’électricité, d’eau et de gaz, le traitement des déchets, l’accès à internet… Tout s’est tellement bien passé que le vieux débat sur les différences entre les services rendus par les entités publiques et privées est sorti du radar.

"Cette crise sanitaire ne remettra pas en cause le phénomène de métropolisation"

Quelle pourrait être la contribution de la fabrique de la ville à la relance économique ? 

En Europe et en France, nos dirigeants ont décidé d’opter pour une relance verte. Les villes seront l’épicentre de la reprise économique elles sont les lieux où elle se matérialisera et ce sont des acteurs majeurs en matière de mobilité et de rénovation énergétique des bâtiments. Elles ont une connaissance parfaite du patrimoine immobilier sur leur territoire et les filières du BTP qui participeront à la relance sont implantées localement. Concernant la mobilité, la transformation s’organisera autour des bassins de vie et d’emploi. La crise des gilets jaunes a mis en exergue les zones urbaines où les besoins de mobilité ne sont pas satisfaits par une offre autre que la voiture individuelle : entre les périphéries, d’une part, et de la grande périphérie vers le centre-ville d’autre part. Dans le premier cas, le déploiement de nouvelles infrastructures n’est pas pertinent car ces zones ne sont pas assez denses pour justifier les lourds investissements qu’elles réclament. Des solutions territoriales devront être imaginées.

Dans quelle mesure cette crise sanitaire pourrait-elle faire évoluer à moyen terme les grands principes de fonctionnement du secteur de la fabrique de la ville selon vous ? 

Cette crise sanitaire ne remettra pas en cause le phénomène de métropolisation. Ce dernier s’observe partout dans le monde pour des raisons liées à la structure de l’économie, aux échanges et à l’appétence forte des citoyens pour la grande ville. Par ailleurs, ce n’est pas la densité des métropoles qui a favorisé la propagation du virus la pandémie mais les interactions sociales et la suroccupation ou la mauvaise conception des logements. C’est sur ce point que l’industrie de la fabrique de la ville va travailler. Il faut revenir à une conception de l’habitat comme lieu de vie et de refuge dans les grandes villes, pas seulement comme produit d’investissement. Quant à la résilience des métropoles, la relance économique qui se dessine nous donne l’opportunité d’agir sur des concepts qui la définissent. La conception des logements en est un, tout comme la nécessité de créer des collectifs rassemblant toutes les parties prenantes pour résoudre les grands enjeux de la ville de demain. Dans le cas de la rénovation énergétique des bâtiments, cela passe par une approche à l’échelle de l’ilot et non plus bâtiment par bâtiment pour embarquer le citoyen dans la réflexion, aux côtés du propriétaire et du locataire. L’effet de levier d’un euro dépensé sera beaucoup plus important avec cette approche.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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