Alors que de plus en plus en plus d’entreprises se dotent d’une raison d’être, Agnès Rambaud-Paquin, experte en responsabilité sociétale, nous explique comment mener au mieux cette démarche et les écueils à éviter.

Comment avez-vous abordé le sujet de la raison d’être ?

J’ai commencé à m’intéresser à la question il y a à peu près deux ans, après avoir rencontré Martin Richer (Management & RSE) qui abordait le sujet avec une optique qui me parlait, centrée sur les projets d’entreprise. Je suis partie faire un voyage benchmark aux États-Unis où j’ai rencontré un certain nombre de benefit corporations. Nous avons ensuite lancé des travaux de R&D car les méthodologies n’existaient pas.  Aujourd’hui, nous avons accompagné une quinzaine d’entreprises de toutes tailles et tous secteurs confondus, sur la formulation de leur raison d’être.

Quelles sont les difficultés rencontrées lors de la définition d’une raison d’être ?

La principale difficulté tient au fait que beaucoup d’entreprises se lancent dans l’aventure sans avoir une idée de la teneur de l’exercice à conduire. Avant toute chose, nous tentons donc de fournir suffisamment d’informations et d’outils pour que les décideurs comprennent les tenants et aboutissants d’un tel projet. Nous sommes aussi assez surpris que les dimensions managériales soient négligées, alors qu’elles sont essentielles. Enfin, je vois en ce moment beaucoup de raisons d’être publiées qui n’en sont pas vraiment : on ne peut pas se contenter d’assembler des mots valises qui ne font que décrire le service rendu au client. La raison d’être doit exprimer la contribution que l’entreprise entend avoir aujourd’hui et surtout demain en s’adressant à l’ensemble des parties prenantes.

Quelle est votre méthodologie ?

Le retour d’expérience que nous venons de publier met en exergue plusieurs étapes. Parmi celles-ci, l’implication des collaborateurs. La raison d’être doit être perçue, comprise, et surtout co-construite avec les salariés. Les outils digitaux le permettent très bien. C’est encore plus vrai avec la crise que nous venons de traverser. La consultation externe des clients et fournisseurs est également un éclairage précieux, mais elle vient dans un second temps. 

Y a-t-il un moment optimal pour définir sa raison d’être ?

L’idéal est de le faire en amont d’un plan stratégique. Prenons l’exemple de Veolia (ndlr : Des Enjeux et des Hommes n’a pas conseillé Veolia sur ce chantier) qui nous semble être un excellent benchmark. La raison d’être est traduite en engagements et indicateurs qui couvrent un spectre bien plus large que la seule RSE. Il ne faut pas tomber dans le piège de restreindre la raison d’être à de grands engagements sociétaux. La dimension économique est tout aussi importante. La raison d’être ne peut pas être déconnectée du business, comme l’a été la RSE pendant des années. Nous la voyons justement comme un levier pour faire le lien entre le business et la RSE. Mais il faut pour cela que la gouvernance (CA et Comex) en soit convaincue.

Quid du déploiement ?

C’est une question insuffisamment anticipée. Un chantier raison d’être ne s’arrête pas à la publication de la phrase et du manifeste qui l’accompagne. Il va s’agir ensuite de les faire vivre, les décliner dans les orientations stratégiques, les métiers, de faire le lien avec les valeurs, les process RH, la marque employeur, etc. Nous sommes garants de cet enjeu d’appropriation et d’incarnation. Pendant tout le process d’élaboration de la raison d’être, il est important de se demander comment celle-ci va être déployée, en gardant bien en tête les freins rencontrés, les différentes objections qui pourront se révéler utiles au moment du cascading par les managers par exemple. Rien que sur la forme, filmer les coulisses du travail peut être une bonne idée pour partager le « making of » au moment de la phase de « révélation » de la raison d’être. 

La question du déploiement est insuffisamment anticipée

Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé ?

J’identifie trois cas de figure. Les entreprises déjà dotées d’une raison d’être, qui ont pu la voir challengée et parfois se rendre compte, grâce à ce crash test, que celle-ci était soit trop faible, soit trop ambitieuse au regard de leur capacité à gérer cette crise. Celles dont la raison d’être était en cours de formulation et qui ont souvent révisé leurs aspirations compte-tenu des questionnements sur la résilience de leur business model. Enfin les structures qui n’en avaient pas encore, et chez qui cela a accéléré la volonté de franchir le pas.

Qu’en est-il de votre propre raison d’être ?

Nous y avons travaillé avec l’ensemble des consultants en juillet dernier. Nous avons aussi profité des interviews conduits auprès de nos clients et partenaires dans le cadre de la rédaction de notre COP/Global Compact pour les consulter sur les premières pistes de formulation. En tant que BCorp nous l’avons inscrite à nos statuts. Notre raison d’être est de« favoriser la transition des organisations vers des modèles plus durables en apportant aux acteurs les clés pour les inventer avec leur écosystème » : nous ne faisons pas à la place de nos clients… nous leur apportons repères, outils, formations, accompagnement et les inspirons pour qu’ils avancent avec leur écosystème. Je suis très active au sein du Syntec Management et œuvre pour que le monde du consulting joue pleinement son rôle pour entrainer des changements de modèle. Nous venons de rejoindre le Groupe Ecocert et allons revisiter notre raison d’être à l’aune du projet ambitieux et international que nous nous donnons. Sans présager des résultats, je pense que nous allons être plus « durs en affaires » : moins dans la facilitation et plus dans l’accélération car le calendrier des transformations nécessaires a changé : c’est maintenant qu’il faut bouger les lignes, pas demain ! 

Propos recueillis par Boris Beltran

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