Depuis cinq ans Deepki analyse les patrimoines immobiliers d’entreprises et de collectivités pour optimiser leurs consommations énergétiques. Aujourd’hui, la start-up française est confrontée à un défi encore plus grand : appliquer sa solution à l’immense parc immobilier de l’État.

Décideurs. Pouvez-vous revenir rapidement sur la genèse de Deepki ?

Vincent Bryant. Emmanuel Blanchet et moi-même avons créé l’entreprise il y a 5 ans et demi face à deux frustrations communes : d'un côté une transition énergétique laborieuse et pas automatisée et de l'autre un grand volume de données inutilisées. Pourquoi recréer de la data alors qu'il y en avait déjà tant à traiter ? Voilà la raison d'être de Deepki. Pour la mettre en pratique, notre entreprise repose sur deux jambes : le logiciel et l’accompagnement humain, car il y a un vrai besoin d’interprétation des données et d’accompagnement de nos clients. Actuellement bien implantés en France, nous avons entamé notre développement européen dès 2018 avec l’ouverture d’un bureau en Espagne et en Italie. Notre dernière levée de fonds de 8 millions d'euros en 2019 va nous permettre d’accélérer notre développement international. Nous regardons actuellement du côté de la Grande Bretagne et de l’Allemagne. A ce jour, nous monitorons près de 225 millions de mètres carrés dans 27 pays.

Pourquoi recréer de la data alors qu'il y en avait déjà tant à traiter ?

Pouvez-vous nous situer le contexte de ce contrat inédit avec l’État ?

Quelques chiffres utiles pour commencer : le parc immobilier de l'État, l'un des premiers propriétaires de France, représente plus de 100 millions de mètres carrés répartis, soit plus d'un dixième des mètres carrés tertiaires français, répartis sur 220 000 bâtiments. Lorsque le projet de transition environnementale d'un tel patrimoine a commencé, il y a deux ans, la première étape a été d’en avoir une vision claire, de comprendre les différentes consommations énergétiques et de détecter les gisements d’économies d’énergie et les actions "quick win". Il a donc fallu collecter les données de consommations énergétiques l'ensemble du parc afin d'y détecter deux choses : les optimisations tarifaires, garantes de ROI rapides, pour enchaîner avec le repérage de surconsommations, permettant de détecter des gisements d’économies d’énergie. Notre approche est très pragmatique et c’est certainement ce qui a plu à l'État.

A quel horizon s'inscrit ce partenariat ?

C’est un partenariat de long terme, car l’État veut utiliser l’application OFSI pour s’inscrire dans la démarche Décret tertiaire, soit à un horizon 2030-2040-2050.

Les utilisateurs vont s’approprier le sujet à des vitesses différentes

Pouvez-vous nous livrer plus de détails sur ce fameux OSFI (Outil de suivi des fluides interministériels) ?

Cela fait plus près de deux ans que nous paramétrons notre plateforme et intégrons les données de ce patrimoine gigantesque en partenariat avec l'État. Il est actuellement en cours de déploiement massif auprès des différents ministères et organisations publiques. Ce projet est la concrétisation que l’État prend la mesure de la transition énergétique sur son patrimoine. Le gigantisme et la complexité de ce patrimoine, aux utilisateurs et propriétaires variés, rendent la connaissance terrain indispensable. Ce que nous avons apporté, c’est l'automatisation informatique et l’intelligence artificielle pour détecter des anomalies, ainsi que du benchmark statistique. Grâce à cela, nous avons traité plus efficacement ce patrimoine : ces deux ans étaient en réalité très courts par rapport à l'ampleur de la tâche ! L’enjeu à venir dans les mois à venir est maintenant de déployer auprès des milliers utilisateurs concernés dans les différentes régions, ministères et établissements publics et de les embarquer dans ce projet complexe. Ce déploiement sera itératif et continu : les utilisateurs vont s’approprier le sujet à des vitesses différentes. 

Quels sont les leviers pour réduire l’empreinte écologique de ce parc ?

Tout d’abord, la première phase qui est essentielle est la fiabilisation de l’information. Il faut être capable de donner une cartographie dynamique de l’état du patrimoine d’un point de vue environnemental et énergétique. Cette étape est souvent oubliée lorsque l'on parle transition énergétique, elle est pourtant la brique de base. Il faut ensuite évaluer à travers le temps la performance énergétique du patrimoine. Grâce à ce benchmark, on peut se concentrer sur les bâtiments ayant le plus fort potentiel d’amélioration, en faisant des comparaisons de bâtiments entre eux et en détectant des problèmes d’améliorations dans chaque bâtiment. Les actions d’économies sont nombreuses et continues. Le potentiel est énorme puisque l’on parle d'une facture énergétique de près d'1,2 milliards d'euros chaque année !

Qu'en est-il de votre action auprès des collectivités ?

Nous accompagnons actuellement une cinquantaine de collectivités locales dont 26 syndicats départementaux autour de ces questions, avec toujours la même logique. Prenons l'exemple de la région Grand Est, qui compte 255 lycées et une facture énergétique de 33 millions d'euros chaque année. Notre analyse a permis d'identifier près de 400 compteurs non répertoriés au sein de leur parc, tandis que l'analyse de toutes les factures : détection de 50 000 euros de gains potentiels uniquement sur un périmètre de 150 compteurs, liés notamment à de l’optimisation tarifaire.

Parlez-nous du comparateur énergétique lancé avec la Banque des Territoires

La Banque des Territoires nous a contactés il y a six mois avec un souhait, celui de construire un pilote dans un premier temps pour sonder l’adhésion des collectivités locales aux économies d'énergies : nous avons ainsi conçu un test en ligne gratuit pour comparer une collectivité à une autre comparable. On fait ensuite une comparaison statistique simple, pour les « non sachants » et on leur donne de quoi se comparer par rapport à leurs pairs. L’objectif est avant tout de sensibiliser les collectivités locales afin de leur donner l'envie d’aller plus loin. Une fois les retours utilisateurs collectés, la deuxième étape sera de faire une comparaison un peu plus fine et d’intégrer ce comparateur dans le parcours d’accompagnement de la Banque des Territoires en matière de transition energétique.

Propos recueillis par Boris Beltran

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