Alors que Ségolène Royal vient de quitter à grand bruit son rôle d’ambassadrice des pôles, les commentaires vont bon train. Certains parlent de complot. D’autres, de manœuvre politique délibérément orchestrée par l’intéressée en vue de crédibiliser son personnage de future candidate à la présidentielle de 2022. Décryptage

Au départ, il ne s’agissait que d’un rappel à l’ordre. Ou plus exactement, d’un rappel au devoir de réserve qui accompagne toute fonction gouvernementale. Celui-là même qui aura fait défaut à Ségolène Royal lorsque, à plusieurs reprises, l’ex-ministre nommée ambassadrice des pôles par Emmanuel Macron, il y a plus de deux ans, se sera livrée à des critiques ouvertes du chef de l’État (sur sa gestion des pesticides, sur la réforme des retraites puis sur ses liens supposés avec ce qu’elle a qualifié de « monde du business mondialisé »). L’affaire prend une autre dimension lorsque, après avoir été sommée de "faire un choix" par Élizabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire lui ayant rappelé, en substance, que c’était soit "la liberté de parole", soit l’engagement au sein du gouvernement…, Ségolène Royal se voit convoquée devant l’Assemblée nationale et appelée à s’expliquer sur son action d’ambassadrice thématique et sur l’utilisation que, depuis septembre 2017, elle aura faite des moyens qui y étaient alloués. Dès lors, le ton est donné et la bataille médiatique lancée. Visiblement désireuse de reprendre la main, l’ex-ministre en pleine tourmente prend les devants. En quelques heures, elle annonce que son "licenciement" est imminent et se dit victime d’une campagne de déstabilisation destinée à la faire taire. Classique. Si ce n’est que, du côté du Parquet national financier, une enquête préliminaire est désormais en cours, diligentée à la suite des révélations, le 15 novembre dernier, de la cellule investigation de Radio France et confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique. En cause : le fait que sa fonction d’ambassadrice des pôles ait pu être utilisée à d’autres fins. Plus politiques et plus personnelles. Tout comme, de l’avis de certains, ses critiques répétées à l’encontre du gouvernement.

Manoeuvre politique

Sur ce point, Thomas Guénolé, politologue et essayiste, est formel.  "Tout ambassadeur a un devoir de réserve à l’égard du gouvernement du pays qu’il représente, rappelle-t-il, commenter ses actions constitue une infraction par rapport à ce devoir et vous vaut, au mieux, un recadrage, au pire, une éviction." Rien d’étonnant donc, à ce que Ségolène Royal en ait fait l’objet. Plus surprenant en revanche, le fait qu’une telle habituée des usages politiques ait pu ignorer d’une part le devoir de réserve auquel sa fonction l’astreignait, d’autre part, le risque qu’elle encourait en passant outre.

"Incarner le possible champion du PS en 2022 suppose bien évidemment une rupture avec le pouvoir en place"

Pour Philippe Braud, professeur émérite à Science Po Paris et spécialiste en sociologie politique, plaider l’erreur de débutant est exclu. Seule explication possible de cette éviction : la manœuvre politique délibérément orchestrée par l’intéressée dans le but de modifier son positionnement à l’approche de la présidentielle de 2022. "Chacun sait que Ségolène Royal a longtemps attendu un poste ministériel, explique-t-il. Elle a d’abord rêvé de Matignon, puis d’un grand ministère, puis de n’importe quel ministère, et ayant vu ses espoirs déçus, elle s’est rabattue sur celui d’Ambassadrice thématique. Aujourd’hui, elle voit une nouvelle porte s’ouvrir avec, d’un côté, les prochaines élections présidentielles et, de l’autre, l’absence de candidat solide à gauche. Or incarner ce possible champion du PS en 2022 suppose bien évidemment une rupture avec le pouvoir en place." Rupture dûment orchestrée, donc, au gré d’attaques frontales et publiques contre Emmanuel Macron et désormais consommée qui lui laisse, en théorie, le champ libre pour se bâtir un positionnement d’adversaire crédible au président sortant. En théorie. Car comme le souligne Philippe Braud, on ne peut pas dire qu’elle sorte grandie de la séquence…

Rôle de composition

"Ces dernières années, Ségolène Royal a clairement montré qu’elle était prête à tout pour rallier la Macronie. Cet acharnement à « vouloir en être » l’a conduite à accepter un poste qu’elle a totalement négligé et qui ne lui a finalement pas permis d’opérer le ralliement espéré, rappelle-t-il. Résultat ; elle en sort affaiblie, ce qui, même du point de vue de l’opposition, peut difficilement être considéré comme un atout dans une stratégie de come back." D’autant que, sa métamorphose soudaine d’éconduite du gouvernement à farouche opposante au chef de l’État relève un peu trop du rôle de composition pour faire durablement illusion. "Il est bien évident que les critiques qu’elle a multipliées à l’égard du président relèvent d’une opposition de circonstance. On est là dans le calcul politique évident", assène Philippe Braud.

"Les critiques qu'elle a multipliées à l'égard du président relève d'une opposition de circonstance. On est là dans le calcul politique évident".

Calcul qui pourrait s’avérer payant à condition toutefois qu’il soit assorti d’un minimum de crédibilité… "Tous les observateurs de la vie publique le savent ; Ségolène Royal a la politique chevillée au corps et, depuis toujours, elle est animée d’une ambition dévorante, ce qui est un moteur nécessaire pour exister en politique mais à condition de s’accompagner d’un travail de fond sur les dossiers qui vous sont confiés, poursuit-il. Dossiers qu’a totalement négligés Ségolène Royal et qui, aujourd’hui, pourraient constituer un sérieux obstacle à ses ambitions présidentielles." Et ceci, malgré les efforts déployés par l’ex-ambassadrice pour se présenter d’une part en victime, d’autre part en adepte d’une parole libre qu’on ne saurait museler…

Théorie du complot

"En révélant elle-même son éviction sur les réseaux sociaux, Ségolène Royal a voulu s’épargner l’humiliation publique qu’aurait représentée une annonce officielle, estime Thomas Guénolé ; et, aussi, se donner les moyens de bâtir son propre récit." Un récit qui devra être solidement étayé pour contrer celui que, le 15 novembre, la cellule investigation de Radio France délivrait et selon lequel, rappelle le politologue, Ségolène Royal aurait consacré plus de la moitié de son temps à tout autre chose qu’à sa mission d’ambassadrice, qu’elle n’aurait jamais mis les pieds au conseil de l’Arctique et qu’il lui serait arrivé à plusieurs reprises d’employer les collaborateurs et les ressources qui lui étaient alloués à d’autres fins que celles liées à sa mission. Des accusations qui, dans le camp de l’ex-ministre de l’environnement ont, comme il se doit, suscité une levée de boucliers et ravivé les relents d’une théorie du complot qui, pour Thomas Guénolé, aura bien du mal à s’imposer. "Certains veulent croire que l’enquête vise à dégommer Ségolène Royal pour le compte d’Emmanuel Macron, c’est du complotisme de comptoir ! assène-t-il. Cette cellule d’investigation a sorti des enquêtes sur tous les partis politiques, du FN au Modem en passant par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron… cela prouve bien son impartialité et, donc, sa crédibilité."

Immunité

Quant à savoir comment une professionnelle de la politique telle que Ségolène Royal a pu prendre le risque de s’exposer à de telles accusations, beaucoup estiment que la réponse tient en un simple constat. "En France, au-delà d’un certain niveau de pouvoir, le sentiment général est : Je suis tellement important que les règles collectives ne s’appliquent pas à moi", résume Thomas Guénolé avant d’évoquer un sentiment d’immunité généralisé qui, de Jean-Paul Delevoye à Richard Ferrand, ne cesserait, aujourd’hui encore, d’apporter la preuve de sa persistance. Reste à savoir si celui-ci s’avérera rédhibitoire dans le processus de métamorphose politique amorcé par Ségolène Royal ou s’il permettra à l’ex-ambassadrice de passer de recalée du gouvernement à candidate crédible à la prochaine présidentielle.

Caroline Castets

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