J-J. Morin : "Le programme ALL constitue le troisième grand projet de transformation d’Accor"
Décideurs. Où en est la stratégie de transformation du groupe ?
Jean-Jacques Morin. Les transformations ne s’arrêtent jamais. La force d’une entreprise réside dans sa capacité à réagir par rapport aux stimulus du marché avant ses compétitrices. Au cours des cinq dernières années, Accor a accompli plusieurs transformations majeures. L’élargissement des segments de l’hôtellerie couverts par le groupe constitue la première. Historiquement positionnés sur le segment milieu de gamme - économique avec un focus core, nous avons pris position sur le segment du luxe avec en 2016 l’acquisition de FRHI et ses trois marques Fairmont, Raffles et Swissôtel pour 2,6 milliards d’euros. Résultat : la part de notre chiffre d’affaires générée par ce segment est passée de 20 % il y a cinq ans à 40 % aujourd’hui. Cette croissance s’est poursuivie avec l’acquisition de Mövenpick fin 2018. Notre deuxième transformation se matérialise par la réalisation du projet Booster. Dans le cadre de ce dernier, nous avons créé une société pour porter les murs de nos hôtels et ensuite les céder afin de nous focaliser sur l’opérationnel. Environ 85 % du projet a été réalisé fin 2018. Il nous reste à traiter les sujets en Europe centrale et de l’Est. Cette partie devrait être achevée d’ici à la fin de l’année. L’opération marquera la fin de notre évolution vers une stratégie d’asset light. Ces grandes transformations ont été soutenues par un changement de culture. Le management a réussi à entraîner les collaborateurs, notamment grâce au programme de formation « Heartist ». Résultat : nous avons généré des résultats records chaque année tout en menant cette mue.
Comment réinvestissez-vous le produit généré par le projet Booster ?
Nous avons deux profils d’actionnaires : ceux qui attendent une redistribution immédiate de la création de valeur et ceux qui nous demandent de procéder à des acquisitions dans une logique de long terme. Nous répondons aux souhaits de tous. Sur les 4,8 milliards d’euros générés par le projet Booster, nous avons d’ores et déjà réinvesti 3 milliards en acquisition. En parallèle, nous avons lancé un programme de rachat d’actions portant sur 10 % du capital du groupe. À ce jour, nous avons exécuté 75 % de ce plan.
Allez-vous poursuivre votre stratégie de croissance externe ? Pourquoi ?
Nous allons effectivement poursuivre les acquisitions. Nous n’avons pas de manque aujourd’hui dans notre portefeuille de marques qui a été multiplié par trois depuis 2013. Mais nous devons avoir une taille critique pour être en position de force, notamment dans les négociations avec les OTA (online tourism agency). De plus, le décalage entre l’offre hôtelière et la demande reste important dans de nombreux pays, sans oublier les marchés où de nombreux établissements restent indépendants alors que nous pouvons créer de la valeur grâce à nos marques. Enfin, nous disposons d’un levier intéressant quand nous investissons dans un pays où nous sommes déjà présents car nous bénéficions de synergies en matière de coûts et de développement. En moyenne, la croissance externe nous permet de faire progresser notre chiffre d’affaires annuel de 5 %.
"Nous devons avoir une taille critique pour être en position de force, notamment dans les négociations avec les OTA"
Dans quelle mesure le programme ALL devrait-il être créateur de valeur financière pour Accor ?
C’est le troisième grand projet de transformation d’Accor. Il repose sur une refonte digitale, avec le développement d’une nouvelle application, et sur une modification du rapport entre le groupe et son client final. Ce dernier bénéficiera, entre autres, de récompenses et d’avantages exclusifs. Dans cette logique, nous nouons des partenariats comme celui annoncé en février 2019 avec le club de football du Paris Saint-Germain. Ce dernier nous permettra également de faire connaître notre programme et notre marque partout dans le monde. Si nous atteignons nos objectifs, nos clients deviendront plus fidèles et donc nous permettront de créer davantage de valeur pour le groupe. Les investissements dans le programme ALL nous coûteront environ 50 millions d’euros d’Ebitda en 2019 et en 2020, seront à l’équilibre en 2021 et devraient générer un bénéfice de 60 millions d’euros en 2022. Par exemple, en matière de partenariats, nous voulons passer de 6 à 125 millions d’euros de chiffre d’affaires en l’espace de quatre ans grâce à nos activités liées à notre programme de fidélité.
Quel devrait être l’apport des nouvelles activités ?
Outre le programme ALL, nous travaillons pour avoir un dialogue plus nourri et continu avec le client. L’acquisition de la société de conciergerie de luxe John Paul ou encore celle de location de résidences de luxe Onefinestay vont dans ce sens. L’objectif final est de proposer une expérience unique au client pour qu’il ait le réflexe d’utiliser notre application quand il aura besoin d’un service touchant de près ou de loin à l’hôtellerie. En parallèle, nous sommes désormais perçus par les propriétaires des murs comme un acteur incontournable pouvant répondre à toutes leurs demandes. Nous sommes par exemple sollicités dans tous les appels d’offres sur le segment du luxe.
Quels sont les territoires sur lesquels Accor portera un effort particulier pour accélérer son développement ?
Nous sommes leader sur toutes les géographies, à l’exception de l’Amérique du Nord et de la Chine. Nous renforcerons nos positions dans les marchés où nous sommes numéro un si des opportunités créatrices de valeur pour le groupe se présentent. En Amérique du Nord, le marché est ultra-rémunérateur mais très bien couvert par de grands acteurs. Il est difficile de lutter contre eux. En revanche, nous pénétrons le marché par des segments de niche. Nous avons ainsi pris une participation dans SBE Entertainment Group, chaîne spécialisée dans le lifestyle qui a déjà de nombreux établissements aux États-Unis. En Chine, nous avons mis en place une master franchise avec Huazhu pour nous développer. Résultat : nous avons ouvert plus d’hôtels ces trois dernières années qu’en quarante ans. Nous allons poursuivre dans cette voie.
Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)
Cette interview est extraite du guide dédié aux sociétés cotées qui paraîtra début 2020