L’urbanisme transitoire à la croisée des chemins
« Au fil des années et grâce à la conduite de projets marquants comme celui des Grands Voisins (Paris 14e), l’occupation temporaire s’est peu à peu imposée comme un mode légitime et avantageux d’usage de l’espace urbain et comme un outil de préfiguration urbaine et d’innovation sociale. » La charte pour le développement de l’occupation temporaire à Paris, document qui a été signé fin août 2019 par une quinzaine de partenaires publics et privés, matérialise une évolution importante dans le développement des villes : l’urbanisme transitoire est entré dans les mœurs. « Le cycle de confiance est incontestablement engagé, autant avec les partenaires publics que privés, abonde Simon Laisney, président de la société coopérative d’urbanisme temporaire Plateau Urbain. Nous nous appuyons désormais sur des expériences réussies, et nous avons tous les outils (juridiques, techniques, numériques) pour rassurer les parties prenantes. » Le constat est similaire chez SNCF Immobilier, un des premiers signataires de la charte.
Le retour d’expérience des précurseurs
« Il y a environ cinq ans, nous avons décidé de lancer des appels à manifestation d’intérêt pour des sites artistiques temporaires, se remémore Benoît Quignon, le directeur général de l’entité chargé de la gestion et de la valorisation des biens fonciers et immobiliers du groupe SNCF. Au fur et à mesure du montage des projets, nous avons appris et fait évoluer notre approche. Nous avons découvert qu’une combinaison d’activités diverses, pas seulement culturelles, permet de rendre un site attractif dans la durée et de rentabiliser le modèle économique de son opérateur. D’autre part, les propositions qui nous ont été adressées réinventent la sobriété. Enfin, les expériences menées ont permis de reconnecter ces sites abandonnés à la vie de leurs quartiers. Résultat : nous développons des projets de plus en plus longs dans le temps et nous avons déjà attiré 2,5 millions de visiteurs sur nos sites qui ont fait l’objet d’une occupation temporaire en France. »
Autre acteur précurseur en la matière avec, entre autres, la mise à disposition des Petites Serres à l’association Aurore et Plateau Urbain dans le 5e arrondissement de Paris et l’opération Bagnolet Wonder, Novaxia a également ratifié la charte de la Ville de Paris. Mieux, le groupe spécialisé dans la transformation urbaine a lancé en avril 2019 un fonds de dotation pour l’urbanisme temporaire. « Nous avons prévu de verser au cours des cinq premières années du fonds une somme d’1 million d’euros, révèle Mathieu Descout, directeur général de Novaxia Développement. Nos investisseurs peuvent également faire des donations au véhicule pour subventionner les projets sélectionnés depuis un portail dédié. » Et d’ajouter : « Nous avons également rejoint le sociétariat de Plateau Urbain pour soutenir le rôle structurant des occupations temporaires. Et ces dernières sont désormais bien ancrées dans nos projets de développement. Si nous avons de la vacance sur un de nos sites et qu’il n’y a pas de contraintes techniques insurmontables, nous mettons en place un urbanisme transitoire qui aura notamment pour vertu de préfigurer le futur programme. » Reste tout de même quelques écueils à éviter pour l’occupation temporaire avant d’atteindre le stade de la maturité.
Un esprit à préserver
« Le temps est un facteur précieux dans ces sujets, souligne Mathieu Descout. Mais pour avoir le droit d’accueillir du public, les démarches sont longues. Il faudra assouplir les process sans pour autant renier la nécessaire sécurité des installations afin de permettre aux opérateurs comme Plateau Urbain de s’installer le plus rapidement possible. » L’esprit de la démarche devra également être conservé dans le temps. « L’urbanisme transitoire est le dernier poumon de la ville qui fonctionne en dehors de la logique marchande et capitalistique, prévient Simon Laisney. Il faut prêter une attention particulière pour le préserver. J’espère que les grands groupes en ont conscience. » Et Benoît Quignon de compléter : « Si les codes élémentaires de l’occupation temporaire n’étaient pas conservés, notamment avec des projets qui seraient uniquement à vocation commerciale, cela générerait des nuisances et, au final, provoquerait un rejet des projets. La charte pour le développement de l’occupation temporaire à Paris doit justement prévenir de telles situations. »
Les signataires de ce document se sont ainsi engagés à respecter huit grands principes : engager une démarche d’identification des sites disponibles ; adapter la redevance d’occupation à la capacité de financement des acteurs et à leurs activités ; mobiliser l’ensemble des autorités publiques afin d’assurer un examen rapide des demandes d’autorisation ; diversifier au maximum les activités au sein d’un site et assurer la mixité d’usages et d’acteurs au sein des projets ; inspirer et s’inspirer de l’ensemble des bonnes pratiques en matière de respect de l’environnement et de gouvernance inclusive et partagée ; assurer la mise en place des critères de sélection transparents et des jurys où seront représentés les acteurs locaux ; évaluer les impacts de ces occupations et diffuser les enseignements de ces occupations auprès des acteurs de la programmation urbaine ou immobilière pérenne ; accompagner et coordonner les actions respectives des signataires grâce à la tenue d’une instance collégiale de suivi. « Cette charte édicte à la fois les bénéfices de l’urbanisme transitoire et les garde-fous nécessaires pour poursuivre son développement, analyse Mathieu Descout. Je suis persuadé que cette démarche va se généraliser chez les acteurs immobiliers engagés. » Rendez-vous est pris dans quelques années pour voir si cette prévision se sera réalisée.
Par François Perrigault (@fperrigault)
Cet article est extrait du guide Acteurs Publics et Entreprises qui sera disponible en décembre.