En imposant un embargo de plus en plus strict sur les exportations du brut iraniennes, le président américain prend le risque de déstabiliser le fragile équilibre de l’offre et de la demande mondiale. Et d’en payer les conséquences économiques.

Le 22 avril, les États-Unis réaffirment leur position : les exportations iraniennes de pétrole doivent être réduites à zéro. Washington a ainsi annoncé la suppression des dérogations, accordées en novembre 2018, permettant à une courte liste de pays – dont la Chine, l’Inde, la Turquie et le Japon – de continuer à acheter du brut à Téhéran.

Depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien – promesse phare du candidat Donald Trump –, Washington est revenu à sa ligne dure, celle de l’embargo. Une première phase de sanctions est décidée en août 2018 – visant les transactions financières ainsi que l’industrie automobile et aéronautique – et est suivie, en novembre de la même année, d’un nouveau volet ciblant cette fois l’industrie pétrolière iranienne. Exception faite des huit pays ayant obtenu une dérogation, tout État achetant de l’or noir à Téhéran se voit menacé de sanctions américaines.

L’annonce de Washington a immédiatement fait bondir le cours du baril. Le Brent de la mer du Nord est brièvement passé au-delà des 75 $, un plus haut depuis octobre 2018, gagnant plus de 11 % sur un mois et 38 % depuis le 1er janvier. Le WTI, le pétrole américain, connaît une évolution similaire et retrouve les 65 $.

Déséquilibres

Déjà accusé d’avoir fait flamber le cours du pétrole à l’automne dernier en imposant des sanctions à l’Iran, Donald Trump récidive alors que la demande mondiale ne cesse de progresser et que la production de la Libye et du Venezuela est menacée par l’instabilité politique.

Cinquième producteur de pétrole au monde, l’Iran exporte environ 1,9 million de barils par jour (Mb/j) malgré les restrictions imposées par les États-Unis. Un chiffre qui pourrait tomber sous les 1 Mb/j après le retrait des dérogations.

Outre ce quasi-embargo, les sanctions américaines fragilisent profondément le secteur pétrolier iranien : les grandes majors occidentales se sont retirées du pays depuis fin 2018 – c’est le cas de Total – entraînant une chute des investissements dans un outil de production vieilli. Et laissant la place libre aux grandes entreprises pétrolières chinoises.

Produire plus

Pour tenter de rassurer les marchés, Washington a assuré que les États-Unis et l’Arabie saoudite étaient en mesure de compenser la perte d’approvisionnement. Riyad, qui a ralenti sa production en décembre 2018 pour faire remonter les cours du baril, dispose encore d’une importante marge de manœuvre mais a déjà prévenu, le 24 avril, qu’il n’y a aucune urgence à relever ses quotas. Engagée dans une coûteuse guerre au Yémen et un tout aussi coûteux plan d’investissement dans son économie, l’Arabie saoudite s’est affirmée, ces derniers mois, comme le principal défenseur de la hausse des prix du baril.

Premier producteur de pétrole de la planète, les États-Unis ont quant à eux vu leur production repartir à la hausse depuis le précédent sommet atteint dans les années 1970, et ce grâce à l’exploitation du pétrole de schiste. En 2018, la production américaine a augmenté de 17 % par rapport à 2017, à 10,96 Mb/j et devrait, selon les chiffres de l’Energy Information Administration (EIA), atteindre 12,4 Mb/j en 2019 et 13,1 Mb/j en 2020.

Le juste prix

Depuis décembre dernier et la décision des membres de l’Opep de réduire leur production pour faire remonter le cours du baril, le président américain ne cesse d’appeler –en vain pour l’instant – à un mouvement inverse. Le prix des carburants, qui découle directement de celui du brut, est en effet une de ces mesures clés sur lesquelles se fondent les Américains pour juger de l’état de leur économie. Pour un pays dans lequel la voiture est plus qu’un simple moyen de transport, le prix du carburant à la pompe joue directement sur le moral des électeurs.

Or depuis le début de l’année, celui de l’essence est en hausse de près de 30 %, passant de 2,237 $ à 2,841 $ selon les chiffres de l’EIA. Un indicateur que n’oublie pas Donald Trump, qui se veut le président de la middle class. La crainte d’une envolée des prix du brut explique d’ailleurs certainement sa décision, en novembre 2018, d’accorder des dérogations à l’embargo sur les exportations iraniennes.

Le président républicain n’est pas seulement celui du pouvoir d’achat. Il est aussi celui qui soutient l’industrie pétrolière. Or celle-ci a besoin d’un cours suffisamment élevé du baril pour être rentable. L’exploitation du shale oil, fondée sur la fracturation hydraulique, est bien plus coûteuse que celle de gisements plus facilement accessibles. Le coût moyen d’extraction des forages américains est ainsi estimé autour de 40 $ le baril, contre quelques dollars pour les gisements saoudiens. Le secteur est aussi fragilisé par un endettement massif et nombre de compagnies pétrolières américaines avait frôlé la faillite lors des décrochages du prix du brut entre 2015 et 2016.

L’exercice est donc ardu pour le gouvernement devant à la fois soutenir un secteur économique qui a offert aux États-Unis une quasi-indépendance énergétique et empêcher les prix à la pompe de flamber. Il pourrait en cela recevoir un coup de pouce inattendu venu de Pékin. La Chine, gros consommateur de brut, a déjà annoncé qu’elle ne respecterait pas l’embargo imposé sur les exportations iraniennes de pétrole. De quoi empêcher que le cours du baril ne s’emballe trop ?

Cécile Chevré

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