Evelyne Tourte, ancienne DSI de la branche Exploration-production du groupe Total, a élargi son périmètre d’activité au niveau monde depuis le 1er octobre 2018 et participe activement à la gigantesque mue digitale du géant pétrolier, en lien étroit avec le CDO groupe.

Décideurs. Après plusieurs années chez Total en tant que DSI de la branche Exploration-production, vous avez succédé à Frédéric Gimenez comme DSI groupe le 1er octobre 2018. Quel est désormais votre périmètre d’activité ?

Evelyne Tourte. Mon périmètre est aujourd’hui beaucoup plus large puisqu’il couvre l’ensemble des métiers du groupe : la branche Exploration-production, la branche Raffinage-chimie, la branche Trading-shipping, la branche GRP (gaz, énergies renouvelables et électricité) et la branche TGS (Total Global Services) qui centralise tous les services partagés d’un ensemble de métiers.

Quel est votre rôle ?

Ma mission principale, qui fait écho à l’une des valeurs fondamentales du groupe Total, à savoir la sécurité, c’est d’être la responsable de la gestion du risque cyber. Ces actes malveillants ont profondément évolué depuis quelques années, c’est la raison pour laquelle nous sommes extrêmement vigilants. Même si nous n’avons pas été victime des cyberattaques d’envergure [Wannacry et PotPetya, Ndlr], il faut rester particulièrement humble car aucune entreprise, quelle que soit sa taille, n’est à l’abri.

Je dois également avoir une vision stratégique, innovante et prospectrice pour faire évoluer l’IT et apporter de la valeur aux différents métiers du groupe. Je suis, par ailleurs, l’ambassadrice des SI auprès de la direction générale pour les sensibiliser au fait que les systèmes d’information peuvent apporter de la valeur aux métiers.

Je m'assure aussi que l’IT du groupe est à un bon niveau de performance avec un cadre de référence et des lignes directrices pour l’ensemble des systèmes d’information métiers. J’ai pour mission d’animer et de fédérer l’ensemble de la filière IT et de veiller à ce que nous ayons les bonnes compétences pour répondre aux besoins actuels et à venir des prescripteurs internes. Mon rôle en tant que DSI groupe est de plus en plus transverse et donc passionnant !

Comment l’arrivée du digital a-t-elle transformé l’activité de Total ?

Le digital est arrivé dans le groupe il y a trois ans avec la création de la fonction de Chief Digital Officer (CDO) groupe, rattaché à la direction de la stratégie. L’objectif était de casser les silos pour que le digital inonde le groupe. Cette fonction a été organisée par domaines fonctionnels avec, en parallèle, la création d’une autre fonction, celle de Chief Data Officer. L’explosion du digital a en effet fait prendre conscience à Total de l’importance majeure de la donnée et de sa valorisation. Citons notamment notre projet de raffinerie 4.0. Beaucoup de données sortent de nos capteurs et notre objectif aujourd’hui est de parvenir à mieux les valoriser pour anticiper des pannes avec la maintenance prédictive. L’autre sujet majeur pour le groupe est celui de l’automatisation de certains process pour gagner en agilité et en efficacité.

Pouvez-vous nous citer quelques exemples de projets associés à la transformation digitale ?

Pour la branche Exploration-production, nous avons un partenariat avec Google Cloud sur l’intelligence artificielle qui comprend deux volets. Le premier porte sur le développement de programmes d’IA qui permettent l’interprétation d’images du sous-sol en mode Computer Vision, notamment issues d’études sismiques, et d’automatiser l’analyse de documents techniques avec des outils de traitement automatique du langage (natural language processing). Ces programmes permettront à nos ingénieurs en géosciences (géologues, géophysiciens, ingénieurs réservoir et géo-information) d’accélérer et d’améliorer la qualité de leurs travaux d’exploration et d’évaluation des gisements de pétrole et de gaz. 

"Nous avons noué un partenariat avec Google Cloud sur l’intelligence artificielle "

Le second volet concerne la reconnaissance de texte pour trouver plus rapidement les mots clés parmi toutes les données non structurées dont nous disposons. L’IA est clairement un gisement de valeur colossal pour le groupe qui va compléter, enrichir les connaissances de nos ingénieurs et valoriser nos datas. Au niveau de notre projet Raffinerie 4.0, nous avons également un partenariat avec le cabinet Data Consulting pour rendre le process de raffinage encore plus efficace et optimiser nos coûts.

Comment envisagez-vous la collaboration avec le CDO du groupe ?

Nous sommes partenaires sur de très nombreux sujets. La principale mission du CDO groupe est de piloter la transformation digitale et de rechercher les cas d’usages qui peuvent apporter de la valeur aux métiers. Pour ma part et en tant que DSI groupe, je suis le bras armé du digital. Pour moi, l’arrivée du digital est une formidable opportunité pour que l’IT prouve et démontre la valeur ajoutée qu’elle peut apporter aux différents métiers. Nous avons travaillé par exemple à favoriser et fluidifier la collaboration et la mobilité entre les collaborateurs notamment avec le déploiement d’Office 365 de Microsoft ou de la carte essence professionnelle « Total GR ».

Quels sont, d’après-vous, les prochains défis majeurs à relever par votre DSI ?

Accompagner le CDO dans la transformation digitale du groupe en restant notamment en veille permanente sur le développement des technologies. La cybersécurité constitue un autre défi quotidien pour anticiper les menaces, bien gérer ce risque et déployer les bons dispositifs de protection. Et dans le domaine, l’un des principaux risques est l’excès de confiance.

Quels sont vos objectifs pour la gouvernance de la DSI ?

Il y a cinq ans, lorsque le prix du baril était bas, l’objectif de la DSI groupe consistait à mutualiser, industrialiser et standardiser ce qui pouvait l’être au niveau de l’ensemble des branches. Nous avons ainsi créé l’entité TGITS (Total Global IT Services), qui nous a permis de réduire nos coûts de façon drastique. Si nous poursuivons nos efforts dans cette voie en continuant à automatiser, la priorité désormais est d’accélérer notre transformation digitale. Une (r)évolution qui nécessite une proximité forte avec les métiers afin d’accroître notre agilité et d’accélérer la naissance des projets. Cette accélération passe notamment par la concrétisation de partenariats autour de grands sujets tels que l’internet des objets (IoT), la 5G ou encore le HPC (High Performance Computer). Des engagements avec des start-up et des grands groupes que nous suivons de près avec la direction R&D.

Avez-vous des difficultés à trouver des talents dans les métiers du digital ?

Pour réussir le pari de la transformation digitale nous avons besoin des bons profils, généralement rares car très prisés. Toutefois et en raison de nos projets très diversifiés, Total continue d’attirer les talents et nous nous en réjouissons !

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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