Julien Denormandie : "A chacun de se saisir pleinement des nouvelles mesures de la loi Elan"
Leaders League. Le mouvement des gilets jaunes a mis en exergue l’aggravation de la fracture territoriale en France. Comment comptez-vous la réduire à travers l’immobilier ?
Julien Denormandie. Nous devons davantage territorialiser notre approche : construire au bon endroit, et surtout à prix abordables. Il faut construire là où il y en a besoin, c’est-à-dire en prenant en compte les besoins d’activité, d’emplois et de services qui vont de pair avec le besoin de se loger. Il s’agit aussi de redonner du dynamisme, une vie, à des villes qui en ont besoin. Nous nous mobilisons pour mettre en œuvre la revitalisation des centres-villes : c’est l’objet du programme Action Cœur de Ville, grâce auquel 222 villes sont aidées par l’État, à hauteur de 5 milliards d’euros, pour faire revenir les commerces et donner une seconde vie à leurs centres. Ou encore les opérations de revitalisation des territoires (ORT), instaurées par la loi Elan. Ce dispositif donne les outils nécessaires aux élus locaux pour réhabiliter, rénover leurs espaces publics, leurs commerces, leurs logements. Nous avons également créé un nouveau dispositif d’investissement locatif pour inciter ceux qui sont propriétaires à rénover leur bien. Cette aide fiscale a été pensée pour lutter contre les passoires thermiques et pour améliorer la qualité du parc de logements existants. Enfin, nous aidons à construire mais aussi à rénover le parc de logements par l’intermédiaire d’aides financières concrètes.
2018 a marqué le grand retour des investisseurs professionnels et institutionnels dans le secteur résidentiel. Qu’attendez-vous d’eux ?
J’attends d’eux qu’ils lancent des projets de construction là où c’est nécessaire. Il y a un manque de logement dans notre pays et nous devons tous porter cet effort de construction. Les nouvelles mesures de la loi Elan vont dans le bon sens. Å chacun de s’en saisir pleinement et d’agir avec détermination. Je suis à leurs côtés pour les aider. J’attends d’eux également qu’ils rénovent dans les territoires qui en ont le plus besoin. Les acteurs de l’immobilier sont cruciaux dans cette démarche car ce sont les premiers acteurs de terrain. Ils doivent se mobiliser pour en massifier l’effet. Les promoteurs pourront aussi davantage intervenir dans des réhabilitations d’ensemble qu’ils vendront à des propriétaires bénéficiant de ces exonérations fiscales puisque les investisseurs dans les projets mobiliers portés par les promoteurs sont aussi éligibles à ces aides fiscales.
"Nous avons facilité les opérations de transformation de bureaux en logements et augmenté leur rentabilité pour inciter à leur réalisation"
Quels sont vos arguments pour convaincre de nouveaux acteurs de ratifier la charte prévoyant la transformation de 500 000 mètres carrés de bureaux en logements d’ici à 2022 ?
La charte que j’ai signée en mars 2018 a pour objectif de sensibiliser et mobiliser les professionnels de l’immobilier sur cet enjeu majeur, partant du constat que le stock de bureaux vacants ne faiblit pas, alors que le manque de logements persiste dans les grandes villes, et singulièrement en Île-de-France.
Un an après, un travail fin a été fait sur le territoire francilien, pour identifier, commune par commune, les immeubles de bureaux vacants qui pourraient être reconvertis. C’est sur cette base que je mobilise l’ensemble des acteurs, promoteurs, foncières, mais aussi les élus locaux. De nombreux bâtiments sont aujourd’hui vacants et ne répondent pas aux standards du marché du bureau. Leur transformation est une opportunité en ce qui concerne l’aménagement des villes, le logement et au niveau de la logique économique. Grâce à la loi Elan, nous avons facilité ces projets et augmenté leur rentabilité pour inciter à leur réalisation. Les opérateurs y sont prêts. Beaucoup d’entre eux, qui n’étaient pas signataires de la charte, m’ont manifesté leur volonté de s’engager concrètement dans des programmes de reconversion. Il faut maintenant passer à l’action.
Quelle est votre stratégie pour accélérer la transition écologique dans le secteur du bâtiment au cours des prochaines années ?
Sur le neuf, nous préparons en lien avec le ministère de la Transition écologique et solidaire et les professionnels de la construction, une nouvelle réglementation environnementale, destinée à remplacer en 2020 l’actuelle réglementation thermique RT 2012. Elle s’inscrit dans la transition écologique car elle portera aussi bien sur l’énergie que sur le carbone, ce qui était une attente de longue date. Pour préparer les acteurs à cette future norme, une expérimentation a été lancée et montre déjà des signaux positifs : 600 bâtiments se sont engagés. Sur l’existant, le plan de rénovation énergétique lancé par le gouvernement l’an dernier, fixe des objectifs ambitieux pour les bâtiments publics de l’État, des collectivités, des logements sociaux et privés, avec à l’appui les moyens importants du Grand plan d’investissement (9 milliards d’euros sur cinq ans) mais aussi le crédit d’impôt transition énergétique, les certificats d’économie d’énergie et les aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Nous avons simplifié les accès aux aides grâce à une plateforme utilisable par tous.
"Le permis d’innover s’inscrit dans une logique de résultat et non de moyens"
Quelles seront vos prochaines actions pour accompagner la transition numérique et l’innovation dans l’immobilier ?
Depuis 2015, à travers le Plan transition numérique du bâtiment, l’Etat a soutenu la filière du bâtiment pour rendre possible la généralisation de la maquette numérique (BIM). Le travail de fond mené avec tous les professionnels de la construction rend la généralisation du BIM atteignable pour 2022. J’ai signé, pour cette raison, le Plan BIM 2022 avec la filière lors des assises du logement en novembre dernier. Il m’apparaît primordial de s’appuyer sur les nouveaux moyens numériques que nous avons à notre disposition pour construire mieux. L’État mobilise 10 millions d’euros dans le cadre de ce plan sur trois ans. Et les actions se poursuivent dans sa continuité : les TPE-PME peuvent y avoir accès par exemple.
Autre projet de court terme que nous soutenons : celui de ADN Construction, une association qui représente les professionnels de la construction sur le sujet du numérique, avec son Observatoire du numérique qui valorisera l’appropriation du BIM par la filière et les projets exemplaires pour donner à tous l’envie de s’engager. Enfin, l’État accompagne la filière en travaillant sur la création d’un cadre de confiance pour les usagers, l’encouragement des acteurs à expérimenter et le développement de nouvelles solutions. C’est tout le soutien que j’apporte à Real Estech.
Quels sont les premiers retours d’expérience des expérimentations du permis d’innover ?
Le permis d’innover a été créé pour assouplir les règles au bénéfice de la créativité. Il s’inscrit dans une logique de résultats et non de moyens, qui ouvre aux porteurs de projets un plus large champ des possibles dans leurs réalisations et laisse ainsi plus d’espace à l’innovation. C’est aujourd’hui opérationnel. Au-delà du permis d’innover, c’est la réécriture du Code de la construction qui est en cours afin d’introduire cette même logique de résultats et d’innovation pour atteindre la même qualité. C’est un point très important pour moi et je veux le pousser. Il ne restait plus qu’à le faire tester aux principaux concernés… Trois établissements publics d'aménagement (Bordeaux Euratlantique, Grand Paris Aménagement et Marseille Euroméditerrannée) ont donc lancé fin 2017 un appel à manifestation d'intérêt. Les premiers retours d'expériences sont positifs : de multiples porteurs de projets se manifestent auprès des EPA avec des projets novateurs en matière d'urbanisme, d'aménagement et de construction. Une vingtaine de propositions nous ont déjà été remontées.
Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)