Entre le retour de la croissance économique et l'émergence de nouveaux modes de travail, le secteur de l'immobilier d'entreprise fait face à une activité décuplée. Gilles Betthaeuser, CEO de Colliers, nous éclaire sur les nouvelles attentes des utilisateurs et les orientations prises son entreprise pour y répondre.

Décideurs. Pouvez-vous nous donner le poul du marché ?

Gilles Betthaeuser. Nos marchés bénéficient d'une réelle vague porteuse : les clients font état de grandes ambitions ! Le grand nombre de nouvelles opérations lancées permettent une bonne adéquation actuelle entre offre et demande. Sur Paris, la zone la plus dynamique est encore et toujours le croissant Ouest, porté par de nombreux développements et redéveloppements.

 

En région parisienne, quelles sont les zones les plus dynamiques ?

Les environnements tertiaires traditionnellement les plus porteurs sont toujours les mêmes, à savoir le croissant Ouest et Sud-Ouest. Quelques opérations existent dans le Nord-Ouest, comme Saint-Ouen le Millénaire, Clichy… Saint-Denis est en revanche un peu plus question mark : de grosses opérations subsistent, mais la dynamique y est plus faible qu’il y a quelques années. L'Est est quant à lui porté par des développements plus ciblés, à l'image de zones comme Pantin ou encore la Porte de Bagnolet.

 

Observe-t-on un désir croissant de centralité chez les entreprises ?

Ce thème de la centralité s'exprime à travers plusieurs facteurs : d'une simple variable d'accessibilité, nous envisageons aujourd'hui un thème plus large, celui de la localisation. On ne recherche plus uniquement le côté pratique d'une bonne desserte, qui a amené les entreprises à s'installer dans nombre de grands campus en périphérie. Plusieurs raisons poussent les entreprises à désirer un retour en centre-ville : une meilleure attractivité pour les talents, l'efficacité opérationnelle, une interconnexion plus aisée avec la province et l'international... Le thème de la sécurité occupe également une part croissante dans l'esprit des dirigeants, bien que pas forcément exprimé de manière directe.

 

Que va-t-il advenir de tous ces grands campus ?

Ceux-ci ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Dans les cas de ces pôles  situés en deuxième couronne tels que Les Ulis, Cergy ou encore Marne-la-Vallée, il existe une forte économie endogène qui a été créée par des entreprises implantées depuis longtemps et il semble peu probable de les voir quitter ces implantations quasi-historiques. À ce titre, le cas Nestlé (ndlr : le groupe agroalimentaire va quitter Noisiel, siège historique, pour s'installer porte de Versailles) relève plutôt de l'exception. La tendance pour ces entreprises semble plutôt être la création de pôles alternatifs et ainsi de bipolariser ou tripolariser leurs implantations.

 

La remontée des prix dans Paris ne risque-t-elle pas d'en éloigner certains acteurs ?

C'est effectivement un risque. L'optimisation du coût de l'immobilier de l'entreprise réside dans un équilibre à trouver entre surface et localisation. Cet arbitrage se fait cependant dans certaines limites, un asymptote étant en train d'être aujourd'hui pour un certain nombre d'entreprises. En effet, l'hyper attractivité de Paris en matière d'investissement se fait au détriment de l'occupant pour deux raisons : des loyers qui continuent à augmenter et, surtout, des baux devenant de plus en plus longs. Ce faisant, les entreprises limitent leur potentiel de flexibilité. Il y a un arbitrage à opérer entre coût et flexibilité. Aujourd'hui, le coût de désengagement des entreprises dépasse le milliard d'euros chaque année en Île-de-France et devrait continuer à augmenter, ce qui est le signe assez inquiétant d'un gros manque de flexibilité. Encore non traité par le marché, ce sujet est, selon moi, majeur, alors que les temps de l'entreprises sont de moins en moins en phase avec ceux de l'immobilier. Aujourd'hui, certaines entreprises, comme SFR, sont prêtes à payer très cher pour leur liberté.

 Il y a un arbitrage à opérer entre coût et flexibilité

 

Qu'en est-il des marchés régionaux ?

De belles dynamiques se remarquent sur les grandes métropoles régionales, liées à la création, il y a plusieurs années, d'écosystèmes régionaux propices. Bordeaux, par exemple, récolte les fruits d'une stratégie initiée il y a plus de dix ans. Idem pour Lyon. Si le contexte historique est moins évident à Marseille, on ressent tout de même un certain dynamisme depuis environ cinq ans. De notre côté, on remarque que beaucoup d'acteurs parisiens, à la fois investisseurs développeurs et utilisateurs, commencent à considérer la cité phocéenne comme un débouché possible.

 

Comment s'est traduite cette vigueur transactionnelle chez Colliers ?

En matière d'investissement, nous développons deux métiers. L'agence, pour lequel nous venons de signer deux mandats importants (ndlr : pour Aigis, à Noisy-le-Grand et pour Bouygues Immobilier, à Issy-les-Moulineaux), l'objectif pour 2018 étant d'en obtenir une dizaine. Nous développons également des activités de Capital Markets, pour lesquelles un certain nombre d'opérations sont en cours. Notre positionnement concerne des actifs compris entre 50 et 150 millions d'euros, nous permettant d'être en capacité de répondre aux exigences des mandants et d'offrir des prestations de qualité. Il s'agit de se construire une légitimité et de forger une marque durant les trois prochaines années. L’objectif pour 2018 est d'atteindre le milliard milliard d'euros d'opérations, sur lequel nous sommes plutôt optimistes !

 

Quel est votre signature sur ces sujets ?

Sur le front des grandes transactions, il faut garder à l'esprit que si la plupart d'entre elles peuvent être expliquées de manière rationnelle, certaines revêtent une dimension cachée : nous sommes sur le champ du non évident, et c'est là-dessus que nous travaillons ! Tout le monde sait identifier les potentiels preneurs de 50 000 mètres cachés à Paris, mais l'immobilier va au-delà de ça : notre rôle est de décoder les besoins de l'utilisateur. Notre proximité historique avec ces derniers et notre connaissance des immeubles nous permet, en quelques sortes, de « parler le même langage que l'occupant », c'est là que nous nous différencions des acteurs classiques. Sans être iconoclastes, nous nous revendiquons comme des créatifs.

 Nous parlons le même langage que l'occupant

Quels sont vos autres développements prévus ?

Colliers, s'incarne aujourd'hui dans deux entreprises : Colliers International France et CIIAM. Dédiée à l'asset management, cette dernière possède aujourd'hui environ trois milliards d'actifs sous gestion. Nous envisageons de porter ce chiffre à cinq, à moitié par croissance organique, l'autre moitié devant s'opérer par des acquisitions. Cette volonté de croissance témoigne de notre envie de renforcer notre ancrage dans le monde des investisseurs, avec une plus forte récurrence opérationnelle. Pour ce qui concerne Colliers International France, nous avons construit un plan de croissance pour 2020 structuré autour de trois piliers : l'accompagnement de projets, les transactions et les activités de conseil qui environnent ces sujets.

 

Propos recueillis par Boris Beltran

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