Clinitex, le grand nettoyage
« Des salariés heureux font des clients satisfaits » : une guideline bien plus qu’un élément de façade chez Clinitex. Le spécialiste de la propreté était une entreprise libérée avant même que le concept ne soit identifié et marketé. À l’origine : l’idée selon laquelle les leaders doivent sortir de la « logique de pouvoir et des certitudes ». À 60 ans, Thierry Pick, son fondateur, qui se décrit comme « un cancre entre 1968 et 1975 », s’est construit grâce à l’éducation particulière de ses parents : « Apprends à faire toi-même, laisse-toi du temps, accepte tes échecs et fais-en des trésors. »
Direction du rendre heureux
Clinitex naît d’un voyage de Thierry Pick aux États-Unis où le jeune diplômé en techniques commerciales cherche l’inspiration. De retour en France en 1980, il s’installe comme artisan en nettoyage B2C. Son premier contrat avec une entreprise, Norauto, n’est signé que deux ans plus tard et son positionnement glisse vers le B2B. Avec son premier employé en 1984, le fondateur devient « chercheur en management ». Depuis, « RAS, mis à part la taille de l’entreprise qui atteint presque 3 000 salariés », raconte-t-il simplement. Le livre d’Isaac Getz Liberté & Cie, le documentaire Le bonheur au travail diffusé sur Arte en 2014 et la pédagogie de Maria Montessori lui font prendre conscience qu’il a mis en place un double système de management : « Hiérarchique, celui qui rassure, et libéré, celui qui expose. » Il abandonne alors le premier et développe le second. « La légitimité a pris le pouvoir sur l’autorité », estime-t-il à présent. Et, lorsque la direction des ressources humaines est renommée la « direction du rendre heureux », plusieurs mois sont nécessaires pour admettre que le cadre embauché pour l’occasion « ne rendait heureux que lui-même »… Depuis, plus de DRH, la fonction est diffusée dans chacune des équipes. « Nous avons tous un pouvoir sur la joie et le bonheur des autres. C’est un sujet qui ne se centralise pas », explique-t-il. Innover sans contrainte, décider collectivement ou encore s’autodiscipliner, tels sont les ingrédients qui font de l’entreprise de nettoyage un modèle d’entreprise libérée en croissance.
« Dirigeant, laveur de vitres »
Dès lors, le management devient un outil au service de la performance économique. « Nous pensons depuis trente-cinq ans que le bien-être (ou le bonheur) des collaborateurs fait des clients satisfaits, qui font notre croissance et notre rentabilité », poursuit celui qui signe ses mails par « dirigeant, laveur de vitres ». La recette ? Les salaires sont en accès libre sur l’intranet, les commerciaux vendent au prix qu’ils veulent, aucun horaire n’est imposé chez les cent collaborateurs non productifs, les réunions sont dépourvues d’ordre du jour et de compte rendu, les retardataires n’existent pas, des séances de sophrologie et de gym sont organisées depuis cinq ans, etc. Clinitex a également institué la remise d’une boîte de chocolats en cas d’erreur supérieure à trente euros sur la fiche de paie, et des « bravos » sont attribués par les collaborateurs entre eux pour saluer les comportements exceptionnels (assortis d’un chèque de cinquante euros). Thierry Pick a même conseillé récemment à une collaboratrice de lancer une grève dans son agence en y apportant du vin et du saucisson. Autre exemple révélateur : une déléguée syndicale a été menacée de séquestration pour avoir abusé de ses heures de délégation en 2016. Et ça fonctionne. Deux éléments le prouvent. Le premier, ce sont les indices de croissance de l’entreprise. Entre 2015 et 2016, le chiffre d’affaires est passé de 30 à 35 millions d’euros et l’effectif de 1 740 à près de 3 000 salariés en fin d’année. Le second : les résultats d’une enquête de bien-être réalisée en janvier 2015. Seulement 2 % des agents de Clinitex se déclarent malheureux. Côté clients, la satisfaction atteint 96 % des sondés. L’objectif 2017 ? « Continuer à s’amuser. » Tout en devenant une marque nationale grâce à l’ouverture de nouvelles agences dans toute la France. Une mission que Thierry Pick confie à Édouard et Charles, ses deux fils amenés à prendre sa succession dans un avenir proche.
Pascale D’Amore