La réforme du droit des obligations entrée en vigueur depuis le 1 er octobre 2016 peut impacter fortement le droit de la construction sur certains points et notamment quant à l’obligation d’exécution en nature et l’admission de l’imprévision

L’exclusion de l’exécution en nature

 

L’article 1221 du Code civil dispose que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

Si la dispense d’exécution en cas d’impossibilité était déjà reconnue par la jurisprudence, en revanche celle liée à un coût injustifié constitue une innovation, étant cependant précisé que la Cour de cassation avait récemment anticipé cette évolution puisqu’elle avait refusé dans le cadre d’un CCMI de prononcer la démolition de l’ouvrage non conforme, aux motifs qu’une telle sanction serait disproportionnée1.

 

En application du nouvel article 1221, un constructeur pourrait désormais être amené à refuser d’exécuter le contrat si cette exécution devient trop onéreuse pour lui et ne dédommager que financièrement le maître d’ouvrage par le biais d’une réfaction du prix ou de versement de dommages-intérêts, ce qui très souvent ne sera pas satisfaisant pour le maître d’ouvrage.

La question va notamment se poser quant à la levée des réserves pendant l’année de parfait achèvement qui constitue une obligation devant être exécutée en nature par l’entrepreneur. Si celui-ci ne s’exécute pas, alors avant l’expiration de l’année de parfait achèvement le maître d’ouvrage doit agir en justice.

La question se pose de savoir si dans le cadre de cette action, l’entrepreneur pourra exciper de l’article 1221 pour se refuser à lever les réserves et impo­ser un simple dédommagement financier. La solution passe sans doute par l’article 1105 alinéa 2 du Code civil qui dispose que les règles générales s’appliquent sous réserve des règles particulières et qui permet de faire primer l’article 1792-6 sur l’article 1221. Mais, encore une fois, la disposition étant supplétive de volonté, les parties ont tout intérêt à traiter ce point en amont.

En outre, le garant d’achèvement et de livraison que l’on qualifie généralement de caution, et qui ne peut, aux termes de l’article 2290 du Code civil, être tenu au-delà de ce que doit le débiteur principal pourrait éventuellement se prévaloir également de cette disposition pour échapper à son obligation, sauf à considérer qu’il s’agit d’une exception purement personnelle au constructeur dont le garant ne peut exciper. La position de la Cour de Cassation sur ce point sera déterminante.

Le remède pour le maître d’ouvrage est donc d’exclure conventionnellement l’application de cette disposition dans le marché de travaux puisque l’article 1102 du Code civil consacre la liberté contractuelle sous réserve des dispositions d’ordre public.

Néanmoins, le praticien devra être vigilant quant à la licéité de la clause d’exclusion au regard de l’article 1171 qui répute non écrite dans un contrat d’adhésion toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Il conviendra donc de se réserver la preuve d’une véritable négociation du contrat et plus particulièrement de ladite clause.

La création d’une action en imprévision

 

L’article 1195 prévoit que si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant et à défaut d’accord dans un délai raisonnable demander au juge de réviser le contrat ou d’y mettre fin.

Par cette disposition, il est mis fin à la célèbre jurisprudence Canal de Craponne par laquelle la Cour de cassation refuse de prendre en compte la survenance d’éléments imprévus pour adapter le contrat, au contraire du Conseil d’État qui depuis fort longtemps admet l’imprévision.

Il s’agit bien d’une véritable innovation qui est à l’inverse des schémas précé­dents. Puisque confrontée au refus des juridictions judiciaires de prendre en compte les conséquences de l’imprévision, les parties avaient pris pour habitude d’inclure dans les conventions qui s’exécutent sur plusieurs années des clauses dites de « hardship » permettant d’adapter le contrat aux fluctuations économiques ou technologiques ayant un impact important sur les obligations des parties.

Désormais, pour les contrats conclus depuis le 1er octobre 2016, le principe est inversé puisque même en l’absence de clause de hardship l’un des cocontractants pourra demander la renégociation du contrat.

En droit de la construction, il convien­dra d’être attentif à l’application de cette disposition par les juridictions, notamment au regard de l’article 1793 du Code civil qui prévoit que dans le cadre d’un marché à forfait, l’entrepreneur doit fournir sans supplément de prix les travaux non prévus au contrat mais nécessaires pour parvenir au résultat contractuellement prévu.

La Cour de cassation sera donc très certainement amenée à dire quelle disposition prévaut et notamment si la conclusion d’un marché à forfait exclut nécessaire­ment l’application de l’article 1195.

En attendant, il est fortement conseillé aux praticiens d’attirer l’attention de leurs clients sur cette disposition qui est supplétive de volonté et qui pourra faire l’objet d’aménagements contractuels en précisant par exemple que l’une ou les deux parties acceptent de prendre à leur charge les changements s de circonstances imprévisibles.

 

LES POINTS CLÉS

  • La réforme a notamment prévu que le débiteur d’une obligation de faire, tel que le constructeur, peut être dispensé de son exécution en nature si celle-ci présente un coût disproportionné et imposer au créancier (en l’occurrence le maître d’ouvrage) une exécution par équivalent en l’indemnisant financièrement.
  • Elle instaure également une action en imprévision permettant à l’une des parties au contrat de solliciter la révision de celui-ci en cas de survenance de circonstances imprévisibles rendant l’exécution excessivement onéreuse.
  • Ces dispositions, qui peuvent avoir un impact fort, étant de nature supplétive, les praticiens doivent attirer l’attention de leurs clients sur les conséquences de leur application et prévoir des aménagements contractuels.

 

 

SUR L’AUTEUR

Valérie Desforges, spécialiste en droit immobilier et droit de la construction, intervient tant en conseil qu’en contentieux pour représenter des maîtres d’ouvrage et entreprises à tous les stades de l’opération immobilière, de son montage à sa livraison et à la gestion des garanties post réception. Elle a rejoint comme associé en 2015 le Cabinet Genesis Avocats qui compte aujourd’hui à Paris six associés et treize collaborateurs et qui est également présent à Milan et Bruxelles.

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