Anne Démians : « Opter pour la réversibilité des bâtiments»
Décideurs. La réversibilité des usages est une approche qui caractérise votre geste architectural. Comment y avez-vous abouti ?
Anne Démians. Il y a huit ans, j’ai travaillé sur les questions énergétiques sur un premier projet, « Basic Carbon » à Montpellier, des bâtiments bas carbone. Je me suis attelée à la question environnementale en interrogeant quels en étaient les facteurs et éléments réellement durables et déterminants. Ensuite, chacun de mes projets a intégré la dimension énergétique du bâtiment comme point de départ de nouvelles avancées dans l’acte de construire. Mon approche de la réversibilité s’est ensuite appuyée sur un autre constat : le bureau et le logement se dégradent en termes de qualité constructive. Les bureaux deviennent obsolescents dans un laps de temps de dix à quinze ans maximum. Quant au logement, il est souvent traité avec une précarisation des budgets. L’évolutivité des usages apparaît comme une possibilité de redonner plus de moyens dans la qualité constructive des bâtiments puisqu’elle augmente la durée de vie d’un bâtiment. Pour l’opération dite des Black Swan à Strasbourg, un immeuble réalisé avec Icade, l’idée a été d’aller plus loin que la mixité et d’opter pour la réversibilité. Le programme sera à terme mixte et évolutif. Il aura la capacité de muter au gré de la rapidité des cycles économiques, qui on le sait, se transforment avec de plus en plus de vélocité.
Ressentez-vous le besoin de faire évoluer les relations architectes/promoteurs ?
A. D. Pour éviter toute relation conflictuelle et stérile entre architectes et promoteurs, je propose une méthode consistant à établir une grille de conversation la plus universelle possible. Ce dispositif deviendrait le fondement de projets véritablement partagés. Car aujourd’hui, l’architecture domestique est renvoyée au combat du « toujours moins cher » et du « tout rendement ». Elle rivalise d’oppositions avec le « toujours plus cher » de projets publics, mal gérés et sur-dessinés. De ce grand écart résulte l’effeuillage chronique de la construction de la ville sans que personne ne réagisse vraiment. C’est dans le transfert de la culture du public vers le secteur privé que les relations architectes/promoteurs peuvent trouver leur sens. Pour contribuer à ce rapprochement, j’enseigne auprès d’élèves destinés à devenir constructeurs ou promoteurs.
Vous allez prochainement livrer Les Dunes, le campus de la Société générale à Val de Fontenay. Immeuble de bureaux et de services associés de 90 000 mètres carrés. Quelle est votre vision des espaces de travail de demain ?
A. D. Dunes accueillera en décembre près de 5500 personnes. Le site s’adapte à toutes les configurations de travail collaboratif, que ce soit pour les salariés ou les visiteurs. Ouverts sur l’extérieur et de plain-pied sur les jardins, les espaces ne se présentent pas seulement comme de simples bureaux. Ils sont optimisés avec deux fois plus de surfaces de réunion que les standards habituels. L’idée du bureau affecté à un individu se perd et cette disposition est relayée par l’architecture. Il s’agit de remettre du confort, de la lumière et de la convivialité dans le travail, de reformater des lieux traditionnellement occupés par des activités individuelles, ce qui est encore loin d’être évident. Ma vision des espaces de travail de demain est liée à cette économie d’espace que peut produire l’alternance et la succession des usages dans un même lieu, à condition que ce lieu soit construit de telle façon qu’il puisse tout « encaisser ». C’est ce que j’ai proposé sur Dunes, une succession de séquences vivantes avec des temps de travail, des jardins apaisants et des transparences en contre-plongées dans les moments de liaison entre l’ensemble des espaces.
Propos recueillis par Laetitia Sellam
@Klaetitias