L’hôtellerie n’a jamais été si prisée par les investisseurs immobiliers, en dépit des bouleversements que le secteur connaît. Gabriel Matar, président-directeur général de Sentinel Hospitality, nous explique pourquoi.

Décideurs. Qu’est-ce qui explique l’engouement des investisseurs pour l’hôtellerie ?

Gabriel Matar. Dans un contexte de compression des taux de rendement de l’immobilier de bureaux, les investisseurs immobiliers cherchent à maintenir des rendements moyens supérieurs à 6 %. S’ils ne se positionnent que sur des portefeuilles hôteliers en murs, ils peuvent en attendre entre 6 et 6,5 %. En investissant dans des hôtels en murs et fonds de commerce, l’investisseur peut espérer un rendement entre 7 et 8 %, voire plus. Les actifs hôteliers deviennent ainsi des boosters de rendement au sein d’une stratégie immobilière globale. Il y a encore dix ans, l’hôtellerie était une classe d’actifs peu connue des investisseurs institutionnels mais aujourd’hui, ce secteur est de mieux en mieux appréhendé. Un acteur a été précurseur et, parce qu’il est coté, a contribué à améliorer la transparence de l’investissement hôtelier et éduquer le marché : Foncière des Murs (FDM). Cet investisseur a rendu plus transparent le comportement des flux locatifs en hôtellerie, y compris en loyers variables, et ce risque de fluctuation des loyers est aujourd’hui de mieux en mieux appréhendé par les institutionnels. Depuis le business model de FDM a évolué et est devenu plus sophistiqué, lui permettant aujourd’hui de prendre le risque de développement et d’acquisition d’hôtels en murs et fonds de commerce.

 

Décideurs. Va-t-on assister, comme pour les bureaux, à une compression des taux ?

G. M. Les taux de rendement se compressent comme pour d’autres typologies d’actifs grâce à l’engouement des investisseurs pour le secteur de l’immobilier, mais fluctuent aujourd’hui autour de 6 % ce qui me semble être un plancher. Ce plancher valable pour les murs d’hôtels n’est cependant pas applicable pour les deals portant sur des murs et des fonds comme celui que vient de conclure Eurazeo Patrimoine ou pour des transactions de portefeuilles incluant des actifs paneuropéens.

 

Décideurs. Que reflète l’acquisition réalisée entre Eurazeo Patrimoine et Accor ?

G. M. Elle s’inscrit dans la volonté d’accélération de la transformation du groupe Accor, impulsée par Sébastien Bazin. Accor veut devenir un pure player de la gestion et de la franchise hôtelière. Rappelons que l’activité Hotel Services du groupe Accor génère, au sein du groupe, plus de 15 % de retour sur capitaux employés, contre moins de 10% pour l’activité Hotel Invest qui regroupe les hôtels en propriété. S’agissant de l’aspect stratégique, la transaction entre Accor et Eurazeo Patrimoine est une excellente opération pour les deux. Avec l’acquisition de ces quatre-vingt-cinq hôtels, Eurazeo Patrimoine va devenir le plus grand franchisé du groupe Accor et, comme il bénéficiera d’une taille suffisante, il va pouvoir développer une équipe de spécialistes qui va gérer ces établissements en franchise. Il faut désormais compter avec lui sur le marché, d’autant qu’il souhaite réaliser de nouvelles acquisitions et qu’Accor va continuer à se délester.

 

Décideurs. Anticipez-vous une progression des volumes investis en hôtellerie en 2016 ?

G. M. Dans la région EMEA, environ 25 milliards de dollars ont été investis en 2015. Nous pouvons nous attendre à des volumes globalement similaires en 2016, avec une part de plus en plus importante de portefeuilles paneuropéens. Mais nous ne retrouverons pas les niveaux exceptionnels atteints en 2007, où plus de 30 milliards de dollars avaient été échangés. N’oublions pas non plus que l’hôtellerie reste un marché de niche : sur les 100 milliards investis dans le monde en immobilier, autour de 5 % le sont sur le secteur hôtelier.

 

Décideurs. Quels sont les acteurs sur lesquels il va falloir compter ?

G. M. Eurazeo Patrimoine bien sûr. Foncière des Murs également, sur des portefeuilles pour FDM Management. Les institutionnels à travers les nouveaux fonds mis en place, par exemple Aviva avec l’aide d’Algonquin. Nous pouvons aussi nous attendre, malgré le contexte, à des acquisitions par des investisseurs asiatiques. Ils sont là et souhaitent se positionner, même s’ils manquent encore un peu d’expérience. Il y a également les fonds dont les capitaux sont américains, qui bénéficient de la parité euro/dollar et qui sont en mesure de se positionner sur d’importants portefeuilles, comme Benson Elliot, Highgate ou Host.

 

Décideurs. Cet engouement ne peut-il pas être freiné par le contexte actuel : les attentats, le phénomène Airbnb ?

G. M. Le risque des attentats n’est pas limité à Paris, il est devenu mondial. Nous apprenons à vivre dans un monde de plus en plus risqué et l’incertitude fait partie de notre avenir. J’ai réalisé une étude chiffrée, basée notamment sur l’observation de l’après 7 janvier. Mon constat est qu’il faut compter autour de six mois pour que la fréquentation hôtelière revienne à ces niveaux antérieurs. Airbnb est aussi un phénomène planétaire, même s’il s’est rapidement développé à Paris c’est du fait d’un terrain particulièrement favorable. D’un côté une offre hôtelière qui ne progresse pas à la hauteur des flux d’arrivées attendus et qui se dégrade faute d’investissements, de l’autre une réglementation immobilière française qui pousse au retrait des appartements du circuit locatif. Mais les propriétaires qui mettent leurs appartements en location permanente sur Airbnb commencent aujourd’hui à en voir les limites car, pour un différentiel autour de 100 points de base entre une location meublée et une location sur Airbnb, il y a plus de risque de dégradation, de problèmes de gestion, et des amendes. Selon moi, il y a deux impératifs s’agissant du phénomène Airbnb : tout d’abord fluidifier les contraintes locatives du bail en meublé afin de le rendre plus attractif pour les propriétaires sans le rendre concurrent aux hôteliers, ensuite rendre apporter de la flexibilité au contrat de travail hôtelier afin d’inciter les gestionnaires d’hôtels à recruter pour améliorer l’expérience du client qui s’est dégradée en France. En parallèle, il convient d’encourager la rénovation des établissements hôteliers pour mieux accueillir la hausse du nombre de touristes dans la capitale. Le métier de l’Hospitality est avant tout celui de l’accueil, il nécessite des hôtels de qualité et des ressources humaines nombreuses et de plus en plus qualifiées. Cette activité représente la vitrine de la France, il est bon de se le rappeler.

 

Décideurs. Êtes-vous optimiste sur la mise en place d’une réglementation ad hoc en France ?

G. M. L’association AhTop, qui réunit des hôteliers, des investisseurs, mais aussi des acteurs de l’immobilier résidentiel, y travaille, les associations professionnelles aussi. Cependant leurs actions ne sont concertées, il faut une action structurée de longue haleine auprès des parlementaires et du gouvernement afin de concevoir une stratégie touristique en dehors de tout dogme politique.

 

Propos recueillis par Sophie Da Costa

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