Chute du cours du pétrole : état des lieux
« 100 dollars, 110 dollars, 95 dollars, c’est un bon prix », déclarait en juin 2014 Ali Al Naimi, le ministre saoudien du pétrole. Un prix qui, même arbitraire, semblait finalement convenir à tout le monde, producteurs comme consommateurs, allant même jusqu’à définir un minimum pour de nombreux économistes. Mais malgré ce consensus, en août 2015, le cours du pétrole atteignait son niveau le plus bas depuis 2009 : 44 dollars le baril. Lors de la conférence organisée par Sciences-Po, Pierre-René Bauquis et Denis Babusiaux ont expliqué ce phénomène par plusieurs facteurs : sans surprise, l’éternel équilibre de l’offre et la demande est le premier. L’augmentation de la demande en 2014, estimée à 1,3 million de barils par jour, n’a été « que » de 0,6 million de barils. Pendant ce temps, l’offre a explosé : arrivée précoce du pétrole iranien sur le marché, boom des pétroles non conventionnels tels que l’huile de schiste – cette catégorie d’hydrocarbure provient au quatre cinquième des États-Unis–, gel des quotas de production des principaux producteurs membres de l’Opep. Ce décalage a donc engrangé une baisse sans précédent du cours pétrolier.
« L’Opep, c’est l’Arabie Saoudite »
Et c’est l’histoire qui le dit : pour soutenir le prix du brut entre 1980 et 1985, l’Arabie Saoudite avait baissé sa production de dix millions de barils par jour à seulement deux millions. En 1998, bis repetita : la crise asiatique engendre une baisse de la consommation mondiale de pétrole. L’Arabie Saoudite obtient de ses homologues au sein de l’Opep une baisse concertée de la production pour maintenir la stabilité du cours sans modifier les parts de marché des différents membres. Or, en 2014, l’unité de l’institution ne fait plus illusion. Au cœur des enjeux énergétiques, le pays ne veut plus supporter seul les contraintes d’un marché toujours fragile : assise sur un trésor de guerre certes confortable, l’Arabie ne dispose actuellement pas d’autres relais de croissance, et privilégie sa part de marché au détriment du prix du brut.
Le gaz de schiste, nouveau swing producer ?
Mais c’est aussi et surtout face à la croissance exponentielle de l’huile de schiste que l’Opep assure ses arrières : aux États-Unis, alors que la productivité de ces puits a été multipliée par sept entre 2007 et 2015, la production continue de gonfler. Pierre-René Bauquis explique donc cette augmentation de la production pétrolière mondiale par la place toujours plus importante que prend le schiste. L’expert reste d’ailleurs confiant quant à l’exploitation de cette roche-mère : le maximum de production est encore loin, notamment grâce à la technique du refracking qui permet de redonner la même capacité de production aux puits qu’au début de leur exploitation. Dès lors, quid de l’Opep ? À ceux qui doutent encore de la portée économique et géopolitique du gaz de schiste américain, l’expert répond que les producteurs pétroliers n’ont pas peur de forer de manière « toujours plus extrême et plus profonde ». Se libérer de la contrainte du Moyen-Orient et de l’hégémonie de l’Opep, rêve illusoire ou réalité en devenir ?
L.T. & S.C.