Souvent décrié, difficilement remplacé, le nucléaire fait jaser. Fervent défenseur de la première source d’électricité en France, le directeur de l'énergie nucléaire du CEA nous explique son défi : construire le nucléaire du futur.
Décideurs. Quel sont les grands chantiers de la direction de l’énergie nucléaire du CEA ?

Christophe Béhar. À la direction de l’énergie nucléaire, la R&D et l’innovation sont au cœur de nos missions. La première consiste à soutenir l’industrie électronucléaire française, en particulier EDF et Areva. Nous réfléchissons ensemble à l’augmentation de la durée de fonctionnement du parc, nous travaillons sur la sûreté et les performances des réacteurs d’une part et des usines du cycle du combustible d’autre part. Toujours en R&D, nous préparons le nucléaire du futur. À ce titre, nous œuvrons en particulier sur les réacteurs dits de quatrième génération – qui devront être opérationnels d’ici quarante ans – en coopération avec les industriels. Autre mission, l’assainissement et le démantèlement des installations nucléaires en fin de vie.

Il faut garder à l’esprit que toutes ces actions sont entreprises dans un secteur de pointe. La formation des acteurs apparaît donc comme essentielle. Il doit y avoir environ 500 personnes au sein de mes équipes qui consacrent une partie de leur temps à enseigner, dans tous les grands domaines du nucléaire.

Décideurs. Le nucléaire du futur, c’est quoi concrètement ?

C. B. Un nucléaire plus sûr, plus résistant à la prolifération, durable – vis-à-vis de la ressource première et des déchets – et plus compétitif. En France, nous avons choisi de nous intéresser aux réacteurs à neutrons rapides. D’abord parce que ces réacteurs, et seulement ceux-là, sont capables de brûler tout type de plutonium, et ainsi de recycler autant que souhaité le plutonium issu des combustibles usés, pour fabriquer du nouveau combustible. Par ailleurs, demain, après-demain ou à la fin du siècle, l’uranium deviendra une ressource rare. Il se trouve qu’aujourd’hui dans les réacteurs à eaux légères, nous utilisons mal l’uranium naturel – seule une fraction minoritaire, l’uranium 235 est réellement utilisée comme combustible. En conséquence, nous avons des stocks d’uranium appauvris très importants qui peuvent être utilisés dans des réacteurs à neutrons rapides. De cette façon, nous serions capables de produire de l’électricité pour le pays pendant plusieurs milliers d’années sans même faire appel aux ressources en uranium naturel. Enfin, grâce à ces réacteurs, nous pourrons brûler les déchets les plus radioactifs à vie longue et réduire ainsi la radiotoxicité intrinsèque des déchets ultimes ainsi que l’emprise de leur site de stockage.

Décideurs. Quel est le rôle de l’État dans la préparation du nucléaire de demain ?

C. B. L’État a une véritable mission dans la préparation du nucléaire du futur. Ceci se comprend bien en regardant nos sources de financement : 70% du budget de R&D pour la quatrième génération provient de ressources étatiques. Les 30% restant sont financés par les industriels, ce qui prouve qu’eux aussi sont intéressés. Et ils ont raison, car les outils que nous développons seront un jour entre leurs mains.

Décideurs. Préparer le nucléaire du futur est votre mission première. Que fait-on du « nucléaire du passé » ?

C. B. Nous avons une activité non négligeable dans l’assainissement et le démantèlement des installations nucléaires. Le CEA se trouve dans une configuration assez spécifique dans ces domaines puisque nos installations sont extrêmement variées – laboratoires de chimie, stations de traitement d’effluents et de déchets, réacteurs de recherche, etc. – avec des technologies et des configurations très diverses ; contrairement à EDF dont les réacteurs sont relativement similaires les uns aux autres. Nous avons développé une véritable expertise dans le domaine, avec des retours d’expériences réussis. Néanmoins, nous ne cessons d’améliorer notre expertise en développant une R&D spécifique au domaine à travers six axes : connaissance de l’état initial de l’installation, caractérisation des déchets, travail en milieu hostile, décontamination, conditionnement des déchets et outils de gestion.



Propos recueillis par Jennifer Lormier


Crédits photo. © CEA / Laurence Godart

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