Après les pertes considérables enregistrées en 2014, le pronostic vital du spécialiste du nucléaire est engagé. Quatre difficultés majeures émergent... qui sont autant d'opportunités.
Areva a les cartes en main pour s’en sortir
Avec 4,8 milliards d’euros de pertes nettes et un chiffre d’affaires en baisse de 7,2 %, Areva est dos au mur. Contraint de déprécier ses chantiers et ses mines, sa rentabilité est en chute libre. Comment le fleuron français du nucléaire en est-il arrivé là ? Le contexte post-Fukushima, le marché déclinant de l’uranium, des décisions stratégiques hasardeuses tout comme le rôle ambigu de l’État actionnaire expliquent en partie la délicate situation dans la quelle se trouve le géant. Pourtant, une lueur d'espoir subsiste. Si Areva s'emploie prochainement à proposer les bonnes solutions, chacune de ses difficultés pourraient tourner à son avantage. Explications.
Fukushima et la « crise existentielle » du nucléaire
En 2011, l’accident de Fukushima porte un premier coup dur à Areva. Suite au tsunami, le Japon décide de sortir du nucléaire. Dans son sillage, l’Allemagne, dont les projets de centrales sont mis à l’arrêt. Le prix de l’uranium chute fragilisant directement les activités mines et amont (enrichissement de l’uranium) du groupe. Le nucléaire mondial est frappé par une « crise existentielle » dont il conserve encore les stigmates.
Une solution - Outre les difficultés, cette crise a mis en lumière le rôle primordial de la sûreté des centrales. C’est précisément l’un des atouts d’Areva. « Avant d’expliquer ce qui ne marche pas, il faut se féliciter de l’absence d’accidents notables dans le nucléaire en France qui démontre que notre filière, et notamment Areva, bénéficie d’une expertise incontestable dans un métier difficile », constate Philippe François, responsable des études énergie à la fondation Ifrap.
Par ailleurs, la morosité du marché de l’atome pourrait ne pas durer. « La Chine construit chaque année l’équivalent du parc nucléaire français », s’exclamait Jean-Bernard Lévy, P-DG d’EDF à l’occasion de la publication des résultats annuels du groupe. Certains pays s’équipent, quand d’autres renouvellent leur capacités existantes. « Dans le monde, on compte 450 centrales et une soixantaine est actuellement en construction. Il y a un vrai marché pour Areva ! », affirme Éric Bonnel du cabinet de conseil en stratégie Square Management.
Un marché de l’uranium en recul
Autre coup dur essuyé par l’entreprise publique : les cycles des matières premières et en particulier de l’uranium. Durant les années 2000, le cours a connu un boom historique. À l'époque, le métal lourd s’échangeait au plus haut à près de 140 dollars la livre contre six dollars en 2001. Depuis 2011, les prix se sont effondrés et les investissements miniers réalisés par Areva en haut de cycle sont devenus de moins en moins rentables. En 2014, l’entreprise a ainsi été contrainte de dévaluer ses mines de 300 millions d’euros et son usine de valorisation, Comurhex II, de 599 millions d’euros. « Dans les matières premières, il y a toujours un retard à l’investissement. Il faudrait investir à contre-cycle, ce qu’Areva n’a pas fait », analyse Éric Bonnel.
Une solution - Les mines d’Areva ne sont pourtant pas sans réserves. La seule mine d’Imouraren au Niger, qui n’est pas encore exploitée, pourrait produire cinq mille tonnes par an pendant plus de trente ans. C’est donc sur le temps long qu’il faut évaluer ces actifs. Selon le consultant, il faut attendre le nouveau cycle. « Des producteurs de matières premières comme Rio Tinto utilisent leurs mines sur plus de cent ans. »
De mauvaises décisions stratégiques
À côté de ces éléments contextuels, les experts pointent du doigt les décisions stratégiques hasardeuses prises par le groupe depuis sa création en 2001. Comme le raconte Éric Bonnel, « le conglomérat a fait évoluer son business model pour se lancer seul dans une activité qu’il ne maîtrisait pas initialement : la construction intégrale de centrales ». L’entreprise est devenue un doublon d’EDF, mais sans la solidité financière de l’électricien dont le chiffre d’affaires est huit fois plus important. Aujourd’hui, Areva n’arrive pas à finir l’EPR qu’elle construit à Olkiluoto en Finlande. Un échec qui grève chaque année ses comptes de plus de 700 millions d’euros.
Dans le même temps, l’entreprise a souhaité se diversifier dans des domaines qui finissent par la pénaliser. « Areva s’est dispersée en allant vers des activités comme la connectique ou le transport et la distribition d’énergie qui avaient peu à voir avec son cœur de métier », rappelle Philippe François. « Surtout, elle a fait le choix d’aller vers les énergies renouvelables mais sans perspectives de rentabilité », poursuit-il. En 2014, pour un chiffre d’affaires de 52 millions millions d’euros et un carnet de commande de 49 millions d’euros, ce segment du groupe a enregistré des pertes totalisant 557 millions d’euros.
Une solution - La direction d’Areva semble consciente du problème. L’objectif numéro un de la feuille de route stratégique présentée début mars est de « se recentrer sur le cœur des procédés nucléaires ». Une rationalisation qui a déjà commencé. Depuis août 2014, l’arrêt du solaire est programmé, tandis que les pôles « contrôle commande transport » et « Aerospace Integration » ont été cédés respectivement à Alstom et AIP Aerospace au second semestre.
Un actionnaire sans contre-pouvoir
Le dernier élément d’explication – celui sur lequel Areva a été le plus discret – est le rôle ambigu joué par son principal actionnaire : l’État. Selon Éric Bonnel, « il ne s'est pas comporté en actionnaire de long terme, il a tiré l’essentiel des bénéfices du groupe pendant les années 2000 ». En 2004 par exemple, les dividendes versés atteignaient 79 % du bénéfice par action. « Pour cette raison, il n’a pas assez investi pour renforcer la compétitivité du groupe et soutenir ses investissements. »
« L’État n’a pas de contre-pouvoir au sein du groupe », ajoute Philippe François. Avec 85 % du capital d’Areva entre ses mains à travers l’Agence de participations de l’État (APE) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), nul autre actionnaire ne peut réellement contester ses décisions.
Une solution - Alors qu’Areva a plus que jamais besoin de fonds propres, les yeux se tournent vers l’État, qui n’a pas formellement pris de décision, sinon celle d’écarter un rapprochement avec EDF. S’il ne réinvestit pas, Areva devra ouvrir son capital. Une hypothèse qui pourrait séduire nombre d’investisseurs. L’action a perdu 72 % par rapport à son cours pré-Fukushima de février 2011, et s’échange aujourd’hui sous la barre des dix euros. « Son potentiel est pourtant intact », souligne Éric Bonnel. La technologie d’Areva, ses infrastructures et son carnet de commandes de quarante-sept milliards d’euros valent aujourd’hui moins de 3,5 milliards d’euros en Bourse. Une aubaine, pourvu que l’État accepte d’accueillir de nouveaux investisseurs.
J. H. F.
Fukushima et la « crise existentielle » du nucléaire
En 2011, l’accident de Fukushima porte un premier coup dur à Areva. Suite au tsunami, le Japon décide de sortir du nucléaire. Dans son sillage, l’Allemagne, dont les projets de centrales sont mis à l’arrêt. Le prix de l’uranium chute fragilisant directement les activités mines et amont (enrichissement de l’uranium) du groupe. Le nucléaire mondial est frappé par une « crise existentielle » dont il conserve encore les stigmates.
Une solution - Outre les difficultés, cette crise a mis en lumière le rôle primordial de la sûreté des centrales. C’est précisément l’un des atouts d’Areva. « Avant d’expliquer ce qui ne marche pas, il faut se féliciter de l’absence d’accidents notables dans le nucléaire en France qui démontre que notre filière, et notamment Areva, bénéficie d’une expertise incontestable dans un métier difficile », constate Philippe François, responsable des études énergie à la fondation Ifrap.
Par ailleurs, la morosité du marché de l’atome pourrait ne pas durer. « La Chine construit chaque année l’équivalent du parc nucléaire français », s’exclamait Jean-Bernard Lévy, P-DG d’EDF à l’occasion de la publication des résultats annuels du groupe. Certains pays s’équipent, quand d’autres renouvellent leur capacités existantes. « Dans le monde, on compte 450 centrales et une soixantaine est actuellement en construction. Il y a un vrai marché pour Areva ! », affirme Éric Bonnel du cabinet de conseil en stratégie Square Management.
Un marché de l’uranium en recul
Autre coup dur essuyé par l’entreprise publique : les cycles des matières premières et en particulier de l’uranium. Durant les années 2000, le cours a connu un boom historique. À l'époque, le métal lourd s’échangeait au plus haut à près de 140 dollars la livre contre six dollars en 2001. Depuis 2011, les prix se sont effondrés et les investissements miniers réalisés par Areva en haut de cycle sont devenus de moins en moins rentables. En 2014, l’entreprise a ainsi été contrainte de dévaluer ses mines de 300 millions d’euros et son usine de valorisation, Comurhex II, de 599 millions d’euros. « Dans les matières premières, il y a toujours un retard à l’investissement. Il faudrait investir à contre-cycle, ce qu’Areva n’a pas fait », analyse Éric Bonnel.
Une solution - Les mines d’Areva ne sont pourtant pas sans réserves. La seule mine d’Imouraren au Niger, qui n’est pas encore exploitée, pourrait produire cinq mille tonnes par an pendant plus de trente ans. C’est donc sur le temps long qu’il faut évaluer ces actifs. Selon le consultant, il faut attendre le nouveau cycle. « Des producteurs de matières premières comme Rio Tinto utilisent leurs mines sur plus de cent ans. »
De mauvaises décisions stratégiques
À côté de ces éléments contextuels, les experts pointent du doigt les décisions stratégiques hasardeuses prises par le groupe depuis sa création en 2001. Comme le raconte Éric Bonnel, « le conglomérat a fait évoluer son business model pour se lancer seul dans une activité qu’il ne maîtrisait pas initialement : la construction intégrale de centrales ». L’entreprise est devenue un doublon d’EDF, mais sans la solidité financière de l’électricien dont le chiffre d’affaires est huit fois plus important. Aujourd’hui, Areva n’arrive pas à finir l’EPR qu’elle construit à Olkiluoto en Finlande. Un échec qui grève chaque année ses comptes de plus de 700 millions d’euros.
Dans le même temps, l’entreprise a souhaité se diversifier dans des domaines qui finissent par la pénaliser. « Areva s’est dispersée en allant vers des activités comme la connectique ou le transport et la distribition d’énergie qui avaient peu à voir avec son cœur de métier », rappelle Philippe François. « Surtout, elle a fait le choix d’aller vers les énergies renouvelables mais sans perspectives de rentabilité », poursuit-il. En 2014, pour un chiffre d’affaires de 52 millions millions d’euros et un carnet de commande de 49 millions d’euros, ce segment du groupe a enregistré des pertes totalisant 557 millions d’euros.
Une solution - La direction d’Areva semble consciente du problème. L’objectif numéro un de la feuille de route stratégique présentée début mars est de « se recentrer sur le cœur des procédés nucléaires ». Une rationalisation qui a déjà commencé. Depuis août 2014, l’arrêt du solaire est programmé, tandis que les pôles « contrôle commande transport » et « Aerospace Integration » ont été cédés respectivement à Alstom et AIP Aerospace au second semestre.
Un actionnaire sans contre-pouvoir
Le dernier élément d’explication – celui sur lequel Areva a été le plus discret – est le rôle ambigu joué par son principal actionnaire : l’État. Selon Éric Bonnel, « il ne s'est pas comporté en actionnaire de long terme, il a tiré l’essentiel des bénéfices du groupe pendant les années 2000 ». En 2004 par exemple, les dividendes versés atteignaient 79 % du bénéfice par action. « Pour cette raison, il n’a pas assez investi pour renforcer la compétitivité du groupe et soutenir ses investissements. »
« L’État n’a pas de contre-pouvoir au sein du groupe », ajoute Philippe François. Avec 85 % du capital d’Areva entre ses mains à travers l’Agence de participations de l’État (APE) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), nul autre actionnaire ne peut réellement contester ses décisions.
Une solution - Alors qu’Areva a plus que jamais besoin de fonds propres, les yeux se tournent vers l’État, qui n’a pas formellement pris de décision, sinon celle d’écarter un rapprochement avec EDF. S’il ne réinvestit pas, Areva devra ouvrir son capital. Une hypothèse qui pourrait séduire nombre d’investisseurs. L’action a perdu 72 % par rapport à son cours pré-Fukushima de février 2011, et s’échange aujourd’hui sous la barre des dix euros. « Son potentiel est pourtant intact », souligne Éric Bonnel. La technologie d’Areva, ses infrastructures et son carnet de commandes de quarante-sept milliards d’euros valent aujourd’hui moins de 3,5 milliards d’euros en Bourse. Une aubaine, pourvu que l’État accepte d’accueillir de nouveaux investisseurs.
J. H. F.