Le marché du capital-investissement aux États-Unis enregistre de meilleures performances que celui du Vieux Continent, ce qui dope l’économie américaine. Vingt ans d’avance offrent une profondeur de marché non négligeable au pays de l’Oncle Sam, lequel présente de nombreux atouts. L’Europe peut-elle rattraper son retard ?

Malgré un contexte économique incertain, le private equity français a tenu bon l’an dernier. Sur dix ans, les performances ont également de quoi satisfaire les investisseurs puisque, à fin 2023, le taux de rendement interne (TRI) net du non-coté hexagonal s’établissait à 13,3 %, contre 10,5 % pour le CAC 40 et 4,7 % pour l’immobilier, selon une étude de France Invest menée en partenariat avec EY et parue en juin. Cependant, l’Hexagone, et plus largement l’Europe, demeure derrière le champion de la spécialité. Les États-Unis restent la terre du private equity. Entre 2005 et 2020, les fonds du top quartile du capital-investissement américain ont enregistré un rendement de 410 points de base supérieur au top européen.

Comment expliquer cette différence entre les deux continents ? D’abord la maturité du marché. Pour Pierre-Olivier Desplanches, co-directeur général chez Archinvest, "l’Europe a démarré vingt ans plus tard. Les professionnels du private equity américain ont déjà vécu plusieurs cycles. Ils ont de l’expérience et leur marché est mature." Frédéric Stolar, directeur général d’Altaroc, se plaît à comparer avec le vin la différence entre les deux continents. Le "bordeaux chinois" n’est pas à la hauteur du bordeaux français ? Parce que les habitants de l’Hexagone ont de la bouteille et une terre travaillée depuis des dizaines d’années leur permettant d’offrir les meilleurs breuvages. "On peut aussi filer la métaphore avec le basket. Pourquoi un joueur américain semble-t-il toujours mieux jouer qu’un joueur français ? interroge-t-il. Parce qu’aux États-Unis les universités soutiennent les basketteurs, que la culture du sport y est plus développée et que le secteur dispose de moyens financiers plus importants. Le basket est inscrit dans l’ADN américain. Le private equity aussi."

Un marché plus uniforme

Au-delà d’un écosystème plus sophistiqué, le pays de l’Oncle Sam a pour lui de disposer d’une langue, d’une monnaie et de réglementations financières communes. Il s’avère donc plus facile pour une société américaine de s’étendre dans différents États que pour une société italienne de s’implanter en France ou au Royaume-Uni. L’Allemagne, par exemple, n’est pas la terre la plus favorable au private equity car les entreprises se transmettent pour beaucoup en famille et discrètement. "Le terrain de jeu est plus flexible et uniforme aux États-Unis", résume Émilie Loyer-Buttiaux, co-directrice générale chez Archinvest.

Le rapport à la gestion de l’épargne s’avère également différent de part et d’autre de l’Atlantique. La France ne réfléchit que depuis quelques années à compléter le financement des retraites grâce à des investissements dans l’économie réelle – certes plus risqués mais plus rémunérateurs qu’une assurance vie classique dont les rendements tournent autour de 2 % par an. Le private equity est un segment intéressant mais il commence tout juste à se démocratiser moyennant des tickets d’entrée encore élevés. "Les États-Unis ont compris plus tôt que le private equity permettait de soutenir l’économie réelle. Ce n’est pas l’État qui a financé Airbnb et Nvidia, mais bien les fonds", illustre Pierre-Olivier Desplanches.

Diversifier son portefeuille

Si les rendements sont aussi bons aux États-Unis et moins intéressants en Europe, pourquoi les fonds et les gestionnaires de portefeuilles misent-ils quand même sur le Vieux Continent ? "Les gens veulent d’abord investir là où ils sont, là où ils connaissent les leaders nationaux", explique la directrice générale d’Archinvest, qui propose à des particuliers d’investir dans le capital-investissement à partir de 100 000 euros.

Pour Altaroc, société spécialisée dans la démocratisation du private equity, en permettant également à ses clients de commencer à investir à partir de tickets de 100 000 euros, il s’agit de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. "Les clients doivent avoir des portefeuilles diversifiés. Si demain on fait face à une panique économique aux États-Unis ou en France, il sera plus confortable d’être mondialement exposé", argue Frédéric Stolar qui précise qu’Altaroc investit à 45 % en Europe, à 45 % outre-Atlantique et le reste dans d’autres parties du monde dont l’Asie.

Entre 2005 et 2020, les fonds du top quartile du capital-investissement américain ont enregistré un rendement de 410 points de base supérieur au top européen

Pourquoi autant de parité entre les États-Unis et l’Europe si les rendements des fonds américains sont plus favorables ? "Ce sont plutôt les patrimoines très élevés qui investissent habituellement sur le capital-investissement américain. Il faut accepter de s’y exposer et ne pas trop craindre les risques de change", affirme Pierre-Olivier Desplanches. "En moyenne, les États-Unis sont plus rémunérateurs. Toutefois, nous n’allons pas chercher les fonds moyens mais ceux qui offrent les meilleurs rendements, complète Frédéric Stolar. Même si les meilleurs fonds US sont plus performants que les meilleurs fonds européens, il y a en Europe des véhicules avec d’excellents TRI."

L’Asie reste, pour sa part, peu attractive. Pourtant, ce ne sont pas les entreprises prometteuses qui manquent à l’appel. Mais l’instabilité réglementaire qui règne dans des pays comme la Chine coupe l’envie aux fonds de se lancer, eux qui craignent l’incertitude et ne peuvent se permettre de voir les règles changer en cours de route. "Si le risque est plus important et n’est pas rémunéré, ce n’est pas intéressant", tranche Émilie Loyer-Buttiaux.

Le mid-cap à la fête

Aux États-Unis, tous les marchés n’attirent pas de la même façon les investisseurs. Le mid-cap est celui qui les séduit davantage. Les valorisations sont moins élevées que pour les grandes entreprises mais les sorties se font plus facilement. Le marché du small cap, quant à lui, est plus à risque puisque les sociétés sont plus jeunes, tandis que le marché du large cap est moins profond et les sorties plus hasardeuses car les acheteurs éventuels se font plus rares. Les fonds du mid-market américain, qui représentent 90 % des opérations, performent. Ceux du premier quartile ont généré un TRI net moyen supérieur à 25 % entre 2005 et 2020.

"Bien sûr un PIB porteur facilite les choses mais le plus important reste de trouver les champions et futurs champions de leur secteur"

Certains secteurs attirent davantage. "Je pense que le marché du logiciel, notamment le SAS cloud, les services de santé et les services aux professionnels sont des segments très intéressants, estime Frédéric Stolar qui précise investir personnellement chaque année avec son associé 33 millions d’euros. Ce ne sont pas des secteurs cycliques et leurs fondamentaux sont solides."

Et pour demain ?

Les États-Unis, dont le PIB devrait être selon le FMI de 20 % supérieur à celui de la zone Euro en 2027, conserveront-ils leur place de leader dans les années à venir ? "L’Europe se professionnalise, les tendances américaines arrivent sur le continent, note Pierre-Olivier Desplanches. Mais le digital continue de se développer, les États-Unis ont un temps d’avance et je ne pense pas qu’ils vont s’endormir sur leurs lauriers." Pour sa part, Frédéric Stolar relève un paradoxe : "Ce qui est important c’est que l’écosystème soit stable. Les innovations peuvent se développer ensuite indépendamment du PIB. Bien sûr, un PIB porteur facilite les choses mais le plus important reste de trouver les champions et futurs champions de leur secteur.

Aux intermédiaires de sélectionner les meilleurs fonds capables de dénicher les deals les plus stratégiques. Ce qui n’est pas chose aisée quand on est à des milliers de kilomètres. Comme l’explique Émilie Loyer-Buttiaux, "un bon fonds, c’est avant tout une bonne équipe. Il faut connaître les personnes qui en font partie et s’assurer que les dealmakers qui ont permis la performance d’un fonds y soient toujours dans les années suivantes".

Les États, comme les citoyens et les entreprises ont tout intérêt à voir se développer cette classe d’actifs qui, quand elle est bien maîtrisée, crée des cercles vertueux. "Le private equity, c’est de l’huile dans le moteur de l’économie nationale, insiste Frédéric Stolar. Il faut que les Européens puissent investir entre 5 % et 15 % de leur capital dans le private equity pour financer leurs retraites. Cela permet également de créer les champions de demain comme aux États-Unis et d’embaucher." Le déploiement de nouvelles offres s’adressant à une base de clients élargie permettra-t-il de nourrir cette dynamique ? Le régulateur veille au grain pour l’instant afin de s’assurer que les risques soient maîtrisés et les épargnants bien informés. Mais le gendarme de la Bourse ne dira pas le contraire : un portefeuille diversifié, avec notamment une exposition aux produits américains, reste une stratégie sensée.

Olivia Vignaud

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