Pierre Calmard (Dentsu) : « L’e-privacy est un combat inutile et perdu d’avance »
S’il y a une chose à laquelle Pierre Calmard ne croit pas, c’est bien à la classification des talents. Au fait de ranger les gens dans des cases, étiquetées et hermétiques. Peut-être parce que, spécialiste de big data et de philosophie, d’intelligence artificielle et de science-fiction, le Directeur Général de Dentsu Aegis Network et Président de l’agence de marketing digital iProspect France ne rentre dans aucune. Pour lui, «l’être humain doit être appréhendé dans sa globalité car tout est connecté ». Une conviction qu’il met en pratique au quotidien, en mixant les expertises – humaines, scientifiques, marketing… – pour mesurer et décrypter les comportements individuels sur Internet et les convertir en leviers d’optimisation marketing au service de ses clients. Objectif : en finir avec le matraquage publicitaire à l’aveugle, déconnecté de la cible et de ses besoins ; avec la déperdition de valeur qu’il représente pour l’annonceur, et la nuisance qu’il incarne pour le consommateur.
Bâtir un schéma prédictif
Pour y parvenir, un impératif : redonner du sens aux campagnes de marketing digital et de la pertinence à leur message en les concevant en fonction d’une certaine cible et d’un certain timing. « À l’heure où la défiance à l’égard des marques est plus palpable que jamais, réinjecter du sens dans leur communication est devenu stratégique pour les annonceurs, explique Pierre Calmard. L’efficacité et la portée de leurs campagnes marketing dépendent de leur capacité à s’adresser de façon pertinente au consommateur, en adaptant le message au contexte dans lequel celui-ci va le recevoir. » Comment ? En utilisant l’ensemble des données disponibles sur le Net – réseaux sociaux, posts partagés, actes d’achat, etc – dont la lecture « groupée » permet de renseigner sur un profil, des attentes et des besoins. Une masse d’informations aujourd’hui sous-exploitée et pourtant à forte valeur ajoutée puisque permettant, explique Pierre Calmard, «d’élaborer des schémas prédictifs » qui, à leur tour, permettront d’adapter le message à la cible.
Rendre le message pertinent
« Et plus on croise les marqueurs, plus on affine la prédiction », ajoute l’expert pour qui, aucun doute, seul le fait de compiler cette immensité de données éparpillées sur la toile permet « de prédire avec acuité », et donc d’adresser au consommateur un message pertinent. Conforme à son profil et de nature à répondre à ses besoins du moment. Une autre façon de « travailler l’expérience client » qui, implique toutefois de dépasser certaines réticences sur l’utilisation des données et sur la possible atteinte à la vie privée qu’elles sont de nature à représenter. Un point d’achoppement pour beaucoup et, pour Pierre Calmard, un faux débat, daté et réducteur.
Dépasser l’obsession de l’e-privacy
« L’e-privacy fait partie des vieilles lunes, assène-t-il. C’est un combat inutile et perdu d’avance. » Une obsession de Vieux Continent qui, il en est convaincu, va à l’encontre d’une tendance générale impossible à ignorer. « La façon dont nous, Européens, envisageons l’e-privacy est totalement dépassée », poursuit Pierre Calmard qui regrette qu’en France notamment, on résume le ciblage publicitaire à une atteinte à la vie privée. « Mais le big data ce n’est pas que Big Brother, rappelle-t-il ; c’est également ce qui peut permettre de détecter des séismes, des épidémies, des risques cardiaques… » D’où l’impératif, économique mais aussi sociétal, de renoncer aux « vieux bastions » pour accompagner ce qu’il appelle « l’inexorable avancée du monde et du progrès ». Sans chercher à la freiner, mais en s’employant à la réguler.
Caroline Castets