Point de ventes sans points de vente
« Ruche bourdonnante », « machine fonctionnant à haute pression », « un temple au culte dédié à la féminité et à la tentation ». En 1883, Émile Zola ne manque pas d’expressions grandiloquentes pour décrire l’ébullition des premiers grands magasins, innovation majeure sous le Second Empire. Au fil du temps, l’animation de ces boutiques s’est dissipée pour laisser place aux temples froids de la consommation. « L'avènement de la grande distribution, du self-service dans les rayons et du merchandising ont atténué la dimension lieu de vie du magasin », explique Isabelle Barth, directrice générale de l'École de management de Strasbourg dans Le Monde. Point d’orgue de cette tendance, l’arrivée d’Internet a favorisé l’e-commerce et changé les habitudes de consommation : fini les files d’attente interminables devant les cabines d’essayage ou les caisses enregistreuses, les heures d’ouverture contraignantes, les vêtements dont on n’a pas la taille... En 2017, le bonheur des dames ne semble plus être dans les boutiques. Mais pour Marc-André Kamel, associé du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company, « dire que le magasin physique est mort est une aberration. » C’est au contraire « un lieu d’inspiration ». Il est venu le temps du ré-enchantement des points de vente.
Point de vente 2.0
De plus en plus souvent considéré comme un lieu de test, plutôt que de vente, le magasin était en passe de devenir la cabine d’essayage de l’Internet. L’arrivée du digital devrait quelque peu redorer son statut. Les tablettes tactiles, réseaux Wi-Fi et autres bornes interactives envahissent les points de vente afin d’attirer et fidéliser les consommateurs. Les clients ont désormais un accès rapide aux spécificités des articles présentés en magasin, à leur disponibilité, aux différents coloris existants, aux offres promotionnelles… sans perte de temps. Les sites d’e-commerce ne possèdent plus le monopole de l’information détaillée en temps réel. Les responsables de magasin comptent également sur l’aspect ludique porté par le numérique. La marque Uniqlo a par exemple embauché un tout nouveau type de vendeur, le robot humanoïde Pepper. Ce dernier a été conçu par la société française Aldebaran et le groupe japonais Softbank pour accueillir et informer les clients, mais surtout pour les divertir. L’enseigne japonaise de vêtements n’est pas la seule à avoir jeté son dévolu sur l’androïde, capable de réagir à son environnement et de communiquer avec son entourage. Carrefour, Renault et Axa comptent également sur son soutien pour améliorer leur expérience client. Au fil des innovations technologiques, le magasin traditionnel se mue donc en point de vente 2.0. Jusqu’à l’utilisation de la réalité augmentée ou virtuelle qui offre au consommateur une expérience véritablement immersive. Projeter et visualiser l’objet convoité dans son salon pour voir comment il sera intégré à la décoration générale est désormais possible. Des start-up se sont déjà penchées sur le sujet, comme le français Keyveo, spécialiste des projets 3D. Il apparaît ainsi que le magasin traditionnel n’est pas mort, il a simplement besoin d’un bon coup de dépoussiérage. Pour cela, la multiplication des écrans interactifs n’est pas suffisante et risquerait même d’aseptiser les points de vente. Une véritable révolution de l’expérience client est requise pour attirer le client et assurer la rentabilité des boutiques 2.0.
Renouveau de l’expérience client
Pour Marc-André Kamel, « l'omnicanal, c'est le meilleur des deux mondes physique et digital en faveur d'une croissance rentable. » Une idée que partage le président du directoire des Galeries Lafayette, Philippe Houzé. « Le magasin a de beaux jours devant lui », a-t-il déclaré lors des 17e Rencontres économiques d’Aix-en-Provence. « Le futur sera un juste équilibre entre physique et digital. » Il n’est pas faux de penser qu’un écran n’égalera jamais une expérience d’achat en magasin, pour peu que celle-ci soit un peu travaillée. À l’heure où l’offre est accessible partout et tout le temps, l’enjeu est d’assurer une réelle proximité avec le client. La chaîne Nature et Découvertes est un exemple de réussite en matière de fréquentation de ses magasins. « Nous parvenons à offrir à nos clients une expérience suffisamment différenciante et marquante en les plongeant dans un univers sensoriel unique, à la fois auditif (bruit de l’eau), visuel (la pierre de Bourgogne, l’ardoise, le bois) et olfactif (huiles essentielles) », explique Clarisse Charreaux, directrice marketing et innovation de l’enseigne. À rebours de la porosité du Net, le magasin physique est un lieu séparé géographiquement de ses concurrents. Un avantage dont les responsables de boutiques ont de plus en plus conscience. Soirées, ateliers, dégustations, conférences… Les points de vente redeviennent de véritables lieux de vie. Les nouveaux codes design choisis par Apple pour ses magasins en est l’exemple même. Une large allée centrale, de la végétation, une atmosphère feutrée, des produits en nombre limité et des espaces où se reposer… « C'est plus qu'un simple magasin », a confié Franck Pecherand Gallois, le responsable des boutiques Apple en France au journal Les Échos. « La moitié de l'espace est dédiée à la formation, aux conseils, aux échanges et aux nouvelles expériences. On ne vend pas seulement des produits, on fournit aussi beaucoup de services. » Reste à savoir quel est le véritable retour sur investissement de ces initiatives. S’il y a urgence à réenchanter les points de vente, mieux vaut ne pas se précipiter. Concevoir un magasin 2.0 n’est pas le plus compliqué. Assurer sa pérennité est en revanche le nouveau défi des années à venir.
Marion Robert (@Marion_Rbrt)