L’innovation en matière aérospatiale s’accélère depuis quelques années et, avec elle, les investissements. Les risques sont considérables mais des moyens contractuels existent à la disposition des investisseurs pour s’en protéger.

Longtemps taxé de conservateur, le monde de l’aérospatiale est en effervescence depuis quelques années. Ainsi, le salon du Bourget a-t-il consacré un espace entier aux start-up dans des domaines aussi divers que la voiture volante ou la construction d’usines dans l’espace. En France, leur problème principal est l’accès au financement, même si de grands groupes ont créé des structures dédiées et que de jeunes sociétés parviennent ainsi à se financer. Aux États Unis, en revanche, une étude parue en 2016 a montré que le secteur avait levé 8,2 milliards de dollars au cours des cinq dernières années. Des fonds dédiés à ambition mondiale ont également vu le jour et il y a fort à parier que la prochaine licorne proviendra du monde de l’aérospatiale.
La négociation d’une opération de financement en fonds propres se déroulera de la même manière que pour une société du numérique : discussion sur la valorisation et le prix de l’action, volonté de l’investisseur de surveiller son investissement et de réaliser une plus-value importante. Cependant, la nature même de l’activité aérospatiale et l’incertitude pesant sur la sortie doivent être prises en compte dans la négociation. En outre, comme dans tout investissement, la personne des fondateurs sera primordiale mais, du fait de la très haute technicité de ceux-ci, l’investisseur devra encore davantage se protéger de leur départ.


La protection contre les risques liés à la nature de l’investissement
Ces risques sont liés tant à la nature de l’activité qu’à l’incertitude pesant sur la sortie.
Dans le domaine des petits satellites chargés de recueillir de l’imagerie terrestre ou de servir de relais de communication, ce qui attire le plus les investisseurs au niveau mondial, les risques sont multiples. Plusieurs sont liés au lancement des satellites. Ainsi la pénurie de lanceurs (fusées) crée des délais d’attente entre un et deux ans.
À cela, il faut rajouter le risque toujours possible d’échec du lancement. Les contrats prévoient une obligation de moyens à la charge de la société de lancement, et, en cas d’échec, parfois une ou plusieurs nouvelles tentatives au même prix, à l’intérieur d’une période de temps prédéfinie. Le risque d’échec du lancement sera donc in fine supporté par la société.
Ces risques techniques retardent d’autant la réalisation des objectifs du business plan et sont donc de nature à faire fluctuer la valorisation de la société postérieurement à l’investissement. Un investisseur aura ces risques à l’esprit au moment de la négociation de son entrée au capital et ce, à tous les stades de l’investissement. Il pourra ainsi prévoir un investissement par tranches, sous la forme de bons attachés aux actions souscrites, la seconde tranche de l’investissement étant réalisée, par exemple, lors de la conclusion d’un contrat de lancement. L’investisseur pourra également demander la mise en place d’un mécanisme de ratchet, dès l’amorçage, pour tenir compte du risque de fluctuation de la valorisation. Ce type de clause garantit les investisseurs contre une perte de valeur des actions consécutive à une survalorisation de la société au moment de leur entrée dans le capital. Celle-ci est constatée lors d’une levée de fonds ultérieure à laquelle de nouveaux investisseurs participent à un prix moindre. En matière aérospatiale, ce ratchet pourrait être intégral (alors qu’il est le plus souvent pondéré dans le numérique), compte tenu des fluctuations importantes de la valorisation entre deux tours de table, dues à la non-réalisation des objectifs techniques.
Ces risques inhérents à la nature de l’activité devront également être pris en compte dans la négociation des pouvoirs de contrôle de l’investisseur. Ainsi, en plus des informations financières habituelles (par exemple la délivrance de rapports mensuels), il pourra demander des informations sur le calendrier du lancement des satellites ou sur les projets de contrats de lancement.

Les risques liés à l’incertitude sur la sortie
Pendant longtemps, avec l’absence de débouchés commerciaux, le manque d’opportunités de sortie était un frein important au financement des start-up aérospatiales. Ces dernières années, quelques sorties largement médiatisées ont eu lieu comme, par exemple, la cession de Skybox (imagerie spatiale) à Google, démontrant ainsi la rentabilité d’un investissement. Néanmoins, les sorties sont beaucoup plus rares que dans le numérique. Par conséquent, un investisseur qui finance une start-up aérospatiale aura plus de mal à réaliser son investissement que dans le numérique.
La récompense de ce risque pourrait être de récupérer une part plus importante du prix de cession, via la mise en œuvre d’une clause de liquidation préférentielle. Ce type de disposition prévoit que l’investisseur aura droit à une quote-part du prix de cession (global) qui serait supérieure à celle qu’il aurait reçue si l’attribution du prix de cession se faisait sur la seule base des proportions du capital détenues. Elle permet à l’investisseur de récupérer au moins les montants investis et, si la clause est bien négociée, d’obtenir en plus une quote-part du prix de cession proportionnelle à sa part dans le capital.
Il n’est pas systématique que ce type de clause, attachée à des actions de préférence (preferred shares en common law), soit obtenue par des investisseurs en phase d’amorçage. Cependant, en matière d’aérospatial, un investisseur pourra obtenir cet avantage dès cette première phase, en contrepartie du risque encore plus important qu’il prend en investissant à ce stade du développement.

La protection contre le risque d’un départ d’un fondateur
Les start-up aérospatiales sont pour la plupart titulaires de brevets créés par leur(s) fondateur(s), eux-mêmes fréquemment issus des laboratoires de recherche fondamentale, alors que leurs profils pour les start-up numériques sont plus divers.
Un fondateur qui quitterait ses fonctions opérationnelles au sein d’une start-up aérospatiale sera donc très difficile à remplacer du fait de sa très grande maîtrise technique dans le domaine et de l’extrême rareté des profils correspondants. Un départ inattendu aura encore plus de conséquences que dans une start-up du numérique. L’investisseur pourra se prémunir de deux façons, dès la phase d’amorçage : en demandant une clause de bad leaver lors d’un départ anticipé du fondateur et une assurance homme clé en cas de décès ou d’incapacité.

La clause de « bad leaver »
Si le fondateur exerçant des fonctions opérationnelles démissionne ou est licencié pour une faute lourde (manifestant son intention de nuire), une fraction, de moins en moins importante avec le temps (vesting), voire la totalité de ses actions pourra être rachetée par l’investisseur, à un prix inférieur à leur valeur réelle, voire à leur valeur nominale (clause de bad leaver). Le but est de sanctionner le fondateur qui pénalise la société du fait de son départ. Plus la clause est rédigée strictement, plus son effet sera dissuasif.
Ces clauses de bad leaver sont plutôt rares en phase d’amorçage mais en matière aérospatiale, elles devront être systématiques à ce stade. En effet, ce type de start-up exploite le plus souvent un brevet, créé par les fondateurs. Son départ risquerait de rendre beaucoup plus complexe l’utilisation du brevet. Même s’il trouvait un remplaçant, celui-ci devrait être formé à l’utilisation de la technologie, ce qui pourrait entraîner des retards. Par conséquent, plus le fondateur sera difficile à remplacer en cas de départ, du fait de la rareté de son profil, plus la clause devra être rédigée de manière à empêcher son départ inopiné.


L’assurance homme clé 
Les investisseurs demandent parfois la souscription d’une assurance dite « assurance homme clé » sur la tête d’un ou plusieurs des fondateurs dont la présence est vitale pour la pérennité de la société. Cette assurance permet à la société d’être indemnisée (généralement à la hauteur du montant de la levée de fonds considérée) en cas de décès ou d’invalidité du ou des fondateurs concernés. L’assurance homme clé est particulièrement coûteuse pour la société. Aussi est-il rare que sa souscription soit demandée dès la phase d’amorçage. Cependant, en matière aérospatiale, la difficulté de remplacer un fondateur absent est encore plus prégnante qu’en matière numérique et l’investisseur d’amorçage pourra donc demander une assurance homme clé.
Les fonds français sont traditionnellement rétifs à l’investissement dans les start-up aérospatiales, notamment par crainte des risques liés à l’activité mal connue, et par la pénurie de sorties. Des moyens contractuels existent pourtant pour se protéger contre ces risques. Il est également possible de limiter les risques financiers par des co-investissements avec des étrangers plus actifs dans le secteur.

 

Renée Kaddouch, docteur en droit, avocat à la Cour, associée Genesis Avocats, fondateur Genesis Avocats Singapore Pte Ltd, 
et François Chopard, dirigeant et fondateur, Starburst Accelerator et Starburst Ventures

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